Intervention de Seybah Dagoma

Réunion du 29 mai 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSeybah Dagoma, rapporteure :

Je prie tout d'abord les membres de la commission des affaires étrangères qui sont également membres de la commission des affaires européennes de m'excuser si je répète ici un certain nombre de points que j'ai déjà développés hier devant la commission des affaires européennes.

L'idée d'une zone de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne est ancienne. Déjà en 1997, le ministre des affaires européennes, Hubert Védrine, redoutait l'hégémonie d'une hyper-puissance américaine. Nos réticences à l'égard du projet de partenariat transatlantique du commissaire européen au commerce de l'époque, Sir Leon Brittan, s'expliquaient par notre conception du multilatéralisme : nous considérions qu'un tel accord aurait pu affaiblir l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et l'organisme de règlements des différends que nous avions tous appelé de nos voeux.

Le contexte est aujourd'hui extrêmement différent. Les discussions multilatérales du cycle de Doha sont enlisées. Parmi les multiples raisons de blocage, il y a l'attitude des pays émergents qui revendiquent toujours le bénéfice du régime de traitement spécial et différencié, à l'origine destiné à permettre une meilleure intégration des pays en développement dans le commerce international, et refusent toute réciprocité en matière d'accès aux marchés. Cette évolution du rapport de forces a eu pour conséquence de renforcer la convergence euro-américaine. Au sein de l'OMC, nos positions se sont rapprochées, notamment pour ce qui concerne l'accès aux marchés non agricoles, le commerce des services ou encore la facilitation des échanges. L'enlisement du cycle de Doha a aussi conduit l'Union européenne à changer de position. Contrairement aux États-Unis qui ont toujours privilégié le bilatéralisme dans leurs relations commerciales, nous avions, nous, donné la priorité au multilatéralisme. Or, il en va différemment aujourd'hui où nous concluons des partenariats pays par pays. Citons l'accord conclu avec la Corée du Sud, et les négociations en cours avec le Japon et le Canada.

La perspective d'un accord transatlantique a été ouverte en novembre 2011 lors d'une rencontre entre le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et le président des États-Unis, Barack Obama, qui ont décidé la mise en place d'un groupe de travail de haut niveau sur la croissance et l'emploi. Ce groupe a rendu un rapport en février dernier, qui conclut à l'opportunité d'un accord transatlantique global sur le commerce et l'investissement.

Jamais sans doute, la perspective d'un accord de libre-échange n'aura suscité autant d'intérêt et de réactions. Le processus est aujourd'hui à une étape cruciale, celle de la définition du mandat de négociation. En mars dernier, la Commission européenne, après une phase de travaux préparatoires, menés sans grande concertation, il faut l'avouer, a transmis aux gouvernements des États membres un projet de mandat qui l'autoriserait à négocier un accord transatlantique au nom de l'Union et fixe le cadre de la négociation. Le Conseil des ministres européens du commerce extérieur doit se prononcer sur ce projet le 14 juin prochain. La semaine dernière, le Parlement européen a donné son feu vert, sous conditions, au lancement des négociations, en adoptant la proposition de résolution du président de sa commission du commerce international, Vital Moreira.

La première question est de principe : l'Union européenne doit-elle ou non s'engager dans une négociation commerciale ambitieuse avec les États-Unis ? Plusieurs études d'impact ont été réalisées, à la demande de la Commission, mais aussi, en France, à la demande de Bercy, et les différents secteurs économiques ont été consultés. On peut certes débattre de ces études, fondées sur des modèles économiques nécessairement réducteurs et des présupposés libéraux quant aux mérites du développement du commerce. On peut ainsi regretter que les effets nocifs de phénomènes comme la volatilité des prix agricoles ne soient pas assez pris en compte. On peut aussi observer que pour justifier les gains annoncés, l'étude européenne a besoin d'envisager un accord transatlantique très ambitieux, comportant un abaissement important des barrières non tarifaires, objectif que nous ne sommes pas sûrs d'atteindre. Il n'empêche que ces études convergent pour avancer des gains économiques potentiels substantiels pour l'Europe et pour la France. Pour l'Europe, ce gain pourrait s'élever à près de 120 milliards d'euros par an.

Les États-Unis et l'Union européenne réalisent à eux deux les deux tiers des dépenses mondiales de recherche et de développement. Cet accord pourrait être l'occasion pour l'Union européenne de forger une nouvelle cohésion en définissant une position de négociation commune et d'affirmer, sur le plan international, le rôle de créateur de normes qu'elle a toujours eu. Les États-Unis et l'Europe pesaient encore pour 60 % dans le PIB mondial en 2005, mais la montée des pays émergents a ramené ce taux à 45 % en 2012 et, au vu des perspectives, ce déclin devrait se poursuivre. Cette négociation est peut-être la dernière chance pour ces deux ensembles d'affirmer une vocation normative internationale dans le domaine économique. Lors des auditions de parlementaires américains auxquelles nous avons procédé avec ma collègue Marie-Louise Fort, nous avons constaté que leur principal sujet de préoccupation est la signature de l'accord de libre-échange transpacifique, en discussion depuis 2009, mais aussi que tous considèrent que la signature parallèle d'un accord avec l'Union européenne leur permettrait de consolider leur position normative dans le monde, faute de quoi dans le futur, les normes risquent d'être imposées par les pays émergents.

Un accord transatlantique ne peut toutefois représenter un véritable progrès que sous certaines conditions. Le choix des autorités européennes, légitimé par les études d'impact, est de rechercher un accord global et ambitieux, comprenant en particulier des avancées très substantielles sur l'abaissement des barrières non tarifaires. En effet, les droits de douane entre les États-Unis et l'Europe sont déjà faibles – en moyenne respectivement de 3,5 % et 5,3 % –, même s'il existe de part et d'autre des pics tarifaires, voire des restrictions quantitatives aux échanges, dans le domaine agricole et sur certains produits industriels. Nous avons des intérêts offensifs à défendre – je pense aux vins, aux spiritueux, aux produits laitiers, aux services financiers, à la chimie... Au cours de nos auditions, j'ai constaté que les barrières non tarifaires, en particulier la réglementation, venaient en tête des difficultés soulignées. Le contenu et le mode d'élaboration des réglementations renvoient à des intérêts légitimes tels que protéger la santé, la sécurité, l'environnement, les consommateurs, les travailleurs. Plus fondamentalement, ces règles rendent souvent compte de ce que l'on appelle des « préférences collectives » et de modes de fonctionnement et de pensée profondément ancrés dans les sociétés, qu'il ne peut être question d'aligner vers le bas. Il faut les rapprocher par le haut, ce qui est nécessairement plus difficile. Les rencontres avec des représentants des différents secteurs économiques ont mis en évidence, si besoin était, la multiplicité des problèmes quand on entre dans le vif du sujet. Il y a les « lignes rouges », les règles sur lesquelles nous, ou de l'autre côté les Américains, ne serons pas disposés à transiger, même si cela aboutit à des restrictions au commerce.

Les modes d'élaboration et d'application des réglementations sont aussi très différents des deux côtés de l'Atlantique. Paradoxalement, même si les États-Unis ne constituent qu'un seul État, fédéral certes, quand l'Union européenne en compte 27, l'élaboration des réglementations y est beaucoup plus décentralisée. Dans le processus normatif, on y privilégie les démarches partant des acteurs économiques et le secteur privé s'y voit dévolu un rôle important. L'autorité de réglementation se situe souvent au niveau des États fédérés, et non de l'État fédéral, ou bien c'est une autorité administrative indépendante qui exerce la compétence. Cela crée une difficulté. En effet, la signature du gouvernement fédéral, qui négociera l'accord, n'engagera pas nécessairement les autorités publiques compétentes sur les réglementations.

L'intégration est déjà considérable entre les deux rives de l'Atlantique, avec 700 milliards d'euros de flux commerciaux bilatéraux. La France n'est pas en reste, avec une soixantaine de milliards d'euros de flux croisés. Les États-Unis demeurent la première destination des investissements directs français à l'étranger et le premier investisseur étranger en France. Les entreprises américaines emploient environ 450 000 personnes en France et les entreprises françaises sans doute autant aux États-Unis. Paradoxalement, c'est précisément parce que les échanges et l'intégration sont déjà intenses entre les deux rives de l'Atlantique, que la négociation sera difficile. Les points de divergence et de conflit sont souvent des « points durs », connus depuis longtemps et sur lesquels aucune des parties n'envisage réellement de concessions.

La négociation risque aussi de s'ouvrir de façon asymétrique. La première des asymétries porte sur l'envie de négocier. Dans son discours sur l'état de l'Union, le président Obama avait indiqué que l'Union européenne était plus en demande de négociation que son pays – il avait dit « hungrier », qui signifie plus affamé. Cela signifie sans doute que les États-Unis attendent que nous fassions davantage de concessions. La deuxième asymétrie tient à ce que les États-Unis ont une position plus forte sur le plan économique, dans la mesure où ils ont retrouvé une croissance, actuellement de 2 %, favorisée par la révolution énergétique liée à l'exploitation du gaz de schiste ; le gaz y est trois à quatre fois moins cher qu'en Europe. Une troisième asymétrie concerne la transparence, l'affichage des priorités et des lignes rouges de la négociation. L'Union européenne dira tout dans le projet de mandat qui sera adopté le 14 juin prochain alors que les États-Unis n'ont pas officiellement de lignes directrices, même si l'on peut deviner leurs intérêts offensifs et défensifs essentiels.

Pour autant, l'Europe n'a pas à aborder cette négociation en position de faiblesse. Elle est en effet le premier marché mondial avec 500 millions de consommateurs à fort pouvoir d'achat et, en tant que zone intégrée, le premier PIB mondial. Il s'agit de négocier un accord entre partenaires qui traitent d'égal à égal, représentant des parts sensiblement égales de la production et du commerce mondiaux, de l'ordre de 20 % du PIB chacun. Selon que l'on tient compte ou non des flux commerciaux intracommunautaires, les deux parties représentent 28 % ou 40 % des flux commerciaux mondiaux. Les États-Unis ne doivent pas considérer qu'ils pourront jouer du rapport de forces, comme ce fut le cas pour l'accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA.

Le mandat éventuellement donné à la Commission européenne doit être clair, précis et exigeant. Tel est l'enseignement que nous tirons de la négociation sur l'accord de libre-échange avec le Canada où, faute que les incertitudes aient été levées préalablement et qu'un mandat parfaitement clair ait été donné, les difficultés et les blocages s'accumulent en fin de négociations.

Le projet de mandat actuel, tel que préparé par la Commission, comporte des points satisfaisants, mais aussi des formulations molles, des lacunes et certains points inacceptables.

Sur quatre points, il est inacceptable. Tout d'abord, il inclut le secteur des biens et services culturels dans le champ de la négociation. Il inclut également les préférences collectives européennes, ainsi que les marchés de défense et de sécurité. Enfin, il renvoie à l'arbitrage pour régler les litiges entre les investisseurs et les États.

Je ne m'étendrai pas sur la protection à accorder au secteur des services culturels, dont nous avons déjà parlé lors de l'examen de la proposition de résolution européenne de Danielle Auroi et Patrick Bloche. La position constante de la France sur ce point est connue. Et un amendement à la proposition de résolution du Parlement européen, présenté à l'initiative d'un parlementaire français, a été adopté, tendant à exclure les services culturels et audiovisuels du mandat de négociation. Dans un champ voisin, celui de la protection de la vie privée, nous devrons être très exigeants. Le projet de révision de la directive de 1995, présenté par la Commission en 2009, suscite de vives inquiétudes aux États-Unis, qui ont l'intention d'être très offensifs sur ce point – toutes les ONG nous l'ont confirmé. Nous ne devons pas faire de concessions sur la conception européenne de la protection des données personnelles.

Le mandat de négociation doit aussi clairement exclure nos préférences collectives. Cet accord ne doit pas être l'occasion pour les États-Unis d'exporter en Europe des produits contenant des OGM, du bétail cloné, du boeuf aux hormones ou du poulet lavé au chlore. Pourtant, la principale organisation agricole américaine (le Farm Bureau) affiche clairement l'objectif d'accroître les flux commerciaux agricoles des États-Unis vers l'Europe. Cela exigerait de conclure un accord « SPS plus » très offensif de la part des Américains avec une demande de levée des restrictions européennes sur les viandes traitées aux hormones de croissance, celles ayant subi un traitement antimicrobien ou de réduction des agents pathogènes, ainsi que sur l'absence d'étiquetage spécifique des produits contenant des OGM. De façon générale, les États-Unis sont opposés au principe de précaution qui prévaut en Europe et font valoir que seules peuvent être retenues les réglementations étayées par des arguments scientifiques. Le respect des choix de société et la liberté pour chaque partie d'analyser et de gérer les risques à sa manière devront être reconnus. Sur ce point, on peut légitimement s'inquiéter que la Commission européenne ait par avance fait une concession en autorisant la pratique américaine de nettoyage des carcasses de viande à l'acide lactique.

La Commission voudrait inclure les marchés publics de défense et de sécurité dans son mandat, alors que jusqu'à présent, ils ne l'ont jamais été dans aucune négociation commerciale. Il faut rappeler que l'Union européenne commence tout juste à ouvrir ces marchés entre États membres, en application d'une directive de 2009 qui prévoit cette ouverture afin de renforcer la base industrielle et technologique de l'Union dans ce domaine. L'ouverture aux pays tiers n'est pas prévue car elle irait à l'encontre de cet objectif. Elle serait également contraire à celui de préserver une capacité stratégique relevant d'enjeux de souveraineté. Quant à l'ouverture des marchés américains, elle serait illusoire. J'en veux pour preuve l'annulation en 2011 d'un contrat de 35 milliards de dollars portant sur des avions ravitailleurs, initialement remporté par EADS et finalement revenu à Boeing. Enfin, du fait des dépenses militaires du pays, l'industrie de défense américaine profite d'économies d'échelle sans comparaison avec celles de l'industrie de défense européenne. Ouvrir les marchés publics de défense créerait des conditions de concurrence inégales et condamnerait l'industrie européenne au déclin. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Alors que le budget américain de la défense s'élève à 680 milliards de dollars, le budget consolidé de défense des membres de l'Union européenne ne dépasse pas 220 milliards d'euros.

Quant au recours à l'arbitrage, il ne me paraît pas souhaitable, pour plusieurs raisons. La société américaine est d'ailleurs très critique sur ce mécanisme. Les arbitrages rendus dans le cadre de l'ALENA depuis vingt ans sont riches d'enseignements. Les résultats pour les partenaires des États-Unis sont pour le moins mitigés en termes d'équité, de coûts et surtout de respect de la souveraineté ; jamais les États-Unis n'ont perdu devant les tribunaux arbitraux lorsqu'ils ont été attaqués par des entreprises canadiennes ou mexicaines. L'arbitrage est en outre très coûteux, si bien que seuls les grands groupes peuvent y recourir. Enfin, l'arbitrage entraîne des risques de coûts non négligeables pour les finances publiques en cas de condamnation dans la mesure où le tribunal arbitral a toute latitude pour fixer le montant de l'indemnisation. Par exemple, si la procédure d'arbitrage était retenue, les entreprises américaines concernées pourraient intenter un recours contre l'État français du fait de l'adoption en 2011 de la loi interdisant la fracturation hydraulique et obtenir de substantiels dédommagements.

Sur d'autres points, le projet de mandat est insuffisant. Je propose donc dans ce projet de résolution de le compléter et de le renforcer. Le mandat doit d'abord prévoir que la négociation avancera parallèlement sur les différents volets : accès aux marchés, barrières non tarifaires et règles communes pour répondre aux défis du commerce mondial. Le principe d'un engagement unique sur ces trois volets doit être affirmé. De même, le mandat doit comporter des exigences claires en matière de réciprocité. Avec Marie-Louise Fort, nous avons présenté il y a quelque temps une proposition de résolution relative à l'instrument de réciprocité sur les marchés publics. Les marchés publics européens sont potentiellement ouverts à 85 % tandis que les marchés publics américains ne le sont qu'à 32 %. Seuls 37 des États fédérés américains sont partie à l'accord multilatéral sur les marchés publics, dont, de surcroît, 12 excluent certains produits comme l'acier de construction, le charbon ou encore les véhicules à moteur, sans compter les marchés attribués à certaines entreprises, notamment celles détenues par des personnes issues de minorités ou opérant dans des zones défavorisées. Cet accord doit être l'occasion d'établir une véritable réciprocité.

Il faut enfin, comme je l'ai indiqué précédemment, que l'accord engage toutes les administrations des deux parties, y compris les États fédérés américains et les autorités et agences indépendantes du pays. C'est aussi une exigence-clé dans le domaine des services financiers. Nous avons un intérêt offensif à ce que ceux-ci soient inclus dans la négociation et à ce que l'on aboutisse à une convergence des normes comptables et prudentielles. En effet, l'accès au marché américain est encore limité pour les entreprises européennes dans les secteurs de la gestion d'actifs et de l'assurance. Ce sont les États fédérés qui ont compétence pour réglementer le secteur de l'assurance et certains imposent des obligations particulières en matière de réassurance, notamment sur les collatéraux ; conformément à la loi américaine, certains États fédérés attribuent le statut de « qualified jurisdiction » – qui permet d'alléger ces obligations – à des États membres de l'Union, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, mais pas la France. Les difficultés se sont par ailleurs accrues avec le projet de transposition du Dodd-Frank Act par la Réserve fédérale, qui imposerait un traitement discriminatoire aux banques étrangères installées aux États-Unis en ce qui concerne les exigences prudentielles. Là aussi, nous devons être très exigeants. Le Trésor américain ne souhaite pas que les services financiers soient inclus dans la négociation et le négociateur explique qu'il n'a pas d'autorité sur les organismes de régulation. Mais un éventuel accord s'appliquerait en revanche à l'ensemble des États membres de l'Union européenne et de leurs autorités de régulation et il faut donc trouver un équilibre.

Notre position doit être forte également sur la protection et la reconnaissance des indications géographiques, essentielles pour nos consommateurs et nos agriculteurs. C'est, on le sait, un sujet ancien de litiges avec les États-Unis. Le système de protection américain repose sur les marques alors que le nôtre, sui generis, est indépendant du droit des marques.

Certaines filières agricoles et agro-alimentaires ne peuvent pas être compétitives face aux filières américaines, vu la disparité des coûts de production, liée notamment au respect de certaines normes et bien-être animal, ainsi qu'au coût de l'énergie. Il faut pouvoir préserver une protection tarifaire pour ces filières et produits sensibles. Les éleveurs, les producteurs de maïs et d'amidon notamment sont très inquiets, nous l'avons constaté au cours de nos auditions.

Enfin, cet accord, qui servira de référence dans les négociations commerciales futures, se doit d'être très exigeant sur le respect de nos services publics et services d'intérêt général ainsi que des normes sociales et environnementales. Dans leurs différents accords de libre-échange, les États-Unis ont inclus des clauses environnementales et sociales, mais sans référence aux textes adoptés dans le cadre des instances multilatérales. Les États-Unis n'ont ratifié que deux des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du Travail (OIT), celles relatives à l'abolition du travail forcé et des formes les plus inacceptables du travail des enfants. De même, en matière environnementale, ils n'ont ratifié ni le protocole de Kyoto ni la convention de Rio relative à la biodiversité, ni la convention de Stockholm relative aux polluants organiques persistants. Et ils ont jusqu'à présent refusé toute contrainte en matière de lutte contre le réchauffement climatique et tout engagement de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Les ONG américaines que nous avons rencontrées attendent de l'Union européenne qu'elle ne baisse pas la garde et comptent sur elle pour élever le niveau d'exigence des normes sociales et environnementales outre-Atlantique. Ces ONG citent souvent le règlement européen REACH sur les substances chimiques comme un exemple de protection des citoyens qui pourrait être étendu. On voit aussi que certains États fédérés limitent actuellement les droits des syndicats.

Ce projet d'accord pourrait enfin être l'occasion d'introduire dans le cadre des négociations commerciales des problématiques nouvelles essentielles comme le dumping monétaire. Sur ce sujet, nous avons auditionné des représentants de l'OMC, du FMI et de la Banque mondiale. L'article 15 du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade) interdit toute manipulation monétaire destinée à entraver le commerce international. Or, l'OMC décline sa compétence pour appliquer cette disposition, soulignant notamment qu'il n'existe pas de jurisprudence sur le sujet. Le Brésil avait demandé qu'un groupe de travail soit mis en place, en partenariat avec le FMI, mais sa demande n'a pas abouti. Les économistes du FMI que nous avons rencontrés nous ont expliqué que l'organisation avait à déterminer ce qui était, en aucun cas à apporter des éléments tendant à prouver qu'un État manipule sa monnaie. La preuve de la manipulation est de toute façon très difficile à établir et, en tout état de cause, les décisions devraient être prises par le conseil d'administration, où siègent justement des États soupçonnés de recourir à de telles pratiques…

La présente proposition de résolution reprend tous ces points, avant de conclure sur la nécessité d'un cadre de négociation qui permette un contrôle démocratique. En effet, la Commission européenne est compétente pour négocier au nom des États. Conformément au traité de Lisbonne, le Parlement européen, dont la résolution n'est pas contraignante, sera tenu informé de l'évolution des négociations et devra ratifier l'accord. Quant aux parlements nationaux, ils ne seront consultés qu'au moment de la ratification. Il est donc important que, dès la définition du mandat, nous défendions nos positions avec force. Les 26 autres États-membres sont favorables à l'entrée dans les négociations, mais nous n'avons pas nécessairement la même position qu'eux sur un certain nombre de points. Ainsi, le premier ministre britannique, David Cameron, s'est-il déclaré favorable à ce que tout soit mis sur la table des négociations. Ce n'est absolument pas notre position. De même, la Chancelière allemande, Angela Merkel, influencée par son lobby industriel, est très allante sur cet accord. L'Allemagne exporte un million de voitures par an aux États-Unis : cet accord constituerait donc pour elle une opportunité.

En conclusion, les États-Unis considèrent cet accord nécessaire parce qu'ils refusent que les futures normes mondiales soient établies par les pays émergents. Pour notre part, nous avons des intérêts offensifs à défendre – le secteur de la chimie par exemple nous a dit être très favorable à cet accord. Mais nous ne devons pas nous engager dans les négociations en position de faiblesse. Nous devons défendre nos intérêts. (applaudissements)

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