Intervention de Pierre Gadonneix

Réunion du 29 mai 2013 à 17h30
Commission des affaires économiques

Pierre Gadonneix, président du Conseil mondial de l'énergie :

Le Conseil mondial de l'énergie est l'une des plus vieilles organisations non gouvernementales. Créé en 1923, il regroupe les grandes entités du secteur de l'énergie de 96 pays, toutes sources confondues. Il bénéficie donc d'une approche neutre et équilibrée du sujet, notamment sur le plan géographique.

L'énergie constitue aujourd'hui une priorité dans tous les pays du monde. On retrouve à peu près partout le même débat, qu'il s'appelle « transition énergétique » ou qu'il porte un autre nom. Le Conseil mondial de l'énergie réalise une étude qu'il réactualise chaque année afin de décrire, d'évaluer et de comparer les politiques énergétiques menées dans les différents pays du monde. Celles-ci font apparaître des constantes. Les priorités énergétiques des pays développés et des pays émergents sont toutes les mêmes : la sécurité d'approvisionnement, quantitative et au regard de la balance des paiements ; la protection de l'environnement ; l'accès à l'énergie des populations les plus démunies.

Cette dernière revêt une importance variable selon les pays. En France nous avons mis en place des tarifs sociaux. En Inde, c'est la première priorité, car près de 25 % de la population n'a pas encore accès à l'électricité. Dans le monde entier, un peu plus d'un milliard de personnes en sont privées, ce qui les coupe de l'essentiel de la vie en société.

La planète connaît aujourd'hui une forte croissance de la demande d'énergie, quels que soient les efforts accomplis pour réaliser des économies. Nous avons ainsi retrouvé, en 2012, la tendance de long terme consistant en un doublement de la consommation tous les trente ans, soit une progression de 2,5 % par an, imputable exclusivement aux pays émergents. Car la demande des pays de l'OCDE est à peu près stagnante, du fait d'une croissance économique plus faible et des progrès réalisés en matière d'efficacité énergétique.

La demande mondiale concerne toutes les formes d'énergie, des plus traditionnelles aux plus récentes, et l'offre va de pair.

Toutes les politiques énergétiques intègrent les préoccupations climatiques mais à long terme. La protection de l'environnement est partout présente, notamment en Chine, même si seule l'Europe s'est engagée en signant le protocole de Kyoto. L'objectif consistant à ne pas dépasser 2° Celsius de réchauffement climatique d'ici à 2050 ne sera donc pas atteint. Il faut plutôt s'attendre, compte tenu de l'évolution, observée aussi bien que prévue, des émissions de gaz carbonique, à un réchauffement de l'ordre de 6°.

Depuis deux ans, notamment en raison de la crise économique, tous les pays ont revu leur politique énergétique et ont mis au premier plan de celle-ci le concept de compétitivité économique.

Les États-Unis et la Chine consomment à eux deux la moitié de l'énergie mondiale. Le premier a fondé sa relance économique sur une politique privilégiant l'exploitation des ressources non conventionnelles de gaz et, plus encore peut-être, de pétrole, provenant pour l'essentiel des gisements de schistes bitumineux. Le prix du gaz américain s'en trouve déconnecté des prix mondiaux, étant environ deux fois moins élevé qu'en Europe et trois fois moins qu'en Asie. Les États-Unis deviendront ainsi, probablement dès 2017, exportateurs de gaz et, à l'horizon 2035, énergétiquement indépendants. Ce qui représente un changement majeur de l'équation géopolitique mondiale.

Les États-Unis ont également mis en place des systèmes de normalisation afin de réduire les émissions de gaz carbonique, de telle sorte qu'au cours des cinq dernières années, celles-ci ont diminué plus rapidement qu'en Europe mais, il est vrai, en partant de bien plus haut. On assiste ainsi là-bas à un retour à des sources d'énergie qui s'étaient délocalisées. La compétitivité de l'industrie américaine s'en ressent déjà de façon très favorable.

En Chine, les besoins énergétiques nécessaires à alimenter une forte croissance, de l'ordre de 8 % par an, sont évidemment très élevés. Ce pays est devenu le premier consommateur mondial d'énergie et le deuxième consommateur de pétrole. Ses ressources naturelles ne suffisant plus à assurer son développement, la Chine recourt de plus en plus aux importations. Celles de pétrole représentent déjà 3 % du produit intérieur brut, ce qui préoccupe beaucoup les autorités.

C'est pourquoi, afin de garantir leur sécurité d'approvisionnement, les Chinois privilégient leurs ressources nationales, au premier rang desquelles le charbon. Ils construisent actuellement une centrale à charbon par semaine, maîtrisant une technologie en voie de devenir la plus utilisée au monde.

La Chine cherche aussi à exploiter des sources d'énergie n'émettant pas de gaz carbonique et à mieux contrôler sa consommation. Elle développe donc fortement son énergie nucléaire, étant le pays au monde qui construit le plus grand nombre de centrales, à un rythme qui devrait bientôt atteindre une par mois – au cours de la décennie soixante-dix, la France en installait six par an – ainsi que les énergies éoliennes, solaires et hydrauliques.

Le Brésil se préoccupe également beaucoup de son indépendance énergétique, comme de sa compétitivité économique. Il développe pour cela de nouvelles technologies pétrolières en off shore profond, ainsi que l'énergie hydraulique, disposant en ce domaine d'un immense potentiel, sans oublier l'énergie nucléaire, le gaz et l'éthanol, dont il s'est fait une spécialité et est devenu le deuxième producteur mondial.

Les préoccupations environnementales ne sont pas absentes de la politique brésilienne. L'installation de nouveaux barrages suscite des débats publics en raison de l'importance des surfaces inondées. On discute également des arbitrages à opérer entre biotechnologies et productions agricoles traditionnelles, en concurrence sur les mêmes terres.

L'Inde est le pays au monde dont les besoins énergétiques sont les plus élevés, partant d'une consommation qui ne représente qu'un cinquième de la moyenne planétaire. Elle cherche donc à exploiter toutes les ressources disponibles afin notamment de produire de l'électricité. Le charbon y contribue aujourd'hui pour 80 % – comme en Chine. Mais les Indiens investissent aussi tous azimuts, dans le nucléaire, l'hydraulique, le solaire … Le grand débat porte chez eux sur les tarifs de l'électricité, qui est gratuite pour plusieurs catégories de la population, dont les agriculteurs. Leurs cinq ministres chargés de l'énergie – presque un par source – veulent convaincre l'opinion qu'il faut augmenter ces tarifs afin de pouvoir financer les investissements nécessaires. Ils envisagent donc un mécanisme consistant à faire payer l'électricité mais à subventionner les zones rurales afin de mieux les responsabiliser.

Depuis vingt ans, l'Europe a mis en avant sa volonté de devenir la championne de la lutte contre le réchauffement climatique. Elle s'est ainsi isolée du reste du monde et sa politique montre maintenant des signes de fragilité, ayant notamment perdu sa cohérence avec celles menées dans le reste du monde.

Les prix de l'énergie sont plus élevés en Europe que dans d'autres continents : supérieurs de 40 % par rapport aux États-Unis et de 100 % par rapport à la Chine – c'est cependant moins vrai pour la France, plutôt bien placée à ce titre. Ils ont fortement augmenté au cours des dix dernières années, notamment en raison du coût des politiques de soutien aux énergies renouvelables. L'exemple le plus frappant nous vient d'Allemagne, avec un surcoût incident d'environ 50 euros par mégawatheure, soit un différentiel de 50 % par rapport au coût français.

La dépendance européenne à l'égard des importations d'énergie s'accentue fortement. Cela s'explique bien sûr par le déclin géologique, notamment des gisements de gaz et de pétrole de la mer du Nord, mais aussi par la politique énergétique du continent.

L'Europe n'est plus leader pour fixer les règles du jeu relatives aux émissions de gaz carbonique. Son message n'est plus écouté dans le monde.

Les autres pays ne se désintéressent pas du problème mais n'entendent plus le traiter selon la démarche adoptée par l'Europe. En outre, celle-ci a accru de 7 %, en 2011, sa demande de charbon : comment pourrait-elle continuer de donner des leçons aux autres ?

Enfin, son rêve de leadership industriel sur les filières de production d'énergies nouvelles a fait long feu : 80 % des panneaux photovoltaïques sont aujourd'hui fabriqués en Chine ! Ce pays nous concurrence aussi de plus en plus pour les éoliennes.

En résumé : on construit maintenant en Chine une centrale nucléaire par mois, une centrale à charbon par semaine et une éolienne par heure, soit 8 000 par an. Vous pouvez imaginer les conséquences économiques que cela emporte, notamment pour l'emploi.

Il ne reste donc que trois pistes à l'Europe.

La première consiste à valoriser ses atouts historiques, c'est-à-dire ses infrastructures, ses filières industrielles et ses compétences techniques. La deuxième à s'appuyer sur une analyse de la balance entre coût et bénéfice des différentes technologies afin de ne promouvoir que celles avérées rentables et efficaces. La troisième à définir une coordination entre ses États membres, par exemple en matière d'organisation de réseaux, de recherches, de subventions, de détermination des capacités, de marché du carbone, etc. … le choix d'un bouquet dit mix énergétique demeurant en revanche du ressort de chaque pays compte tenu de ses caractéristiques propres.

La France pourrait, pour sa part et compte tenu de sa crédibilité dans ce domaine, prendre l'initiative de promouvoir des règles de sûreté, notamment nucléaire, au niveau mondial. Elle pourrait, à cet égard, susciter l'intérêt d'un pays comme la Chine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion