Intervention de Gérard Riou

Réunion du 28 mars 2013 à 14h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Riou, directeur du Centre Méditerranée de l'Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer, IFREMER :

L'univers chimique dans lequel nous vivons comprend 37 millions de substances chimiques qui ont été développées par l'industrie depuis de très nombreuses années. Environ 100 000 substances sont utilisées sur le marché européen, et un peu plus de 5 000 sont reconnues comme dangereuses. Ce sont celles que nous retrouvons en priorité dans les directives européennes.

Une grande partie de ces substances, lorsqu'elles auront été utilisées, pourra se retrouver en mer. Il ne s'agit pas d'une photographie statique. Le renouvellement s'effectue de manière continue. Nous devons tenir compte de cette évolution, avec d'une part l'introduction continue de nouveaux produits, et d'autre part la disparition progressive d'autres, mais que l'on retrouve encore dans le milieu, notamment parce qu'ils présentent un effet retard. Nous sommes donc obligés de connaître l'histoire pour comprendre la contamination d'un site.

Nous avons extrait deux carottes sédimentaires dans l'étang de Thau. Au C4 (point qui se situe le plus au milieu de l'étang de Thau), la courbe de contamination par le mercure est très faible pour les années anciennes. Elle a augmenté avec la progression de l'industrie à partir du début du XXe siècle, et se trouve à peu près stabilisée aujourd'hui. Une autre courbe, peu distante en termes de carotte sédimentaire, montre quant à elle une explosion du mercure dans les couches moyennes, qui correspond au développement important de l'industrie autour de la ville.

Le mercure qui est piégé dans les sédiments est inactif dans les profondeurs, mais, en cas de remaniement de ces sédiments, il sera libéré et repassera dans l'eau. Il sera alors soumis à l'influence de bactéries et pourra se transformer en des formes chimiques plus complexes que le mercure que nous mesurons dans les sédiments, en particulier le méthylmercure, qui comporte un pouvoir toxique très important.

La mesure du plomb dans des moules, effectuée à Ajaccio, montre des fluctuations saisonnières. Globalement, même si la contamination du plomb est en train de disparaître au fur et à mesure des années, il est nécessaire à chaque fois d'en connaître les causes. En tout état de cause, la contamination n'est pas seulement consécutive à un rejet dans la mer, mais peut se faire, pour une part prépondérante, par voie atmosphérique.

La pollution par les plastiques a également globalement tendance à se réduire, au moins sur nos côtes. Les campagnes que nous menons annuellement pour procéder à des évaluations halieutiques nous permettent en effet de comptabiliser les macrodéchets. Ainsi, nous constatons une réduction de leur nombre.

Se pose toutefois la question du vieillissement et de la décomposition des plastiques dans le temps. Après avoir trié le plastique que nous collectons, nous nous intéressons aux morceaux de plastique qui mesurent entre 3 dixièmes de millimètres et 5 millimètres. Nous comptabilisons les morceaux de plastique que nous trouvons par mètre carré à l'hectare.

Nous avons mené plusieurs campagnes récemment, dont certaines ont été effectuées dans le cadre du projet Expédition Med de Bruno Dumontet. Des mesures ont été réalisées aux mois de juillet et d'août ; nous les avons complétées, il y a peu, par des mesures faites avec des filets à plancton, lors des campagnes d'évaluation halieutiques européennes Medit.

Quelque 90 % des échantillonnages que nous avons réalisés contiennent des microplastiques, dont la taille est inférieure à 5 millimètres.

Lors de l'expédition « Med » de juillet-août 2010, il est apparu que le poids sec de débris de microplastiques représentait la moitié du poids sec de zooplancton. En termes de masse, les petits débris que nous ne voyons pas vraiment à l'oeil nu représentent 116 000 particules par kilomètre carré.

Nous connaissons les effets néfastes des macrodéchets, en particulier des sacs plastiques, sur une partie de la faune (oiseaux qui les prennent pour des poissons, etc.) Ces microplastiques rentrent ensuite dans la chaîne alimentaire. Plusieurs publications en font état. Certaines d'entre elles indiquent en effet que des microplastiques ont notamment été trouvés dans des oiseaux et des poissons qui se nourrissent de plancton. Nous ne connaissons pas encore l'impact de ces déchets sur la santé des écosystèmes, et donc sur la chaîne alimentaire. Toutefois, nous savons que ces microplastiques, par leur composition et leur fabrication, sont à même de relarguer à l'intérieur de l'organisme les produits chimiques qui correspondent à leurs constituants propres.

Ils ont également la faculté d'attirer des polluants chimiques présents dans l'eau, en particulier des polluants organiques persistants, décuplant par là même la toxicité potentielle de ces microplastiques pour la chaîne alimentaire.

Ce type de pollution concerne des contaminants qui sont connus depuis toujours (plastique, etc.). Il est toutefois analysé maintenant en tenant compte du vieillissement, qui n'était que très peu étudié auparavant. C'est donc un nouveau paramètre qui s'impose aux scientifiques, et sur lequel nous commençons à travailler pour mieux comprendre l'impact et la diffusion de ces microplastiques dans la chaîne alimentaire.

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