Intervention de Manuel Valls

Réunion du 28 mai 2013 à 16h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je veux d'abord vous dire tout l'intérêt que je porte, en tant que ministre en charge de l'immigration et de l'intégration des populations étrangères, à cette mission d'information sur les immigrés âgés.

Je sais que, durant ces derniers mois, vous avez entendu de nombreux intervenants, des experts, des acteurs associatifs. Vous vous êtes rendus sur différents sites et avez rencontré les immigrés âgés dans leurs lieux d'habitation, en particulier dans les quartiers populaires où ils vivent dans leur grande majorité.

Je me félicite de cette démarche très pragmatique et des perspectives qui seront dégagées.

Vous avez également auditionné les responsables des services du ministère de l'intérieur, le Secrétaire général à l'immigration et à l'intégration (SGII), le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), le directeur de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté (DAIC) et le délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI). Vous disposez donc d'une grande richesse d'éléments d'analyse provenant du ministère de l'intérieur.

Cette mission d'information a retenu l'intitulé « immigrés âgés » et elle a eu raison. Je vous sais gré d'avoir préféré cette appellation à celle de chibanis, terme qui serait porteur d'un risque de « folklorisation » s'il était employé tel quel par les pouvoirs publics.

Or, c'est précisément avec cette tentation qu'il nous faut rompre ; celle qui consiste à réduire cette population à une catégorie spécifique, tellement spécifique que le droit commun ne trouve pas à s'appliquer à leurs besoins, à leurs conditions de vie, de logement et d'accès aux droits sociaux.

Je considère que notre responsabilité collective est de permettre à ces personnes immigrées âgées – femmes et hommes – qui, pour plus de 70 % d'entre elles, sont en France depuis plus de trente ans, d'accéder pleinement au droit commun de nos politiques publiques – dans les domaines du logement, de la santé et des droits sociaux – et, plus globalement, d'accéder au droit de vivre et de vieillir dignement et en toute sécurité dans notre pays, un pays qu'ils ont contribué à construire et dont ils ont assuré une part de l'essor économique.

Arrivés en France pour la plupart depuis plusieurs décennies, au moment des Trente Glorieuses, les hommes, célibataires géographiques pour l'essentiel, ont été massivement recrutés pour les travaux pénibles de l'industrie et de la mine. Ils n'avaient jamais imaginé vieillir sur le sol français, pas plus qu'on avait imaginé avoir à prendre en charge les conditions de leur vieillissement en France. Et finalement, pour beaucoup d'entre eux, l'émigration a été vidée de son sens et de sa légitimité première, celle du travail, puis du retour. Demeurant en France, ils ont vu leurs conditions de vie se dégrader pour ne reposer, en définitive, que sur une identité sociale faite d'incertitudes, de frustrations, de regrets. Tahar Ben Jelloun a décrit avec beaucoup de justesse ce qu'il a appelé « la plus haute des solitudes », cette solitude liée à l'exil dont souffre cette toute première génération issue de nos anciennes colonies, en particulier du Maghreb et d'Afrique subsaharienne.

À ce jour, 890 000 personnes immigrées en France ont plus de soixante-cinq ans, 350 000 étant issues d'États tiers à l'Union européenne, en majorité des pays du Maghreb. Parmi ces 350 000 personnes, 60 000 à 80 000 sont considérées comme « isolées ». Ce sont des hommes qui n'ont pas eu recours au regroupement familial. Ce sont aussi des femmes – dont 25 000 sont de nationalité étrangère –, surtout des veuves, venues en France dans le cadre du regroupement familial. Elles sont restées largement confinées dans la sphère familiale et sont très peu intégrées à la société française.

Selon les données des gestionnaires de foyers, environ 35 000 hommes isolés sont hébergés dans les foyers de travailleurs migrants (FTM) ou les résidences sociales. Par ailleurs, compte tenu de l'évolution des résidents des FTM, la question de la sécurité des immigrés âgés émerge aujourd'hui. En tant que ministre de l'intérieur, je me dois de répondre à cette question. Et je n'oublie pas que j'ai eu à la traiter pendant de longues années, comme adjoint aux affaires sociales à Argenteuil, mais aussi comme maire à Évry où la situation de certains foyers très dégradés peut aboutir à des drames humains.

Une part non négligeable d'immigrés âgés est logée dans des meublés du secteur privé, sur lesquels nous n'avons que peu d'éléments, mais qui doivent nous préoccuper au regard des conditions éventuelles d'insalubrité.

Les difficultés auxquelles ces populations sont confrontées sont multiples et se cumulent souvent. Je ne les listerai pas toutes ; vous les connaissez comme moi. Je me limiterai à celles concernant directement le périmètre du ministère de l'intérieur au titre de ses missions d'intégration.

Ces difficultés sont liées à la précarité et à un état de santé dégradé par rapport aux personnes de la même classe d'âge. Les raisons tiennent, notamment, aux conditions antérieures de travail et à un recours plus faible aux dispositifs de soins.

Ensuite, cette population dispose de faibles revenus du fait des conditions antérieures d'emploi et des problèmes d'accès à une retraite correspondant aux carrières réelles.

On constate également chez les immigrés âgés une faible maîtrise de la langue française et des procédures administratives, ce qui limite d'autant le recours aux dispositifs existant en matière de droits, de santé, ou de maintien à domicile.

Les difficultés rencontrées sont aussi liées au mode d'habitat. Les conditions de logement des hommes isolés sont souvent précaires, voire indignes, et elles sont totalement inadaptées aux besoins des personnes âgées, surtout en cas de perte d'autonomie. Même si une réelle amélioration a été apportée grâce au plan national de traitement des foyers de travailleurs migrants, un réel accompagnement social reste à garantir. Sur ce point, le ministère de l'égalité des territoires et du logement fournira des pistes concrètes.

Les difficultés résultent enfin des allers et retours entre la France et le pays d'origine. Les personnes âgées vivant en famille font des séjours de quelques mois – un à quatre par an – dans leur pays d'origine, alors que les personnes isolées, en particulier les hommes retraités, font souvent des séjours plus longs au pays où vit leur famille.

Ce mode de vie fait de « navettes » entre ici et là-bas crée une difficulté supplémentaire pour une large partie de ces isolés s'agissant de l'accès à certaines prestations médico-sociales et sanitaires liées au vieillissement. Des tensions apparaissent pour l'accès à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et à l'aide personnalisée au logement (APL), toutes deux soumises à une condition de résidence en France. Des contrôles récurrents et ciblés ont attiré l'attention, depuis plusieurs années, sur ces difficultés qui ne sont pas directement liées à la nationalité des personnes.

S'ajoutent à ces problèmes les conditions associées à la carte de séjour portant la mention « retraité » créée par M. Jean-Pierre Chevènement en 1998. Initialement prévue pour faciliter les allées et venues entre la France et le pays d'origine, sans visa et sans limite de temps, elle se traduit dans les faits par une limitation des droits à la sécurité sociale, une rupture de droits à laquelle nous devons être attentifs.

Enfin, l'antériorité de la présence en France de ces immigrés ne se traduit que de manière limitée par l'accès à la nationalité française. La complexité des procédures et des démarches administratives explique cette situation. Comme vous le savez, j'ai engagé deux grands chantiers, l'un sur l'accueil dans les préfectures, l'autre sur l'accès à la nationalité française. Je vous propose d'évoquer ces points en répondant à vos questions.

Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ce que je tenais à poser en guise d'introduction.

D'autres à cette place l'ont certainement déjà évoqué, et je le dis à mon tour : nous devons beaucoup à cette première génération, discrète et invisible, travailleuse et courageuse. Nous lui devons reconnaissance et justice sociale. Il y va de la dignité de ces personnes, de celle de leur famille et de leurs enfants devenus Français pour la plupart. Et il y va de la crédibilité de notre promesse républicaine.

Qu'on me comprenne bien : il ne s'agit ni de compassion, ni d'aide – même si c'est aussi l'honneur de la République que de prêter assistance ; il s'agit de droits, des droits de ces personnes.

Il est de notre responsabilité d'agir pour améliorer les conditions de vie de cette génération d'immigrés. Cela nécessitera la mobilisation de tous : des collectivités territoriales, des acteurs associatifs et, s'agissant de l'État, de l'ensemble des ministères concernés – personnes âgées, santé, lutte contre l'exclusion, culture, anciens combattants et, bien évidemment, ministère de l'intérieur.

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