On peut être plusieurs à commettre une erreur.
Nous travaillons, avec mes collègues Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian, sur le sujet des djihadistes européens et français. Aucun d'entre nous ne peut donner de chiffres à l'unité près. Selon Manuel Valls, l'ordre de grandeur est de plusieurs dizaines de Français, nos amis belges ayant, de façon étonnante pour un pays plus petit, plus de personnes là-bas. La question est : que vont-elles y faire et que deviennent-elles ? Certaines, comme dans toute guerre, perdent la vie ; d'autres s'orientent vers d'autres chemin à l'issue de cette expérience ; d'autres encore partent vers d'autres terrains ou bien reviennent. Ces personnes font l'objet d'un suivi très attentif de la part de nos services. Par son ampleur, le phénomène est nouveau. Comparé à l'Afghanistan, par exemple, pourquoi y a-t-il plus d'Européens ? D'une part, la Syrie est beaucoup plus accessible ; d'autre part, al-Qaïda, par le biais du front al-Nosra, a beau jeu de dire qu'il combat le tyran Bachar el-Assad. S'il est vrai que M. Bachar el-Assad est un tyran, les méthodes et la finalité d'al-Qaïda ne sont pas pour autant acceptables. Cette cause qui, en apparence, est la lutte contre un dictateur, permet finalement de faire toutes les synthèses, ce qui est extrêmement dangereux. Face à cela, nous devons nous montrer extrêmement actifs et vigilants.
Je comprends l'inquiétude de M. Mariani qu'on puisse prendre prétexte de l'utilisation d'armes chimiques comme on a pu le faire des armes de destruction massive. La réponse nous sera apportée lorsque les rapports seront publiés. Cela dit, je n'ai pas indiqué que les présomptions d'utilisation localisée d'armes chimiques étaient de plus en plus étayées au hasard. Une telle utilisation a été imputée à l'opposition également ; nous n'avons pas de trace en ce sens. La déclaration en a été faite devant les Nations unies notamment, mais pour l'instant aucun élément n'a été apporté.
S'agissant de la diplomatie russe, on peut se demander pourquoi le Président Poutine a opté pour l'attitude qu'il a adoptée. Dans les discussions avec des responsables russes, l'argument qui revient toujours à la fin c'est que si Bachar n'est plus là, ce sera le chaos. Mais le chaos est déjà là, leur répondons-nous – et ils y sont sensibles, sinon ils n'auraient pas bougé leurs positions –, et il faut l'organiser. Nous sommes d'accord avec les Russes sur la nécessité de tirer les leçons de l'Irak où à la fois le renversement d'un dictateur et la destruction des institutions du régime ont engendré des problèmes terribles pendant des années. Bien évidemment, M. Bachar el-Assad n'a pas sa place là où il est, mais il ne faut pas que les institutions soient détruites en même temps. C'est là toute la difficulté et la raison pour laquelle nous soutenons l'idée d'un gouvernement de transition composé à la fois de représentants de l'opposition et de représentants du régime. L'armée, par exemple, est composée essentiellement d'Alaouites ; n'allons pas dire que l'armée à majorité alaouite n'existera plus ; les Alaouites ont parfaitement leur place dans la Syrie du futur.
La question d'Israël et des missiles S300 est très compliquée, et je ne serai pas très prolixe sur le sujet. Les S300 sont des armes sol-air que les Russes disent n'avoir pas encore livrées alors que le contrat est signé depuis plusieurs années. Interrogés publiquement, ils ont déclarés leur intention de les livrer, ce qui pose bien des problèmes. Certains membres du gouvernement israélien ont réagi, disant qu'Israël ne le permettrait pas. Or je viens d'apprendre que le Premier ministre israélien, M. Netanyahou, leur a demandé de ne plus réagir en ces termes. Je précise aussi que ce dernier s'est rendu l'autre jour à Moscou où il a rencontré le Président Poutine, et qu'ils ont certainement eu l'occasion de discuter de tout cela.
Un autre problème pour l'opposition syrienne, et pour nous si nous décidions de livrer des armes, c'est que les missiles sol-air sont faits normalement pour intercepter des éléments aériens. Les Russes disent : cela signifie que nous ne voulons pas qu'il y ait d'attaque. Or c'est un peu plus compliqué. Admettons que soit décidée une zone d'exclusion aérienne. Les missiles sol-air peuvent, en théorie, frapper les avions qui auraient pour objet de défendre une telle zone. Sont-ils ou ne sont-ils pas contradictoires avec la possibilité d'avoir une zone d'exclusion aérienne ? C'est encore une raison pour laquelle nous souhaitons vraiment éviter tout nouvel élément qui pourrait rendre le conflit encore plus vif.
En entendant la proposition de M. Marsaud de conclure un accord avec la branche politique du Hezbollah, je me disais que les gens qu'il avait rencontrés étaient certainement de bons diplomates. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il faille prendre tout ce qu'ils proposent pour argent comptant. La position de la France à propos du Hezbollah est maintenant claire : il n'est pas acceptable que des milliers de Libanais soient envoyés en Syrie pour faire la guerre aux résistants. Nous avons déjà des contacts avec l'organisation politique du Hezbollah au Liban, mais pas seulement. Nous avons des positions fermes vis-à-vis de l'Iran mais j'ai autorisé mon directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à les exprimer aux Iraniens.
J'ai plaisanté à propos d'une transposition de l'accord de Taëf, mais il est vrai qu'elle aurait du sens. La situation sur le terrain est si épouvantable qu'on imagine avec peine l'avènement d'une république syrienne à la française. Il faut, autant que possible, arriver à trouver un accord politique, à faire descendre la pression, à faire coexister tous ces gens pour retrouver une Syrie qui ait un sens. On n'y arrivera pas nécessairement en faisant appel à la pensée cartésienne, ce sera certainement plus compliqué. Sans reprendre Taëf au pied de la lettre, l'idée est bien celle que, dans un pays composite, il faut à la fois respecter la diversité tout en ayant une unité. Toutefois, si l'on repense aux difficultés rencontrées pour faire Taëf, on imagine ce que cela pourrait être en Syrie.
Tels sont les éléments d'analyse de la diplomatie française que je pouvais porter à votre connaissance. Évidemment, nous souhaitons une solution politique et nous y travaillons en tant que partie prenante, même si les choses sont très difficiles. Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles qu'il ne faut pas les tenter, c'est parce qu'on ne les tente pas qu'elles sont difficiles.
Le 06/06/2013 à 01:15, chb17 a dit :
"Cette cause qui, en apparence, est la lutte contre un dictateur, permet finalement de faire toutes les synthèses, ce qui est extrêmement dangereux."
On ne le lui fait pas dire, alors qu'il tente très cyniquement de redessiner la carte du M-O, via moult quasi-mensonges et aux côtés de quelques dictatures !
Mais au fait, "la solution" pour la Syrie appartient-elle à la France, plus que la solution pour la Palestine, ou la solution pour Guantanamo ?
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