Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté et la brièveté de ce propos liminaire. Nos questions seront néanmoins nombreuses, le ministère de l'intérieur étant en charge à la fois de l'immigration, du droit de séjour, de la circulation des personnes étrangères et d'une partie des politiques d'intégration.
Certaines actions concernant les immigrés âgés sont financées par le Fonds européen d'intégration des ressortissants de pays tiers, dont le programme pluriannuel actuel s'achève en 2013. Cet outil de programmation européen va être fusionné avec d'autres dispositifs. Comment la France compte-t-elle agir pour pérenniser les financements européens destinés aux immigrés âgés ?
La question des foyers de travailleurs migrants a pris une place très importante dans nos débats. En effet, 40 000 immigrés âgés de plus de soixante ans sont logés dans ces foyers. Le premier a été créé à Argenteuil, il y a plus de cinquante ans. Ce sujet a suscité nombre d'interpellations, en particulier lorsque les travaux de notre Mission ont été connus par les chibanis et les collectifs qui oeuvrent pour améliorer leur situation. Évoqué pour la première fois en 1994, le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants a été relancé en 2005. Sur les 700 FTM existant en France, 450 sont gérés par Adoma ; or, sur ces 450 foyers, environ 250 ont bénéficié d'une reconstruction ou d'une réhabilitation. Il est ainsi clairement établi que, contrairement à ce qui avait été annoncé, la totalité des foyers Adoma n'a pas été réhabilitée depuis 2005. Dans le projet de loi de finances pour 2013, les crédits consacrés à cette action ont légèrement diminué par rapport aux années précédentes – ils sont passés de 12 millions d'euros en 2012 à 11,04 millions cette année. Les représentants d'Adoma nous ont indiqué faire le maximum en termes d'investissements par rapport aux moyens dont ils disposent, et son directeur, Bruno Arbouet, a émis des propositions visant à augmenter la capacité d'investissement. Néanmoins, cette société d'économie mixte étant majoritairement détenue par l'État, c'est d'abord à ce dernier d'accélérer le traitement des foyers. Il serait donc tout à l'honneur de notre pays de transformer ces derniers en résidence sociale, comme celui de Bobigny, devenu un établissement remarquable au sein duquel existe un accompagnement social. Ainsi, l'écart est grand entre ce genre de structures reconstruites ou réhabilitées et les plus anciennes qui, faute d'avoir bénéficié d'un investissement suffisant, sont aujourd'hui totalement dégradées et indignes de notre pays. C'est pourquoi les pouvoirs publics devraient donner une impulsion nouvelle à cette question.
Le cadre juridique de l'accès à la nationalité est également un point très important. Un grand nombre de migrants, dont certains sont présents en France depuis trente ou quarante ans, se sont vu refuser l'accès à la nationalité ou ont abandonné le processus de naturalisation, découragés par l'accueil en préfecture et la difficulté à produire les pièces administratives demandées, les services d'état civil de certains pays d'origine n'étant pas aussi efficaces que les nôtres. Il serait donc souhaitable que le ministère de l'intérieur rende sinon automatique, du moins beaucoup plus simple l'accès à la nationalité pour ces immigrés âgés. Une telle mesure serait le symbole de la reconnaissance que l'on doit à ces personnes, même si toutes ne souhaitent pas accéder à la nationalité française.
Sur l'accueil en préfecture, le rapport de notre collègue Matthias Fekl a été remis au Premier ministre. Des améliorations sont en cours, d'autres sont envisagées. Ce travail mérite d'être salué.
L'attribution de la carte de résident permanent, prévue par l'article L. 314-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), n'est que rarement proposée par les préfectures, notamment aux immigrés les plus âgés qui demandent un troisième, un quatrième, voire un cinquième renouvellement de la carte de résident de dix ans. Il serait donc souhaitable que la carte de résident permanent leur soit délivrée de manière automatique au terme d'un certain temps de présence en France.
La carte de séjour portant la mention « retraité » a fait l'objet de vives critiques devant notre Mission, essentiellement parce qu'elle ne permet pas à son titulaire de bénéficier des droits sociaux en France, notamment des prestations de l'assurance maladie, alors que des cotisations sociales continuent d'être prélevées sur sa pension de retraite. Mme Marisol Touraine nous a indiqué que cette question devait être traitée conjointement avec le ministère de l'intérieur. Depuis sa création en 1999, cette carte délivrée en préfecture aux titulaires d'un titre de séjour de dix ans a été présentée comme devant faciliter la vie des retraités étrangers ; or un certain nombre d'entre eux n'ont pas été avertis des conséquences de cette carte sur leurs droits sociaux, d'où son rejet de la part de ceux qui pourraient pourtant en bénéficier.
L'inhumation en France est un sujet important. En effet, si certains immigrés âgés désirent être enterrés au pays, d'autres veulent l'être en France, ce qui pose la question des « espaces confessionnels » dans les cimetières réclamés dans beaucoup de communes. Depuis plusieurs années, des circulaires ministérielles incitent les municipalités à mettre en place ces « carrés confessionnels », mais la concrétisation de ces préconisations se heurte à la bonne volonté et à l'acceptation politique des maires notamment. Il conviendrait donc de les y inciter plus fortement dans le respect du principe de laïcité.
Les auditions d'historiens auxquelles a procédé notre Mission ont retracé cinquante années de l'histoire de notre pays. Une histoire, vous l'avez dit, monsieur le ministre, qui a souvent été occultée, au point que le mot le plus souvent employé pour qualifier ces immigrés âgés est celui d'« invisibles ». Invisibles parce que ces personnes ont toujours, par discrétion, évité de revendiquer des droits dont elles devraient pourtant bénéficier dans les mêmes conditions que le reste de la population. Invisibles parce qu'ils n'ont pas eu l'attention ni la reconnaissance que les pouvoirs publics auraient dû leur accorder. Le changement de regard sur les immigrés âgés et sur leur contribution à notre histoire nationale est, pour nous, indispensable dans le cadre du discours général sur l'immigration, afin de faire prendre conscience à nos concitoyens que la France est une société d'immigration. Notre Mission estime que notre pays manque de lieux, de temps forts mémoriels, permettant de marquer l'apport positif de ces migrants, notamment les plus âgés, à la vie de la nation. Au travers du programme budgétaire 104, relatif à l'intégration et à l'accès à la nationalité française, c'est étrangement le ministère de l'intérieur qui finance un musée, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, à hauteur de 2,6 millions d'euros en 2013, musée où a notamment été organisée il y a quelques mois une exposition intitulée « Vies d'exil » retraçant la vie des Algériens entre 1954 et 1962. Cet établissement constitue un de ces rares lieux de mémoire mais n'a pourtant pas été inauguré officiellement. Monsieur le ministre, au-delà de la question mémorielle, comment valoriser cette cité et d'autres lieux encore, ainsi que la dimension culturelle ?
Enfin, les activités du Haut Conseil à l'intégration (HCI) sont temporairement gelées. Selon nous, il manque aujourd'hui dans notre pays une institution capable de produire des études statistiques incontestables, qui permettraient d'analyser de façon plus fine le parcours de vie des migrants, notamment de ceux présents sur notre sol depuis très longtemps – les données statistiques sur les migrants les moins âgés étant relativement fiables. Si le HCI devait disparaître – il n'a pas forcément joué le rôle qu'on attendait de lui –, il devrait être remplacé soit par une agence indépendante, soit – comme le propose le président Claude Bartolone – par un office parlementaire. Cette question nous semble très importante, monsieur le ministre, car le parcours de vie de ces immigrés âgés est mal connu, malgré leur présence sur notre sol depuis de très nombreuses années. En tout cas, j'espère que notre Mission aura permis de mieux appréhender leur situation et que nos préconisations permettront d'améliorer leurs conditions de vie dans notre pays.