Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 28 mai 2013 à 16h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, je suis heureuse de vous retrouver ici pour aborder la question des personnes âgées immigrées, question qui concerne notre société toute entière. En effet, le destin de ces hommes et de ces femmes est intimement lié au nôtre et à celui de notre pays. On ne peut pas évoquer la situation de ces personnes sans se souvenir que leur histoire s'inscrit pleinement dans la nôtre, puisqu'ils sont venus pour nous aider dans la reconstruction de notre pays.

On a tendance, lorsque l'on parle de questions sociales, à mettre en avant des chiffres, des statistiques et des réalités. Mais je tiens à rappeler que derrière ces chiffres et ces statistiques, il y a des hommes, des femmes, des parcours de vie, des engagements, des choix. Derrière ces réalités, il y a une diversité de situations sociales : des ouvriers agricoles, des travailleurs du bâtiment et de l'industrie, des femmes qui, en général, ont rejoint la France plus tard, dans le cadre du regroupement familial. Quoi qu'il en soit, ceux dont nous parlons aujourd'hui sont venus en France pour nous apporter leur travail et dans l'espoir d'une vie meilleure.

Aujourd'hui, ces hommes et ces femmes ont vieilli. Mais ils ne sont pas reconnus, comme s'ils n'existaient pas. Ils sont devenus « invisibles », qualificatif qui revient souvent dans leur bouche et dans celle des représentants des associations qui les aident. Ces hommes et ces femmes sont nombreux à exprimer un sentiment d'incompréhension, et leur impression d'être mis à l'écart d'une société à laquelle ils ont beaucoup contribué. En arabe dialectal, on les appelle les chibanis, c'est-à-dire les anciens ou les « cheveux blancs ». Or les chibanis ne vivent pas bien dans notre pays.

Nombre d'entre eux sont isolés et doivent endurer les épreuves quotidiennes de la solitude ou de l'indifférence. Leur maîtrise de la langue française n'est pas suffisante, ce qui leur pose des difficultés pour comprendre les procédures administratives et accéder aux droits auxquels ils pourraient prétendre.

Leur retraite est très modeste. Beaucoup d'entre eux ont occupé des emplois qui, pendant des années, n'ont pas été déclarés. Certains ont enchaîné petits boulots ou emplois à temps partiel. D'autres ont été obligés d'arrêter de travailler assez tôt parce qu'ils étaient devenus invalides ou en raison de la pénibilité des tâches qui étaient les leurs. Ces situations les contraignent, d'une façon générale, à dépendre en totalité ou en partie de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l'ancien « minimum vieillesse ». Par ailleurs, lorsqu'ils le peuvent encore, ces hommes et ces femmes effectuent des allers et retours entre la France et leur pays d'origine. Mais de telles habitudes de vie génèrent des ruptures de droits sociaux.

Ces personnes sont mal logées. Elles vivent souvent dans des hôtels meublés, des foyers de travailleurs migrants ou au sein de parcs privés diffus plutôt dégradés. Ces conditions de vie précaires sont inadaptées à leurs besoins, d'autant qu'une partie d'entre elles est en perte d'autonomie. En outre, malgré leur mauvais état de santé, les chibanis renoncent fréquemment à se soigner.

Reconnaître cette situation est une exigence, et je me réjouis des travaux que conduit votre mission. La première responsabilité des pouvoirs publics et des élus est bien de rendre visible une réalité sociale qu'il ne s'agit pas de cacher. Ma volonté, comme celle du Gouvernement, est de faire en sorte que ces personnes âgées immigrées bénéficient du droit commun. La règle dans notre pays est que chacun puisse avoir accès à ses droits.

Lorsque l'on évoque des situations particulières, on encourt le reproche de vouloir mettre en place des droits particuliers. Mais l'enjeu n'est pas celui-là : il est tout simplement que ces hommes et ces femmes puissent accéder aux droits auxquels ils peuvent prétendre. Dans le cadre de la Conférence nationale de la lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, Mme Carlotti et moi-même avons fait de l'accès aux droits l'un des enjeux majeurs de la lutte contre la pauvreté. Le problème ne concerne pas seulement les immigrés âgés, mais toutes les personnes en situation de fragilité ou de précarité. En effet, il est parfois difficile d'accéder au droit commun quand on ne maîtrise pas les procédures et qu'on ne sait pas à qui s'adresser.

Le combat du Gouvernement va néanmoins au-delà. Nous entendons reconnaître la dignité de ces hommes et de ces femmes, et exprimer fortement notre volonté de ne pas laisser de côté celles et ceux qui ont permis à notre pays de se construire, de façon vigoureuse, au cours des Trente Glorieuses. C'est le message que nous devons adresser aux nouvelles générations, quelle que soit leur origine. La République se préoccupe de toutes les générations. La solidarité intergénérationnelle est au coeur de notre pacte social.

Pour lutter contre les obstacles du quotidien, améliorer les conditions des personnes âgées immigrées, je souhaite vous présenter les deux axes prioritaires de la politique que j'ai engagée.

Tout d'abord, dans le champ social – probablement le champ principal – il est devenu urgent d'apporter une réponse adaptée au mode de vie et aux besoins des immigrés vieillissants.

Commençons par la retraite. Comme tous les minima sociaux, l'ASPA est une aide financée par la solidarité nationale, qui permet de garantir un montant minimal de ressources aux retraités qui vivent en France, et ce en fonction du niveau de vie français. C'est pourquoi il est nécessaire d'avoir sa résidence principale en France pour en bénéficier, ce qui implique une présence de six mois minimum par année civile sur le territoire national. Si nous changions ces règles, nous prendrions le risque de rendre exportables toutes les aides sociales françaises, et nous serions amenés à verser ces prestations à des ressortissants communautaires. Ce n'est pas une orientation que nous pouvons privilégier ou défendre – pour des raisons financières et parce que d'autres pays ne pratiquent pas l'exportation de leur aide sociale. Je souhaite toutefois qu'une solution soit trouvée pour répondre aux difficultés particulières rencontrées par ces personnes. J'ai donc demandé à mes services de reprendre les expertises – qui avaient été abandonnées – visant à la mise en place de l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine prévue par la loi du 5 mars 2007 dite « loi DALO ». Je pense que nous pourrons avancer sur ce terrain, et je souhaite que nous aboutissions rapidement. La création d'une aide à la réinsertion familiale et sociale est donc la première orientation que je vous soumets.

Continuons par les procédures de contrôle. Je ne porterai pas de jugement général, mais le fait est que nous avons tous à l'esprit des témoignages dénonçant des procédures de contrôle qui ne satisfont pas au respect et à la dignité des personnes. Des améliorations seront donc apportées. Les contrôleurs bénéficieront d'une formation plus poussée. Un modus operandi du contrôle sera défini avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Les courriers adressés par les caisses aux assurés devront être réécrits, afin qu'ils soient à la fois plus lisibles et moins comminatoires. J'adresserai très prochainement une lettre aux caisses concernées pour leur faire part de ces instructions.

Venons-en aux formalités imposées aux personnes qui reçoivent une pension contributive. À la différence du « minimum vieillesse », les retraites contributives sont totalement exportables. Mais les assurés qui reçoivent une pension à l'étranger doivent attester périodiquement de leur existence en remplissant un formulaire visé par les autorités locales – pour éviter que l'on ne verse une pension à des personnes décédées. Néanmoins, la régularité de ces formalités représente une contrainte. Chaque régime de retraite a mis en place son propre certificat d'existence, avec des formulaires différents, et des périodicités de demandes variables. Les assurés qui résident à l'étranger – et a fortiori les polypensionnés – doivent multiplier les demandes de certificat d'existence auprès des autorités locales, ce qui implique des déplacements répétés, parfois difficiles, souvent inutiles.

Nous avons les moyens de mettre un terme à ces entraves et à ces contraintes administratives. Je vous ai demandé de voter, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, plusieurs mesures visant à simplifier ces formalités. C'est le sens de l'article 83 de la loi qui prévoit : d'abord, que les retraités qui résident hors de France fournissent à leur caisse de retraite un justificatif d'existence au maximum une fois par an ; ensuite, qu'à compter de la date butoir fixée par la caisse pour la réception du justificatif, un délai minimal d'un mois soit prévu avant la suspension de la pension ; enfin, que les régimes obligatoires de retraite puissent mutualiser la gestion des certificats d'existence dans des conditions fixées par décret. La publication de ce décret a été fixée pour le troisième trimestre 2013, c'est-à-dire dans le courant de l'été.

La réussite de cette politique passe par la coordination des différentes actions qui sont menées.

Ainsi, nous travaillons de façon très proche avec Michèle Delaunay qui conduit le projet MONALISA – soit mobilisation nationale de lutte contre l'isolement social des âgés. Ce projet a pour vocation de déployer le bénévolat de type associatif et de faire de la lutte contre l'isolement des âgés un axe majeur de l'implication citoyenne. Par ailleurs, les schémas gérontologiques devront intégrer la spécificité de ces publics.

Ensuite, la loi de financement de la sécurité sociale ayant prévu la mise en place d'expérimentations sur les parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d'autonomie, ou PAERPA, j'ai procédé à une sélection des projets d'expérimentation et j'ai demandé explicitement qu'un de ces projets intègre des actions spécifiques en direction des personnes âgées d'origine étrangère ; ce sera le cas du projet présenté par le Pas-de-Calais.

Comme je l'ai déjà dit, dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, nous avons mis en place toute une série de mesures pour favoriser l'accès aux droits communs qui doivent pouvoir s'appliquer à ces personnes. De façon plus générale, je proposerai d'utiliser les conventions d'objectifs et de gestion (COG) pour faire avancer la question de l'accès aux droits sociaux des personnes immigrées âgées.

Le second axe de mon action concerne la santé. L'approche selon le parcours de santé reste à déterminer, au-delà même des parcours de soins concernés par la mise en place des expérimentations PAERPA. Il s'agit de développer des actions de médiation, des actions innovantes, conduites par des personnes issues des quartiers et des communautés concernées. Ces personnes sont chargées de procéder à un accompagnement pour faire le lien entre les acteurs institutionnels locaux et la population. En effet, nous savons que le renoncement aux soins ou la difficulté à s'adresser à des structures de soins tient, entre autres, à la perception, par les immigrés âgés, de barrières qu'ils ne savent pas comment franchir. La médiation est donc un élément important pour faciliter l'accès de ceux-ci au système de santé, car elle permet de nouer des relations de confiance et de lever des barrières culturelles.

La médiation ne se limite évidemment pas à l'interprétariat. Elle permet de faire passer des messages de santé ciblés, de faciliter l'accès à des structures de soins identifiées et adaptées aux besoins de cette population. Par exemple, nous avons besoin de transmettre des messages de prévention de la tuberculose dans les foyers de travailleurs migrants, en faisant évoluer les représentations qui existent autour de la maladie et de la nutrition. Or, nous savons bien qu'à lui seul, un médecin « classique » ne peut y parvenir. Le message doit être porté, relayé, expliqué.

C'est donc une approche globale que je souhaite mettre en place, en valorisant les nombreuses initiatives qui existent. J'ai demandé aux agences régionales de santé (ARS), au-delà même de l'expérimentation que j'ai déjà évoquée, de soutenir les démarches qu'elles peuvent identifier sur leur territoire.

Mesdames et messieurs les députés, que ce soit par des actions dans le domaine social ou dans celui de la santé, le Gouvernement a la volonté de permettre à chacun de vivre dans la dignité. C'est une exigence que nous pouvons partager collectivement.

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