Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 29 mai 2013 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Je vous remercie d'avoir souligné ma disponibilité, qui est tout à fait normale s'agissant de sujets sur lesquels le Gouvernement doit avoir un dialogue avec la représentation nationale. De mon côté, j'apprécie l'attitude de tous les groupes.

L'analyse de M. Dufau est juste. De local à l'origine, le conflit est devenu régional puis international. C'est à la fois un immense danger mais aussi, peut-être, en raison de l'intervention maintenant des puissances internationales, l'occasion de trouver une solution. Sans partir dans de grandes envolées stratégiques, ce conflit est aussi l'occasion de faire le point sur la situation des grands équilibres mondiaux. Pendant longtemps, la situation était bipolaire, entre URSS et États-Unis. Même si la France du général de Gaulle refusait ce condominium, c'était celui qui réglait beaucoup de questions. Après la chute du mur, le monde est devenu unipolaire, les États-Unis restant la seule puissance dominante, maîtrisant tous les éléments – techniques, militaires et politiques – de cette puissance. Cette période fut assez brève. On prétend maintenant que le monde est multipolaire. Ce serait une bonne chose, mais je ne le crois pas. Nous sommes plutôt dans un monde apolaire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de puissances qui puissent s'accorder pour trouver la solution à des conflits. C'est ce qui explique la paralysie du Conseil de sécurité. S'il y a, malgré tout, quelques puissances suffisamment raisonnables pour espérer trouver une solution, rien n'est acquis.

Plusieurs d'entre vous ont souligné que, contre toute attente, le régime de Bachar el-Assad s'est montré plus solidement établi que près de chuter. C'est en particulier ce qu'observent les militaires. Cela s'explique par le fait que l'Iran est entré beaucoup plus fortement dans le conflit aux côtés de Bachar el-Assad. Même si beaucoup d'éléments combattants sont syriens, l'encadrement est souvent assuré par des responsables iraniens. Sans compter les militants du Hezbollah, que nous estimons entre 3 000 et 4000. Plusieurs milliers de combattants très solidement armés et prêts à mourir, cela fait une différence importante. Ce côté a aussi bénéficié du fait que les Russes ont continué à livrer des armes. En face, même si la Coalition a trouvé des points d'union, des divisions demeurent qui empêchent les parties réunies en ce moment à Istanbul de se mettre d'accord. Autre élément nouveau, les opposants à Bachar el-Assad sont aussi touchés par un mouvement d'extrémisation, y compris parmi les combattants européens et d'origine française. C'est un phénomène nouveau qui n'existait pas il y a un an. La dégradation de la situation des pays voisins – Jordanie, Liban, Irak, Turquie – a également fourni l'occasion au régime de donner une dimension religieuse au conflit et de l'internationaliser alors même que les Libanais ne voulaient pas s'en mêler. Or la porosité des frontières est telle qu'ils n'ont pu l'éviter.

Les invitations à la conférence de Genève 2 seront sans doute lancées par les Nations unies, bien sûr en fonction des déclarations entendues ici et là. Les participants indiscutables sont ceux qui étaient présents à Genève 1. D'autres sont beaucoup plus problématiques. Ainsi, qui va venir du côté du régime ? Des noms ont été proposés, mais ont-ils autorité, sont-ils acceptables ? Du côté de l'opposition, on attend la Coalition mais élargie. Or celle-ci n'a pas encore pris de décision, même si certains éléments comme Michel Kilo et Moazz al-Khatib se sont dits favorables. D'autres pays posent encore plus de problèmes, en particulier l'Iran. À son sujet, certains pays et certains observateurs pensent qu'il doit être partie prenante au titre de belligérant, puisque ce sont les pays en guerre qui font la paix. Cette thèse est principalement défendue par les Russes. Au sein des Nations unies, le tropisme généralement répandu est que les conférences doivent réunir tout le monde autour de la table, mais il y a d'autres points de vue plus variés. Lors d'une réunion des principaux supports de la Coalition, en Jordanie, tout le monde s'est prononcé contre la participation de l'Iran. Moi-même, je me suis exprimé en ce sens en m'appuyant sur des arguments que je vais maintenant développer.

D'abord, en principe, les belligérants qui participent à une telle conférence acceptent le but de la conférence qui est d'aller vers un succès. Or, jusqu'à présent, jamais les Iraniens n'ont dit qu'ils souhaitaient une solution politique, et encore moins une solution politique qui serait la désignation d'un gouvernement de coalition qui prendrait les pouvoirs de M. Bachar el-Assad. Les déclarations des autorités iraniennes indiquent plutôt qu'elles soutiendraient une candidature de M. Bachar el-Assad aux élections de 2014. S'ils peuvent changer de point de vue, jusqu'à présent les Iraniens n'ont jamais reconnu les termes de Genève 1. Or c'est la reconnaissance de ces termes qui peut rendre possible un Genève 2. C'est le premier élément important : faire venir dans une conférence de ce type un pays qui n'était pas à Genève 1 et dont l'objectif est de ne pas trouver de solution n'est tout de même pas de nature à favoriser la résolution du conflit.

Ensuite, nous craignons qu'il y ait une collision entre la question syrienne et celle du nucléaire iranien. Cette dernière n'a pas disparu, elle a simplement été retardée. Pendant longtemps, on a pensé qu'il faudrait prendre une décision avant les élections iraniennes qui auront lieu au mois de juin. Puis, pour différentes raisons, les problèmes techniques ont été modifiés et l'on estime maintenant que c'est vers la fin de l'année 2013 ou au cours de l'année 2014 que la question sera vraiment posée à l'ensemble des nations de l'arme nucléaire pour l'Iran. Beaucoup d'entre nous craignent, si l'Iran est partie prenante de la conférence sur la Syrie, que toute sa tactique soit de la freiner pour arriver à faire jonction avec le dossier nucléaire et conditionner la solution syrienne à la possibilité de faire la bombe. Voyez la difficulté immense dans laquelle nous nous trouverions. Ces craintes ne sont pas le produit de notre imagination. Depuis plus de deux ans, une discussion se déroule entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne, dits P6, et l'Iran à propos du nucléaire iranien. Or, pendant plusieurs séances, l'Iran a demandé qu'on commence par discuter de la Syrie, le risque étant de lui apporter sur un plateau ce qu'il demande. Si l'Iran accédait au nucléaire, cela aurait des conséquences redoutables dans une zone aussi éruptive ; l'Égypte, l'Arabie saoudite, la Turquie et d'autres pourraient peser pour faire accepter la dissémination nucléaire. Pour résumer, à la fois pour les raisons de fond que, jusqu'à présent, l'Iran n'a jamais dit clairement qu'il était pour un gouvernement de transition, et pour le risque de jonction avec le nucléaire, nous disons très clairement que ce serait une erreur de l'inviter à Genève 2. Or nous ne sommes pas maîtres de la décision et c'est une question dont nous discutons actuellement, qui n'est pas mince.

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