Intervention de Henri Proglio

Réunion du 29 mai 2013 à 17h30
Commission des affaires économiques

Henri Proglio, président-directeur général d'EDF :

Beaucoup de choses ont déjà été dites sur l'importance stratégique et sur les enjeux de l'énergie, à la fois sur le plan économique global et sur le plan plus spécialement industriel.

Nos importations de pétrole et de gaz se sont élevées, en 2012, à 69 milliards d'euros, ce qui équivaut à la presque totalité de notre déficit commercial.

Quand on dit que la France possède un atout compétitif en matière énergétique, ce n'est vrai que pour l'électricité. Concernant les autres sources d'énergie, nous sommes totalement dépendants de l'extérieur.

Les autres enjeux, notamment social à travers le pouvoir d'achat et l'emploi, et environnemental au titre de la lutte contre le réchauffement climatique, ont déjà été mentionnés.

En face de quoi, l'objectif stratégique de notre pays doit viser une moindre consommation d'énergies fossiles, pour réduire à la fois les émissions de gaz carbonique et le déficit de la balance commerciale, enfin pour améliorer le pouvoir d'achat et l'emploi.

Le pétrole et le gaz représentent les deux tiers de l'énergie consommée en France, l'électricité 22 % et le bois environ 10 %. Les bâtiments et les transports comptent pour 70 % dans notre consommation d'énergie. C'est donc là où la transition devrait avoir le plus d'impact.

L'électricité a un rôle déterminant à jouer en tant que levier d'une « décarbonation » efficace. Contrairement à un certain nombre d'idées reçues, la France dispose, à bien des égards, d'un temps d'avance sur ses voisins, spécialement pour sa sécurité d'approvisionnement, grâce au un parc existant, nucléaire et hydraulique, qui évite l'équivalent de 25 milliards d'euros d'importations de gaz et d'hydrocarbures, soit 40 % de notre déficit commercial.

Notre électricité est 40 % moins chère que celle de nos voisins européens en moyenne, et deux fois moins chère qu'en Allemagne pour les ménages.

C'est une énergie déjà « décarbonée » à hauteur de 95 %, ce qui explique que l'émission, en France, de gaz carbonique par habitant et par an soit sensiblement inférieure à celle du reste de l'Europe. Elle s'élève à cinq tonnes de CO2 contre plus de neuf tonnes en Allemagne et au Danemark.

L'enjeu stratégique pour la France réside dans la maîtrise de l'énergie et dans la baisse de l'usage des fossiles, notamment dans les bâtiments et les transports, avec des filières nationales qui créent des emplois. Nous ne partons bien sûr pas d'une feuille blanche. Mais rappelons que quatre millions de logements sont peu ou mal isolés. C'est donc là que nous devons concentrer notre effort, en liaison avec les collectivités locales. Les deux tiers des logements sont chauffés avec des énergies fossiles, un tiers seulement à l'électricité.

La France présente aujourd'hui des performances équivalentes à celles de l'Allemagne. Les consommations finales par habitant sont très proches : 29 mégawatheures par habitant et par an en France contre 32 en Allemagne pour l'ensemble de l'économie ; 7,9 en France et 8,7 en Allemagne pour le secteur résidentiel. Avec une différence notable dans les sources d'énergies utilisées : davantage de fioul et de gaz en Allemagne, plus d'électricité et de bois en France, et moins de gaz carbonique.

La facture d'électricité est plus élevée en France mais la facture énergétique globale est beaucoup plus lourde en Allemagne.

Concrètement, nous devons faire preuve d'innovation quant aux futures règles du jeu.

D'abord par un diagnostic de performance énergétique plus robuste, ensuite par un renforcement de la formation des professionnels, notamment du bâtiment, également par des incitations liées aux résultats, enfin par une réflexion sur des réglementations permettant de généraliser le « réflexe énergétique » et de donner ainsi de la visibilité aux filières du bâtiment sur les volumes des rénovations.

Il faudra évidemment aider spécifiquement les plus démunis à financer leurs travaux d'amélioration. C'est une question de solidarité sociale et d'efficacité car c'est dans les zones rurales qu'on trouve les plus grandes dépenses de chauffage et donc les plus importants gisements d'économie et d'amélioration du confort.

Les transports représentent 30 % de notre consommation d'énergie, 60 % de notre consommation de pétrole, la moitié de notre déficit commercial et la première source d'émissions de gaz à effet de serre. Le pétrole est aujourd'hui quasiment le seul combustible utilisé dans ce secteur. Mais cela pourrait évoluer. Il faut militer dans cette perspective.

L'électricité doit jouer un rôle important dans la transition énergétique. Deux caractéristiques du secteur de l'énergie doivent être prises en compte : c'est une industrie exigeante en capital, pour la production comme pour les investissements, en aval et pour la maîtrise de la demande ; c'est aussi une industrie du temps long : il faut jusqu'à dix ans pour mettre en chantier un moyen de production ou une infrastructure de transport.

Nous devons donc disposer à chaque instant des moyens de satisfaire la demande et il appartient à EDF d'intégrer un éventail de futurs réalistes : nous devons être prêts à fournir l'électricité dont tous les citoyens et toutes les entreprises de ce pays auront besoin, compte tenu d'une démographie dynamique, qui favorise l'économie mais créé aussi des obligations.

Avec des efforts ambitieux de maîtrise de la demande, il faudra, au-delà du prolongement de la durée de vie du parc existant, dégager de nouveaux moyens de production en quantité significative dans les dix à trente ans qui viennent. Nous souhaitons tous que ces moyens soient renouvelables plutôt que fossiles, à la fois pour limiter les émissions de gaz carbonique et pour améliorer notre balance commerciale. Mettons-nous en ordre de bataille pour faire baisser les coûts de l'énergie et pour la produire en France.

À court terme, il me semble important de se mobiliser, en particulier pour le pouvoir d'achat et l'emploi, autour de cinq éléments.

Le premier consiste à maîtriser la demande d'énergie, notamment par la rénovation thermique des bâtiments.

Le deuxième vise à maintenir une électricité compétitive, la France disposant, avec son parc hydraulique et nucléaire, d'une électricité à coût maîtrisée et sans émanations de C02. Le coût moyen de production issue de notre parc nucléaire, tel que constaté par la Cour des comptes, se situe autour de 50 euros par mégawatheure, soit un niveau inférieur à celui de toutes les solutions alternatives. Notre pays peut conserver cet avantage par des investissements à réaliser dans les 15 ans qui viennent, susceptibles de créer environ 50 000 emplois et constituant autant d'opportunités de réindustrialisation de nos territoires comme de recours à des emplois qualifiés formés en France.

Le troisième porte sur le développement de filières industrielles des énergies renouvelables afin de créer de l'emploi en France et de favoriser les exportations là où les ressources en vent et en soleil sont abondantes et où se manifestent de nouveaux besoins de production.

Prenons l'exemple de l'éolien off shore, avec l'appel d'offres lancé par le Gouvernement : il a débouché sur la création de 7 000 emplois, sur l'installation de deux usines, à Saint-Nazaire et à Cherbourg, et sur le lancement d'une filière industrielle avec, en perspective, les marchés anglais et du nord de l'Europe. Le savoir-faire d'EDF-Énergies nouvelles, qui a mis en service, en 2012, plus de 1 500 mégawatts de capacités de production nouvelle, n'est plus à démontrer. Nous avons construit le leader européen des énergies renouvelables.

Le quatrième élément repose sur notre détermination à lutter contre la précarité énergétique. En 30 ans, la part des dépenses contraintes, ressortant notamment du logement, de l'énergie et des télécommunications, a plus que doublé pour les plus ménages les plus modestes, passant de 20 à 48%, tandis qu'elle restait stable pour les ménages les plus aisés. En période de crise où la précarité économique s'accroît, nous devons consolider les mécanismes d'aide aux plus démunis dans leurs trois dimensions : la prévention, l'accompagnement et l'aide au paiement.

L'électricité est d'abord un bien essentiel pour la vie de la cité et de ses habitants. Nous devons donc devenir des partenaires de l'avenir des territoires, capables d'offrir aux élus locaux une vision plus précise pour qu'ils puissent décider de l'avenir énergétique des espaces dont ils ont la charge.

Nous souhaitons accompagner les collectivités locales dans l'ensemble de leurs projets pour l'efficacité énergétique des bâtiments, l'identification et la valorisation des potentiels d'énergies renouvelables locales, en particulier la chaleur renouvelable, pour le développement des « éco-quartiers » et celui des nouvelles mobilités.

Cela demande certainement de faire évoluer nos systèmes énergétiques, de trouver de nouvelles articulations entre le niveau national et le niveau local, tout en assurant la solidarité nationale, indispensable en raison du rôle décisif de l'électricité dans les performances économiques du pays comme pour notre sécurité d'approvisionnement et afin de garantir l'accès de tous à ce bien essentiel.

Voilà donc une des conclusions possible de ce débat : dépasser les approches sectorielles pour aller vers un nouvel équilibre et une vraie complémentarité entre un bouquet énergétique national et un bouquet énergétique local.

EDF ne craint pas cette évolution et entend y prendre toute sa place.

Nous demeurerons la référence mondiale de la gestion des grandes unités de production centralisées et de la distribution d'électricité sur l'ensemble du territoire. Mais, compte tenu des évolutions que nous observons autour de nous, nous souhaitons devenir également le premier gestionnaire et coordonnateur d'énergies réparties : renouvelables, biomasse, géothermie, selon les potentiels et les priorités établis par les territoires.

Il ne s'agit en rien de rompre le lien de solidarité nationale, propre de l'exception française et de son identité. Nous devons construire un service public local complémentaire du service public national et étroitement lié à lui. En revanche, l'illusion d'une dérive autarcique d'un échelon local déconnecté de l'ensemble nous mènerait à l'échec.

Réussir cette transition vers les territoires est notre ambition : c'est le sens des démarches innovantes déjà engagées par EDF avec les agglomérations de Lyon et de Nice, mais aussi à Singapour car le mouvement vers les énergies réparties et les systèmes énergétiques intelligents accompagne le phénomène urbain partout dans le monde.

Réussir cette évolution prendra du temps, mais nous nous engageons dans cette voie avec confiance, portés que nous sommes par la passion de l'innovation.

Pour répondre aux questions des commissaires, d'abord à propos des forces et des faiblesses de l'Europe, je déplore que celle-ci soit absente du secteur de l'énergie : il n'existe pas de politique européenne. Chaque pays poursuit ses propres priorités, sans aucune coordination. On ne peut donc que progresser …

Il faudrait, bien sûr, coordonner la recherche, ce qui ne soulèverait guère de difficultés en l'absence de rivalités entre entreprises par nature concurrentes. Mais celles-ci n'ont guère envie de partager les résultats de leurs travaux.

À la fin de 2012, l'Allemagne a connu une période de grand froid et a donc produit une grande quantité d'électricité, sans que le réseau de distribution puisse l'acheminer. Les Allemands ont donc dû payer pour qu'on les débarrasse de leur énergie et ont fait s'effondrer le marché en pratiquant des prix négatifs.

En réalité, ce marché n'existe pas : il n'est que le résultat d'arbitrages de subventions. Il en résulte que les prix de l'énergie, dont ne bénéficient nullement les consommateurs, sont trop bas pour financer des investissements rentables dans quelque technologie que ce soit.

L'Europe ne s'est toujours pas prononcée sur cette importante question.

En outre, certains pays cherchent à s'isoler pour éviter les conséquences de l'effondrement des marchés sur leurs investissements nationaux. Ainsi le Luxembourg a-t-il bloqué ses interconnections avec l'Allemagne et avec le reste de l'Europe pendant tout l'hiver. De même l'Espagne retarde son interconnexion avec la France afin d'éviter que son marché ne soit pollué par le même phénomène.

EDF, premier électricien mondial, deuxième au Royaume-Uni et en Italie, troisième en Pologne, présent dans la plupart des pays d'Europe, aimerait être aussi un acteur européen. Nous disposons de la meilleure expertise nucléaire. Nous sommes un grand opérateur gazier – en Italie notamment - et charbonnier en Pologne. Nous sommes en pointe dans les énergies nouvelles et nous investissons fortement dans la recherche, avec le plus grand centre du monde et des pilotes de développement dans l'hydrogène, les énergies marines … Nous disposons donc d'analyses par segments de marchés et par zones géographiques. Nous sommes présents en Asie, partenaires de la Chine pour son développement électronucléaire et thermique, ainsi qu'en Amérique du Nord et en Amérique latine.

EDF entend rester un opérateur de service public, ce qui nous différencie de nos concurrents, notamment européens. Ce qui appelle aussi une intégration des systèmes électriques, d'amont en aval, d'où notre implication dans les réseaux intelligents et l'optimisation énergétique, aussi bien pour le compte des territoire qu'en matière d'énergies réparties et d'enracinement local.

EDF est seule en Europe dans cette situation et probablement un des seuls acteurs au monde de ce genre. Nous continuerons de suivre cette même stratégie, qui a démontré son efficacité sur les systèmes intégrés et le fera encore sur les systèmes répartis.

Nous sommes le premier investisseur européen, le premier donneur d'ordres pour l'industrie et nous avons été capables de performances qui font d'EDF le meilleur électricien mondial à ce jour, tout en défendant les intérêts de nos actionnaires, dont l'État. Nous continuerons.

La fermeture de Fessenheim exigera l'adoption d'une loi et la parution d'un décret d'application. Il me semble inutile de revenir sur ce sujet car tout a déjà été dit.

M. Denis Baupin a formulé des remarques montrant que, une fois de plus, nos avis divergent fondamentalement. Je récuse les jugements portés sur le nucléaire et réaffirme la fierté d'EDF quant à son expertise dans ce domaine : on nous l'envie dans le monde sauf dans quelques endroits de Paris… Je revendique aussi la sûreté de nos centrales et dénie l'existence d'accidents, de même que la réduction de la disponibilité de réacteurs. La production nucléaire a diminué en 2012 en raison d'arrêts programmés mais le nombre d'arrêts subis s'est considérablement réduit. Le parc reste à son optimum et nous accroîtrons de façon significative notre production en 2013, montrant ainsi l'amélioration de notre productivité.

La Chine n'a pas arrêté son programme nucléaire. Elle compte aujourd'hui 25 centrales en cours de construction et entend encore accroître son effort pour parvenir à la mise en service de 11 nouveaux réacteurs par an.

Le stockage de l'énergie est un sujet crucial, constituant le grand saut technologique à venir. Nous y travaillons assidûment mais nous n'avons pas toujours reçu les bonnes réponses sur le plan économique. Le stockage le plus performant aujourd'hui est celui de l'hydraulique : les barrages représentent un élément fondamental pour l'équilibre de notre système. Car on les utilise, soit pour compenser des arrêts programmés de nos centrales, soit en situation de consommation de pointe.

L'indépendance énergétique relève d'un choix politique, donnant lieu à autant de choix qu'il existe de pays. La France a voulu s'en doter et l'a obtenue, à 100 %, dans le domaine électrique. Elle est le seul pays européen dans ce cas.

La situation est évidemment très différente selon les ressources propres des nations. Les pays pétroliers peuvent se permettre d'être dépendants pour l'électricité.

Le Brésil attache une grande importance à son indépendance énergétique. Le Royaume-Uni a vécu, grâce au gaz et au pétrole de la mer du Nord, une autre forme d'indépendance durant vingt-cinq ans. Anticipant la fin de ces ressources, il a décidé de lancer un programme électronucléaire. L'Allemagne est totalement dépendante de ses importations, notamment de gaz en provenance de Russie et de charbon américain.

L'exportation d'énergie nucléaire est également, pour la France, un sujet économique et industriel majeur. La part de marché du nucléaire va augmenter dans le monde, la plupart des pays en développement ou émergents ayant fait ce choix, y compris certains pays du Moyen-Orient comme l'Arabie du Sud et les Émirats. Il en va de même de la Turquie, de l'Afrique du Sud, du Brésil … Il existe donc un important marché du nucléaire mondial sur lequel la France pourrait se positionner fortement.

Concernant le mix énergétique en 2050, le sujet est plus complexe qu'il y paraît. On ne saurait établir des pourcentages selon les sources d'énergie : il faut plutôt se demander quels seront les besoins énergétiques à l'horizon 2050, quels seront les choix énergétiques pour y répondre, quelle sera la part de l'électricité dans ces choix et quelle sera l'origine de cette électricité.

La France comptera 6 millions d'habitants de plus en 2025, 12 millions en 2050. Contrairement aux hypothèses sur le PIB, la croissance ou la consommation, ces données démographiques sont quasi certaines et ne peuvent être négligées.

Nous nous lançons dans un plan ambitieux d'économies d'énergie, ce qui est raisonnable et nécessaire. Pour autant, la consommation individuelle d'énergie électrique des particuliers continue d'augmenter chaque année : toute la modernité passe par l'électricité. Selon les spécialistes, malgré l'ambition de réaliser 20 % d'économies d'énergie, la consommation par habitant devrait se stabiliser en raison de l'évolution du mix énergétique individuel. Cela se traduira tout de même par une augmentation globale, puisque le nombre d'habitants s'accroît.

Dans le secteur industriel, la corrélation entre la consommation d'une part, le taux de croissance et le PIB d'autre part, est évidente.

Ce que l'on peut dire, c'est que la consommation d'énergie électrique continuera à augmenter en France. L'enjeu est d'en maîtriser l'évolution par des plans vigoureux et ambitieux d'économies d'énergie, mais aussi de choisir le mix de production pour faire face aux besoins. Ces questions doivent être abordées en toute transparence, dans un souci d'efficacité et d'économie.

Comme je l'ai dit, le système électrique devra évoluer. Nous devrons rendre compatibles une gestion à l'échelle régionale et un système national qui a fait preuve de sa solidité et de son efficacité. La structuration de cette évolution est un des enjeux du tournant énergétique.

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