Madame la présidente, madame la ministre, comme vous le savez, les douze dernières années comptent parmi les treize années les plus chaudes jamais observées depuis le début des mesures en 1850. Plus grave encore, Gavin Schmidt, climatologue à la NASA, nous rappelle que « la dernière décennie a été plus chaude que la précédente et cette dernière a été plus chaude encore que celle d'avant ». Cela doit nous conduire à agir profondément et rapidement.
L'artificialisation des sols progresse chaque année à un rythme plus rapide que l'évolution démographique. Une surface de terres agricoles et naturelles équivalente à celle d'un département français disparaît tous les sept ans. Enfin, 9 % des espèces de mammifères et 22 % des espèces de poissons d'eau douce sont menacées d'extinction. Cela confère à la France une responsabilité particulière dans la lutte contre l'érosion de la biodiversité.
Parallèlement, nous devons faire face à des enjeux de santé publique majeurs. Vous le savez, l'OMS a reconnu les émissions des moteurs diesel comme cancérogènes. La Commission européenne estime que le nombre de décès prématurés dus aux particules fines atteint 42 000, le diesel en représentant environ 40 %. Vous avez d'ailleurs vous-même déclaré que le diesel est « un problème de santé publique sur lequel on ne peut plus fermer les yeux ».
Nous ne comptons plus les discours soulignant l'importance de l'enjeu environnemental, climatique et sanitaire, et l'urgence à le traiter. D'ores et déjà, les événements climatiques, les maladies chroniques bouleversent notre quotidien. Tous le reconnaissent. Il s'agit maintenant, sans attendre, de passer du discours aux actes. Dès le projet de loi de finances pour l'année 2014, la France doit donner un signe fort de son engagement environnemental, en menant une réforme fiscale écologique.
Bien sûr, vous vous heurterez aux résistances de ceux qui s'accrochent au modèle du passé, fondé sur une énergie bon marché, sur la pollution et le gaspillage des ressources. L'intervention de notre collègue de l'UMP Martial Saddier vient de nous en donner un triste exemple. Ce modèle s'épuise déjà : le prix moyen du baril de pétrole a été de 111 dollars en 2011 et 2012, niveau jamais atteint sur une si longue période, et ce malgré une crise. L'Agence américaine de l'énergie prévoit qu'il s'élèvera à 145 dollars en 2035. Si nous ne changeons rien, aucune tentative de relance, qu'elle soit keynésienne ou libérale, ne pourra résister à l'augmentation tendancielle du coût de l'énergie. L'extraction de quelques gouttes de gaz de schiste, au prix d'une détérioration irréversible des nappes phréatiques et de notre sous-sol, n'aurait pu nous apporter qu'un bref répit. Cela n'aurait pas rendu moins pressante la nécessité d'adopter un modèle d'économie légère, circulaire et sobre en ressources, qui puisse se développer dans un monde où les ressources sont rares.
Pourtant, beaucoup, au nom de l'emploi, vous demanderont de renoncer à votre action, de la reporter, de l'affaiblir. Mais de quel emploi parlent-ils ? De la préservation de l'emploi existant, peut-être. À cet égard, il faut entendre que certaines activités polluantes ou carbonées devront être accompagnées pour s'adapter à ces évolutions.
De l'emploi en général, certainement pas. Car ils devraient alors soutenir une réforme fiscale écologique ambitieuse, synonyme d'emplois nouveaux et de rebond de l'activité. Les travaux du Comité permanent pour la fiscalité écologique ont, d'ores et déjà, pu établir, par exemple, qu'une contribution « climat-énergie » dont les recettes seraient recyclées en investissements dans la transition écologique ou permettraient de baisser d'autres recettes fiscales aurait un impact positif sur l'activité et sur l'emploi de 0,06 point de PIB à l'horizon 2020 et de 0,15 point à l'horizon 2030.
Alors, que l'on ne nous demande de renoncer au nom de l'emploi !
Nous venons de le montrer, cette réforme fiscale écologique, en plus d'être nécessaire, est une réforme bénéfique ; elle est l'un des chemins de la sortie de crise que nous attendons tous. Nous vous invitons, par cette résolution, à la mettre en oeuvre sans plus attendre dans l'ambition, dans la cohérence, dans la constance et dans la justice.
Dans l'ambition, car nous ne pouvons nous donner un objectif inférieur au rattrapage de la moyenne européenne. En effet, en matière de fiscalité écologique, nous ne l'avons que trop entendu, la France se trouve à la vingt-sixième place sur les vingt-sept États de l'Union européenne. Il est plus que temps que la France sorte du fond des classements. La résolution que nous discutons ici acte cette ambition. L'effort de rattrapage s'établit à 18 milliards d'euros par an. Voilà donc fixé par le Président de la République et son Premier ministre le cap d'une fiscalité écologique ambitieuse quant à sa portée et à son rendement. La France doit tenir son rang en Europe et s'appuyer sur les exemples étrangers qui sont des réussites et doivent nous pousser à l'action. Je pense, madame la ministre, à l'exemple suédois, auquel vous avez fait référence lors du débat sur la fiscalité écologique, et à l'exemple danois cité dans cette résolution.
Dans la cohérence ensuite, car comment justifier la création de nouveaux prélèvements, que nous souhaitons incitatifs, si nous laissons de vieilles taxes inciter à des comportements nuisibles à l'environnement ? Selon la Cour des comptes, 20 milliards d'euros pourraient être économisés par la suppression de niches fiscales anti-environnementales, comme le souligne cette résolution. Il y est, en particulier, question de la fiscalité en matière de carburant et, notamment, du différentiel de taxation entre le diesel et l'essence, et de l'exonération de TICPE du kérosène. En la matière, un rattrapage aurait de nombreuses vertus : amélioration de la santé de la population et donc contribution à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, réduction des émissions de gaz à effet de serre et donc respect des engagements internationaux de la France, réduction du déficit de la balance commerciale ou encore convergence de la fiscalité avec l'Allemagne.
Mais la cohérence, c'est aussi, nous le répétons ici, ne pas mettre en place, parallèlement aux mesures fiscales écologiques, une augmentation de la TVA qui pénaliserait les secteurs phares de la conversion écologique : la rénovation thermique, les transports collectifs, le recyclage des déchets.
La réforme fiscale doit se faire également dans la constance, puisque, dans la résolution que nous étudions, l'Assemblée nationale « souhaite que cette nouvelle fiscalité écologique » soit « claire, stable, prévisible et mise en oeuvre de façon progressive ». Ici, le maître mot est « prévisibilité », une condition sine qua non pour que la fiscalité écologique soit à la fois acceptée et vraiment incitative, donc efficace.
Enfin, elle doit se faire dans la justice. À cet égard, la fiscalité écologique ne peut pas servir qu'à abonder le budget de l'État, sans quoi elle ne sera ni acceptable, ni acceptée. Pour qu'elle soit légitime et acceptable, elle doit être incitative et doit se donner pour objectif de modifier les comportements sans pénaliser les plus faibles.