Intervention de Thierry Braillard

Séance en hémicycle du 4 juin 2013 à 15h00
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, ce projet de loi présente plusieurs aspects positifs quant au statut et au rôle des magistrats du parquet. À cet égard, il est complémentaire du projet de loi constitutionnelle qui vient d'être voté en première lecture, projet qui modifie le mode de nomination des magistrats du parquet, désormais nommés, comme la plupart des magistrats du siège, sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et non plus après son avis simple.

Je rappelle que, dans le cadre de la règle de l'avis simple, plusieurs ministres ont naguère passé outre l'avis négatif du CSM et nommé des procureurs controversés. En revanche, d'autres ministres ont veillé à toujours se conformer à l'avis du CSM : Ce fut le cas de Mme Guigou et de Mme Lebranchu de 1997 à 2002, plus récemment de Mme Alliot-Marie et de M. Mercier, enfin, mais ce n'est pas une surprise, de vous-même.

Ainsi, le projet de loi dispose que le ministre de la justice adresse des « instructions générales » aux magistrats du ministère public, mais qu'« il ne peut leur adresser aucune instruction dans les affaires individuelles ». On comprend évidemment l'objectif poursuivi : éviter toute ingérence du pouvoir politique dans les cas particuliers. Toutefois, cette disposition peut poser problème par rapport au principe de l'opportunité des poursuites. Si un procureur s'abstient de poursuivre alors que l'intérêt général le commanderait, il serait utile que le ministre puisse mettre en mouvement l'action publique. Cette faculté figurait dans le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, présenté par le gouvernement Jospin et voté par cette assemblée le 30 juin 1999 ; la disposition était ainsi rédigée : « Lorsque le ministre de la justice estime, en l'absence de poursuites pénales, que l'intérêt général commande de telles poursuites, il met en mouvement l'action publique. »

Par ailleurs, l'actuel projet comporte une contradiction interne quant à la conduite et à la mise en oeuvre de la politique pénale : d'une part, l'article 1er affirme que « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement [et qu'il] veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République », ce qui est fort bien, mais l'article 2 permet que le procureur général « précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la justice au contexte propre au ressort », et l'article 3 dispose que « le procureur de la République met en oeuvre dans son ressort la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et le cas échéant, adaptées par le procureur général en tenant compte du contexte propre au ressort ».

La faculté donnée aux procureurs généraux et aux procureurs de la République d'adapter à leur ressort les instructions générales de la chancellerie comporte un risque important : celui d'aller vers une politique pénale à géométrie ou plutôt à géographie variable, qui ne serait pas la même d'un ressort à l'autre, en fonction de l'appréciation propre de tel ou tel responsable du ministère public. Il y a là un véritable danger de voir l'action publique se décliner de manière différente selon les secteurs alors que la même politique pénale doit s'appliquer sur tout le territoire de la République.

Le principe de l'unité du droit pénal et de l'égalité de chacun devant la loi pénale est pourtant un principe essentiel en démocratie, il remonte à 1789. Mes chers collègues, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme est ainsi rédigé : la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. » De plus, selon l'article 20 de la Constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. » Parmi cette politique nationale figure la politique pénale, qui doit donc être déterminée et conduite par le Gouvernement, principalement par le garde des sceaux, c'est-à-dire par des autorités procédant du suffrage universel, facteur principal de légitimité en démocratie.

Quels que soient la qualité de vos intentions, l'affection personnelle que nous vous portons, madame la ministre, et l'intérêt du projet de loi, nos réserves sur ces points amèneront notre groupe à s'abstenir.

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