Sur le terrain, on constate le manque d'anticipation d'une situation éminemment prévisible, et la dégradation progressive des conditions sanitaires et sociales propres aux immigrés âgés. Comment a-t-on pu croire qu'il serait possible de fermer les yeux sur le vieillissement de ces travailleurs qui ont cotisé toute leur vie, sur leur habitat, sur leur devenir de citoyens de nos villes et sur leur santé précaire ? Comment peut-on les laisser dans des situations administratives inextricables, leur dénier la possibilité d'aller et venir librement entre leurs deux pays sans crainte de perdre leurs droits sociaux ? Comment imaginer qu'ils puissent seuls reconstituer leur carrière et faire calculer leurs droits à la retraite, à partir des liasses de bulletins de salaires accumulés pendant des décennies ? Les élus locaux manquent de personnel pour les y aider.
Certes, les collectivités territoriales peuvent initier des actions et faire de la question des migrants âgés une cause locale, puisqu'elle n'est pas considérée comme une cause nationale. Montreuil a saisi l'appel à projets du Fonds européen d'intégration (FEI) pour prendre en compte leur situation, dans le cadre d'une relation de proximité.
Il faut d'abord opérer un changement radical de regard et passer d'une logique parcellaire, segmentée, à une approche globale des personnes, coordonnée par les acteurs présents sur le territoire.
Ensuite, la prise en compte de la personne doit irriguer l'ensemble des politiques sectorielles de la ville, notamment dans les centres de santé, où l'on doit trouver des permanences et des consultations adaptées. Montreuil a intégré dans son contrat local de santé un axe spécifique baptisé « Agir pour la santé des migrants ». La santé des immigrés vieillissants est précaire, car ils présentent des pathologies complexes.
La ville mène également des actions spécifiques dans les maisons de quartier, agréées centres sociaux, en instaurant des temps d'écoute et de convivialité. Telle est la mission du centre local d'information et de coordination gérontologique, guichet unique destiné à prendre en compte la situation des migrants vieillissants. Puisque ceux-ci font rarement valoir leurs droits, il faut aller à leur rencontre, ce qui n'est pas toujours simple.
Enfin, les services culturels des villes doivent valoriser l'expérience et la culture de ces publics en les amenant à participer à des activités. C'est ce que font, dans les antennes de quartier, les associations qui ouvrent des cafés sociaux.
Pour répondre à l'appel à projet du FEI, nous avons choisi de développer deux axes. Le premier concerne l'accès aux droits médicaux et sociaux, qui suppose la mobilisation de tous les acteurs de droit commun présents sur le territoire, ainsi qu'un effort pour former les personnels souvent démunis face au vieillissement des migrants et à la barrière de la langue. Le second axe est la participation à la vie de la cité. À cet égard, nous voulons multiplier les liens entre les migrants âgés et les associations, et inciter les premiers à aller vers des lieux de vie extérieurs. À ce titre, nous défendons vivement la participation des étrangers non communautaires aux élections locales. Nous agissons également en partenariat avec une organisation non gouvernementale (ONG), le Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR).
Cette dynamique locale ne sera pas pérenne tant que le Gouvernement et le Parlement n'auront pas pris des mesures cruciales. Sur la question du logement, nous nous battons contre une réglementation tatillonne, inadaptée à la vie des migrants âgés, et nous soutenons les propositions du collectif pour l'avenir des foyers (COPAF), lesquelles visent à élargir les droits et à libérer la vie dans les foyers.
Nous déplorons les contrôles systématiques, notamment par la caisse d'allocations familiales (CAF), de la situation des migrants âgés, qui se soldent par l'arrêt brutal du versement de certaines prestations, comme l'ASPA ou l'aide personnalisée au logement (APL), motivé par les allées et venues des intéressés entre les deux pays d'attache. Un tel harcèlement est inconcevable. Nous regrettons aussi que les règles régissant les différentes caisses de retraite ne soient pas harmonisées : la durée du séjour conditionnant le maintien des droits varie de l'une à l'autre. Les conditions de renouvellement des titres de séjour doivent aussi être révisées. Il est ahurissant que des résidents de plus de quatre-vingts ans attendent des heures aux guichets ou restent des mois sans prestations. Des personnels formés doivent aussi être missionnés pour résoudre des situations que les gestionnaires de foyers ou de résidences sociales ne prennent plus en compte.
Je terminerai en citant deux réalisations dont nous sommes fiers.
Nous avons signé récemment avec la ministre du logement, le bailleur et le propriétaire du foyer Bara un protocole visant au desserrement et à la reconstruction de celui-ci. Si le nombre global de places risque de diminuer, les unités de vie seront multipliées, ce qui permettra de reloger les résidents dans leur quartier.
Par ailleurs, grâce à un partenariat avec l'Office public de l'habitat montreuillois (OPHM), le foyer historique du Centenaire, qui est autogéré, sera reconstruit. Le projet est socialement innovant, puisque ce foyer, qui abritera des migrants de tout âge, sera voisin d'un hôtel associatif qui accueillera des membres des ONG. Cette proximité créera du lien.