J'ai choisi de vous faire part des résultats d'une recherche-action sur les femmes âgées immigrées, que le CRPVE conduit depuis un an avec le sociologue Smaïn Laacher. Cette recherche s'inscrit dans le programme sur l'immigration et les dynamiques d'intégration que nous menons depuis plus de quatre ans et nourrit le travail de formation des professionnels en matière de conditions de vie des femmes.
Il y a un peu plus de trente ans, l'immigration de travail s'est transformée en immigration de peuplement, conduisant à la multiplication des familles composites – dans lesquelles mères et enfants sont nés dans des pays différents – en terre d'immigration. Pourtant, les femmes – jeunes, adultes ou âgées – sont longtemps restées à l'arrière-plan, tant dans le domaine de la recherche sociologique que dans celui des préoccupations des politiques publiques.
La recherche-action en cours vise à rendre intelligibles les conditions objectives et subjectives du vieillissement – à la fois social et biologique – des femmes immigrées, afin de relever les particularités de cette population spécifique et de saisir, sur le long terme, les transformations de la structure familiale immigrée et la place qu'y occupe la femme âgée.
Quatre questions essentielles fondent notre problématique. Quelles sont les conditions de vie de ces femmes âgées immigrées aujourd'hui ? Quels sont leurs besoins et projets à court et à moyen termes ? Comment se structurent les relations entre cette catégorie de la population et les institutions publiques et privées qui en ont la charge ? Comment contribuer à la production d'un savoir et d'une connaissance sur les processus de vieillissement et ses conséquences sociales et symboliques sur ces femmes et leurs familles ?
Sans nous étendre sur la rareté numérique et la relative indigence théorique de la littérature sur les femmes âgées immigrées, notons simplement que ce sont les hommes qui ont concentré jusqu'à très récemment les recherches sur le vécu de la vieillesse des immigrés. Ce n'est qu'au milieu des années deux mille que le vieillissement de la population immigrée – hommes et femmes – est devenu une préoccupation nationale.
Contrairement à une idée reçue, dans les pays d'origine – notamment au Maghreb –, le vieillissement commence à être perçu comme un problème structurel et humain. En effet, ces sociétés ne sont pas statiques et la transition démographique y devient irréversible ; l'individualisme ne se cantonne plus au continent européen, et les personnes âgées pèsent sur les systèmes de protection sociale généralement peu développés de ces pays. Le retour chez soi au moment de la vieillesse ne garantit donc aucune prise en charge institutionnelle ; plus encore, cette absence de protection force les immigrés à finir leurs jours dans le pays d'accueil.
Dans notre travail, nous sommes partis d'une conviction : les femmes immigrées ne devaient pas être perçues comme passives, ayant été soumises toute leur vie aux aléas d'un destin naturel ou social. Au contraire, les premiers éléments de notre enquête montrent que leur émigration, leur installation et les conditions dans lesquelles elles vieillissent en terre d'immigration constituent autant d'éléments auxquels elles ont été confrontées et qu'elles ont tenté, avec plus ou moins de réussite, de maîtriser. Les entretiens que nous avons menés ont représenté pour elles des moments autoréflexifs ou des occasions de témoigner de leur parcours. À ce jour, nous avons interrogé soixante-quatre femmes sur trois territoires : à Athis-Mons, en Essonne ; au quartier du Luth, à Gennevilliers ; et à la cité Balzac, à Vitry-sur-Seine. Nous nous sommes également appuyés sur les interventions des professionnels qui ont participé à cette recherche-action.
Les femmes âgées que nous avons interrogées, majoritairement mariées à des hommes ayant d'importants problèmes de santé, ont entre cinquante-cinq et soixante-douze ans. Elles sont souvent veuves, parfois divorcées. La plupart d'entre elles ont été peu ou pas scolarisées et n'ont pas bénéficié de cours d'alphabétisation. Elles sont arrivées en France dans le cadre du regroupement familial à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt, âgées alors d'une trentaine d'années ; ce regroupement familial tardif relevait d'un désir collectif de vivre et de vieillir en famille en terre d'immigration. Le taux élevé de fécondité de ces femmes – quatre enfants et plus – n'est pas reproduit à la génération suivante.
Tant qu'il leur y reste de la famille, les immigrées âgées valides retournent une fois par an au pays d'origine – lieu exclusif de déplacement – aux frais des enfants. La relation au pays se complique, et les visites deviennent plus aléatoires, dès lors que le mari est malade ou a fortiori décédé ; les retours s'espacent progressivement, puis s'arrêtent.
Les fortes réticences à retourner dans son pays d'origine pour y terminer sa vie posent la question du lieu d'enterrement. La réponse la plus fréquente, indépendamment de l'âge et de la nationalité, consiste à dire que c'est aux enfants d'en décider, le souhait étant généralement d'être inhumée à proximité des enfants qui vivent en France.
Ces femmes font partie des dernières générations immigrées à avoir eu beaucoup d'enfants. Mais, loin du stéréotype de la famille maghrébine unie, les liens entre les parents et les enfants – en particulier lorsque la mère devient veuve – peuvent se distendre au fil du temps de l'immigration. La solidarité familiale est ébranlée lorsque les enfants traversent eux-mêmes des épreuves sociales telles que le chômage, la maladie ou la délinquance.
De façon générale, le lien social est à la fois faible et fragile. Ces femmes appartiennent à des générations dont la liberté de circulation, l'autonomie et les choix existentiels – du conjoint, du lieu de résidence, du nombre d'enfants – ont été très réduits. Confinées à l'espace privé, elles sont faiblement intégrées au quartier et tissent peu de liens avec les autres femmes.
Leurs activités quotidiennes sont fortement ritualisées et donc prévisibles : faire les courses, voir le médecin, rendre visite à une amie, parfois recevoir chez soi, visiter les enfants. La majorité des femmes âgées que nous avons interrogées sont de confession musulmane, et la religion devient de plus en plus importante avec l'âge. Pour certaines d'entre elles, les prières structurent le quotidien. Rares sont pourtant celles qui vont à la mosquée : elles prient seules chez elles. La télévision – à travers les chaînes du pays d'origine, mais également françaises – est systématiquement mentionnée parmi les activités pratiquées.
Ces femmes ressentent fortement la solitude. Celle-ci ne procède pas automatiquement du vieillissement, mais renvoie le plus souvent à l'isolement dû à la maladie. Elles déplorent également – probablement plus fortement que la moyenne des femmes – le processus de dégradation de leur corps et de leur sociabilité, lié à l'âge, et l'impuissance physique et sociale qui en découle.
La vieillesse est perçue et vécue différemment par les hommes et les femmes. Ayant une relation moins intime avec leurs enfants, les hommes de cette génération peuvent décider de les laisser en France pour finir leurs jours dans leur pays d'origine. Leurs épouses, très attachées à leurs enfants, envisagent bien plus difficilement l'éventualité d'un retour.
Quasiment aucune des femmes interrogées n'a eu d'activité salariée légale, ni dans le pays d'origine ni en France ; en revanche, certaines d'entre elles ont pratiqué des petits boulots. Leurs retraites sont donc faibles – autour de 600 euros par mois –, alors que les loyers restent relativement élevés. Elles ne bénéficient d'aucune aide de la part des mairies et n'osent pas en demander – non seulement parce qu'elles ne savent pas à qui s'adresser, mais aussi et peut-être surtout parce qu'elles ne veulent rien demander à personne. Leur cas gagnerait donc à être intégré dans la réflexion des professionnels qui n'y accordent pas suffisamment d'attention.