Madame la présidente, madame la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, mes chers collègues, le Président de la République vient, à l'orée de la deuxième année de son quinquennat, de nous inciter à l'offensive, celle qui doit permettre à la France de répondre aux défis essentiels des vingt prochaines années.
En s'adressant aux Français à travers la presse, François Hollande a cité, parmi les priorités, la transition énergétique et la mutation écologique qui n'est rien de moins, a-t-il dit, que le changement de nos modes de production, de transports et de consommation. C'est la seule façon, selon lui, de redonner de l'espoir en modifiant d'ores et déjà la perception du présent.
Cet élan, qui passera par la mobilisation de tous les moyens, ne sera pas gagné sur le retour d'une hypothétique croissance pour améliorer à la marge notre modèle de développement. Ce ne sera pas non plus un supplément d'âme pour remédier aux carences sociales et environnementales de notre société. Ce sera au contraire le fil conducteur d'une transition globale vers un autre modèle qui diminue le chômage, lutte contre les inégalités sociales et assure le bien-être des citoyens au sein d'un environnement préservé pour notre génération comme pour les suivantes.
À présent nous n'avons plus réellement le choix. La façon dont nous avons géré notre développement durant les soixante dernières années aboutit à un bilan quelque peu accablant.
Le chômage, qui touche plus de trois millions de personnes, s'accompagne de la progression de la pauvreté et de la croissance des inégalités, alors que la France se situe dans le peloton de tête des pays développés en termes de productivité par travailleur.
La biodiversité a tant reculé, du fait de l'exploitation sans limite des ressources naturelles, que nous sommes déjà privés de 60 % des services et des biens fournis par les écosystèmes nécessaires à notre vie sur terre. Il s'agit notamment des médicaments, de l'épuration de l'eau, de la pollinisation, de la lutte contre l'érosion, du stockage du gaz carbonique ou encore de la régulation du climat.
La santé de chacun est menacée par la dégradation de notre environnement ; l'espérance de vie en bonne santé diminue ; l'air que nous respirons dans les villes est directement responsable de 42 000 décès prématurés ; 40 % de nos fruits et légumes comportent des traces de produits phytosanitaires ; 250 hectares de terres agricoles disparaissent chaque jour ; la pêche intensive et l'aquaculture exercent une pression croissante sur les écosystèmes marins, décimant certaines espèces.
Nous ne réduisons pas suffisamment notre empreinte carbone, responsable du dérèglement climatique. Si nous ne changeons pas davantage nos modes de vie d'ici 2050, nous ne parviendrons à diviser nos émissions de gaz à effet de serre que par deux ou 2,5 par rapport à 1990, alors qu'il faudrait les diviser par quatre pour préserver nos écosystèmes. Autrement dit, nous diminuerons nos émissions de 50 % à 60 % au lieu des 75 % exigés, et nous franchirons le seuil au-delà duquel nous perdrons le contrôle des catastrophes climatiques.
Alors que le prix des énergies fossiles sera dorénavant en hausse permanente, nous disposons d'un parc immobilier énergivore, donc inadapté, de 30 millions de logements et de bâtiments anciens.
En définitive, ce modèle de croissance – purement quantitative, de plus en plus réservée à une certaine partie de la population, fondée sur la consommation et la pollution des ressources naturelles dont les coûts ne sont tout simplement pas pris en compte – a accouché d'une société de régression qui sera de toute façon, à plus ou moins brève échéance, confrontée à la réalité de la rareté.
Pour éviter que le choc ne soit géré dans le conflit et la violence, il faut donc d'urgence entamer une transition qui nous mène progressivement vers un modèle de développement soutenable, en cessant de faire ce que nous faisons depuis trop longtemps : opposer l'économie et la compétitivité à l'écologie. Bien au contraire, l'exigence environnementale doit être utilisée comme un levier permettant de favoriser l'activité économique et l'emploi, d'améliorer le bien-être et de réduire les inégalités sociales.
Cette exigence, loin de pousser à la récession, recèle de nombreuses chances à saisir, comme le développement de l'économie circulaire. Contrairement à l'économie linéaire qui extrait des matières premières pour fabriquer des produits jetés en fin de vie par les consommateurs qui les ont achetés, ce modèle s'inspire des écosystèmes naturels qui transforment et réutilisent.
Il s'agit de concevoir des produits en tenant compte de leur impact environnemental, d'organiser l'industrie au sein des territoires, afin que les déchets des uns servent de ressources aux autres. Il s'agit de réutiliser, réparer, recycler et enfin de privilégier, via l'économie de la fonctionnalité, l'usage et la location sur la possession et l'achat. Cette économie circulaire a force de loi en Allemagne depuis 1994, au Japon depuis 2000 et en Chine depuis 2008. Faisons en sorte que la France ne tarde pas à rejoindre ces pays.
L'économie sociale et solidaire a également un rôle essentiel à jouer dans cette transformation, afin de développer des activités économiques jugées insuffisamment rentables par le système bancaire pour être financées, alors qu'elles sont profondément utiles à la collectivité.
Cette nouvelle approche, créatrice d'emplois, devra s'appliquer également à l'énergie, moteur et talon d'Achille de notre économie, mais aussi aux transports et à l'agriculture. En permanence et à tous les stades, la sobriété et l'efficacité devront remplacer la consommation à tous crins et le gaspillage.
Il s'agit de mettre en place des énergies renouvelables, d'assurer leur stockage, d'isoler les bâtiments, de rendre les transports moins polluants et énergivores mais tout aussi performants, de développer une agriculture restaurant la qualité des sols, de l'air et de l'eau, tout en préservant la santé des agriculteurs et la qualité des aliments.
Loin de constituer une punition ou de nous renvoyer vers le passé, cette évolution nous permettra de nous engager vers l'avenir. Actuellement, de nombreuses filières de l'économie verte sont déjà matures, d'autres le seront demain.
Cette nouvelle démarche de production se fera en synergie avec une autre façon de consommer, qui réponde plus aux besoins absolus qu'aux désirs relatifs dopés par une offre artificielle. Produire localement sa propre énergie, acheter un service plutôt qu'un bien, partager un trajet grâce au covoiturage ou un logement en échangeant son appartement, coproduire son alimentation en s'engageant vis-à-vis d'agriculteurs et d'éleveurs de proximité, toutes ces démarches, encore marginales, pourront se développer. La Suède, la Finlande, le Royaume Uni ont ainsi déjà mis en place des politiques de consommation durable.
Au final, produire et consommer, quoiqu'il en coûte et sans discernement, ne pourront rester, dans cette ère de rareté, l'alpha et l'oméga de notre existence. Ces deux actes économiques devront réintégrer les paramètres sociaux et environnementaux, afin que les citoyens puissent décider en toute souveraineté des productions et des consommations qu'ils souhaitent relancer et de celles qu'il convient d'abandonner.
C'est ainsi que nous engagerons la transition et par là même la construction d'un nouveau modèle. Pour le rendre soutenable, il faut agir de manière globale, en amont économiser les ressources, en aval restaurer ou reconstituer, quand c'est possible, celles que l'on utilise, et, pour ce faire, tarifer à leur juste prix l'ensemble des usages des ressources naturelles et des atteintes qui leur sont portées, au moyen d'une fiscalité écologique dont l'objectif est d'inciter les acteurs économiques à adopter des comportements plus respectueux de leur environnement, en leur adressant un signal-prix.
Le pouvoir exécutif a bien compris que cette fiscalité écologique était au coeur de notre nouveau modèle de développement.
C'est tout d'abord François Hollande qui a exprimé le souhait, lors de la conférence environnementale du mois de septembre dernier, que la fiscalité taxe moins le travail mais plus les pollutions ou les atteintes à la nature, dissuade les mauvais comportements et accélère les mutations. Ce sont les ministres de l'économie et de l'écologie qui ont installé, le 18 décembre, le comité pérenne pour la fiscalité écologique, présidé par Christian de Perthuis. C'est enfin le Premier ministre qui, après avoir indiqué que la fiscalité écologique compenserait le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi à hauteur de trois milliards d'euros, a précisé le 13 janvier, dans ses lettres de cadrage aux ministres, qu'elle devrait à moyen terme rejoindre la moyenne européenne.
Il revient donc maintenant au pouvoir législatif de prendre une initiative visant à accompagner la mise en oeuvre des orientations arrêtées par le Gouvernement, d'une part en lui indiquant les priorités que nous fixons, d'autre part en marquant notre totale détermination à faire inscrire les premières mesures d'une véritable fiscalité écologique, dès la loi de finances pour 2014. Nous avons fait le choix d'une proposition de résolution car elle traduit parfaitement l'adresse politique qui se veut la nôtre à l'égard du Gouvernement.
Nous proposons la mise en place d'une fiscalité destinée à économiser l'énergie, lutter contre le changement climatique, réduire les pollutions, préserver la santé, sauvegarder la biodiversité et économiser les espaces ruraux.
Nous affirmons notre volonté de défendre une plus grande justice sociale, tant il est vrai qu'inégalités sociales et inégalités environnementales sont fortement liées. De même, nous souhaitons préserver la compétitivité des entreprises. C'est pourquoi des compensations devront impérativement aider les ménages vulnérables, les secteurs d'activité exonérés actuellement pour le gazole et les entreprises exposées à la concurrence internationale à s'adapter. Nous accompagnerons les agents économiques, qui sauront ainsi modifier leurs comportements grâce à un signal prix clair et progressif.
Nous souhaitons que cette nouvelle fiscalité écologique permette de financer la transition écologique dont le coût s'élève à plusieurs dizaines de milliards d'euros par an.
Nous demandons que nos prélèvements obligatoires qui reposent actuellement sur le travail, le capital et la consommation des biens et services, traduisent un nouveau choix de société en s'appuyant demain sur un quatrième pilier, celui des ressources naturelles et des pollutions.
Nous considérons enfin que le Gouvernement, respectant en cela les engagements du Président de la République, devrait avoir l'ambition d'inscrire dès la loi de finances pour 2014, les premières mesures d'une véritable fiscalité écologique. Ces dispositions concerneraient le début du rattrapage de l'écart de taux de TICPE entre gazole et essence, l'introduction d'une contribution climat-énergie notamment sur le carbone assortie d'un taux progressif dans le temps et les premières réformes fiscales en faveur de la biodiversité.
Avec cette proposition de résolution, ce n'est pas un message pessimiste ou anxiogène que nous voulons transmettre, c'est un message politique fort, clairement et totalement assumé par les parlementaires que nous sommes, qui montre bien notre souci de ne pas sacrifier l'exigence du long terme à l'urgence du court terme, afin de garantir à nos enfants la pérennité d'un monde toujours viable et de redonner à nos concitoyens l'espoir d'un changement créateur d'une vie meilleure et d'un horizon dégagé.
C'est pourquoi, mesdames et messieurs les parlementaires, je vous invite à voter cette proposition de résolution.