Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 14 mai 2013 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Le sujet est si grave qu'il mérite en effet tout le temps nécessaire, monsieur Grouard. Je souhaitais, aujourd'hui, exposer précisément les grands enjeux du Livre blanc, mais je me tiens à la disposition de votre commission pour poursuivre nos débats, qui dureront de toute façon jusqu'à l'automne. Je remercie également votre commission, comme celles des affaires étrangères et de la défense du Sénat, pour son soutien dans l'élaboration de ce Livre blanc. D'autres choix étaient en effet possibles, s'agissant en premier lieu de notre capacité de dissuasion : d'aucuns préconisaient la suppression de la deuxième composante ; d'autres, plus radicaux – et parmi eux des experts reconnus –, la suppression pure et simple de la dissuasion elle-même et des 3,4 milliards annuels qui lui sont alloués. Loin d'y renoncer, le Gouvernement a intégré les coûts supplémentaires qu'elle générera d'ici à 2019, considérant que cela favoriserait les interventions extérieures et consoliderait nos industries de défense.

Je ne souscris donc pas, monsieur Grouard, à votre hypothèse du déclassement : notre capacité de dissuasion reste intacte, et se verra même confortée jusqu'en 2025. La France est l'un des rares pays au monde à pouvoir suivre cette voie. D'autres encore soutenaient, à l'inverse, que l'existence de la dissuasion permettait de confier notre sécurité aux forces spéciales ; je m'y suis tout autant refusé, comme le Gouvernement s'est refusé, malgré le contexte de crise, à raboter le budget de la défense – c'est la raison pour laquelle la situation n'est en rien comparable à celle des années trente. Compte tenu de ce que l'on pouvait lire ou entendre il y a moins de deux mois dans les médias, on peut se féliciter de ces choix, même s'il est vrai qu'il faudra payer l'inflation, c'est-à-dire le prix de la crise.

Ce Livre blanc marque des inflexions significatives par rapport au précédent. La France, monsieur Rousset, commandera des avions ravitailleurs – les opérations menées en Libye et au Mali ayant révélé des lacunes en ce domaine –, lesquels assureront non seulement la sécurité de la deuxième composante de la dissuasion, mais aussi les performances de notre aviation de chasse et de transport tactique. Il en va de même pour les drones, dont le financement sera inscrit, pour la première fois, dans le projet de loi de programmation, tout comme seront inscrits les crédits dévolus aux forces spéciales et à la cyberdéfense.

On peut effectivement s'interroger, monsieur Grouard, sur la suppression de 24 000 postes alors que l'effort de la nation pour sa défense sera maintenu à 31,4 milliards d'euros annuels – sans polémiquer sur les chiffres, je rappelle au passage que ce sont 54 900 suppressions de postes qui ont été engagées dans la loi de programmation précédente. Quoi qu'il en soit, les avions ravitailleurs, la cyberdéfense, l'équipement des forces spéciales, les drones et même l'augmentation de la dissuasion à hauteur de 1 % induisent des coûts supplémentaires. Je rappelle aussi que l'entretien des équipements nouveaux coûte plus cher, tout comme celui des équipements très anciens. Les choix qui ont été faits ne vont évidemment pas sans inconvénient, mais il fallait bien arbitrer, avec l'objectif de préserver la polyvalence de notre défense au vu des menaces présentes et à venir identifiées par la commission du Livre blanc.

S'agissant des équipements, toutes les grandes capacités seront maintenues, même si les nécessités tactiques détermineront le rythme des dépenses. La solution de facilité eût été de procéder à des coupes claires dans les effectifs des forces opérationnelles ; mais je m'y suis refusé – malgré la suppression d'une brigade dans l'armée de terre –, ce qui suppose aussi des choix d'autant plus difficiles pour l'administration et les services centraux.

Une certaine souplesse sera maintenue dans les contrats, afin de répondre au mieux aux différents types de crise. Le réservoir permanent d'urgence comprendra 5 000 hommes, dont 2 500 pour la FIRI, auxquels s'ajoutent 7 000 hommes mobilisables pour la gestion de crise et jusqu'à 15 000 hommes pour les opérations de guerre, dans l'hypothèse d'un besoin de coercition majeur. En d'autres termes, la France gardera toutes ses capacités jusqu'en 2025 : c'était bien toute la difficulté de l'exercice ; et, même si sa mise en oeuvre ne doit pas être simple, ce Livre blanc me semble à la hauteur des enjeux et des défis.

La cyberdéfense est une priorité, monsieur Hillmeyer : elle mériterait, comme la question des réserves, un débat spécifique. Le Gouvernement a demandé à la DGA de renforcer ses efforts de recherche en la matière : plus de 200 personnels hautement spécialisés seront ainsi recrutés, sur l'ensemble de la période, dans le centre de recherches de Bruz.

La rénovation des Mirage 2000, monsieur Rousset, permet de réaliser des économies, qui permettent d'ailleurs d'acheter des Rafale. L'enjeu, cependant, est plutôt la différenciation, car toutes les tâches ne requièrent pas les outils les plus sophistiqués. Des Mirage 2000 rénovés suffisent à assurer la surveillance du territoire, mais des Rafale sont nécessaires, par exemple, pour intervenir en Libye ou au Mali.

Nous assumons nos désaccords, monsieur Candelier, et ne parviendrons sans doute pas à nous convaincre. Je partage les conclusions du rapport Védrine sur l'OTAN, mais, depuis cinq ans, les Américains sont les premiers partisans d'une Europe de la défense, car ils ont aussi leurs contraintes budgétaires : après une première coupe de 500 milliards de dollars sur dix ans, ils en ont annoncé une seconde du même montant. Cela n'ira d'ailleurs pas sans créer quelques problèmes, car l'industrie américaine de défense sera, de ce fait, beaucoup plus active à l'exportation – nous aurons peut-être l'occasion d'en reparler en évoquant les relations entre l'Europe et les États-Unis s'agissant des matériels de défense, notamment à travers la directive européenne. J'ajoute que, sans son retour dans le commandement intégré de l'OTAN, notre pays n'aurait pu proposer, comme il vient de le faire, un nouveau partenariat stratégique avec la Pologne.

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