Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 28 mai 2013 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, co-rapporteure :

Nous avons mené ce travail sur la proposition de révision de la directive sur le détachement des travailleurs travail avec notre collègue Michel Piron, qui malheureusement ne peut être parmi nous aujourd'hui.

Qu'avons-nous constaté ? De l'avis unanime, la directive sur le détachement des travailleurs pose un réel problème. Certes, l'Europe permet la libre circulation des travailleurs, qui est une des quatre libertés fondamentales garanties par les traités, mais cela n'est pas sans poser problème. En effet, quel droit appliquer au travailleur mobile ? Il s'agit-là d'une question aux répercussions tant économiques que sociales. La directive 911996CE a été édictée suite à l'entrée de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce, aux fins d'éviter le « dumping social », et a été fondée sur l'application du droit d'accueil, sauf dispositions plus favorables, avec la perception des charges sociales dans le pays d'origine. Mais, au fil du temps, du fait d'un opportunisme social permis par l'absence d'harmonisation sociale en Europe et de nombreuses dérives, notamment dans les secteurs de la construction et agroalimentaire, on a assisté à une utilisation abusive des détachements, voire à des fraudes caractérisées. Les secteurs précités sont d'ailleurs extrêmement inquiets du développement de cette concurrence déloyale, avec l'émergence de travailleurs « low cost », particulièrement dommageable en ces temps de crise économique que nous traversons. Consciente du problème, la Commission européenne a mis à son agenda une proposition de modification de la directive de 1996 ; il s'agit-là cependant d'une version a minima et non d'une refonte totale de la législation relative aux travailleurs détachés que tout le monde avait appelé de ses voeux, y compris le président Barroso lui-même. En outre, non seulement cette directive est très en deçà des besoins réels, mais en plus elle fait l'objet sur certains points de blocages tels dans la négociation que son adoption fin juin, comme envisagé par la présidence irlandaise, est hautement improbable. Mes collègues et moi-même avons procédé à de nombreuses auditions, qui ont conforté l'idée que nous avions initialement, à savoir que la législation actuelle ne permet pas de lutter contre le développement de cet emploi « low cost », et ce d'autant qu'elle est envisagée par la jurisprudence de la CJUE de manière tout à fait restrictive et dans le sens d'une interprétation libérale des traités ; il est clair qu'en la matière la jurisprudence de la Cour est plus en faveur de la libre circulation des travailleurs que de leurs droits sociaux.

La directive actuelle est dépassée, car elle permet la mise en concurrence de pays qui n'ont ni le même niveau de vie, ni le même niveau de salaire. Par ailleurs, les corps de contrôle nationaux, du fait des problèmes de langue, de réglementation et de certification des documents fournis, ont le plus grand mal à contrôler le respect des règles en la matière, tandis que les travailleurs détachés ne connaissent pas leurs droits, notamment celui de se retourner contre le donneur d'ordre en cas de non-respect de la législation du pays d'accueil ; et quand bien même les connaîtraient-ils, il y a fort à parier qu'ils ne les exerceraient pas, car malgré les conditions de travail qui leur sont souvent faites – s'apparentant à un véritable « esclavage moderne » qui pourrait être poursuivi pour abus de faiblesse – la rémunération obtenue est tellement plus élevée que celle de leur pays d'origine que le sacrifice en vaut pour eux la peine.

Il y a toutefois du positif dans la proposition de la Commission, qui essaie de préciser la notion de travailleur détaché, d'améliorer l'accès des salariés à l'information et l'exécution des contrats, ainsi que de renforcer la coopération administrative. Mais trois articles posent problème. L'article 3, en premier lieu, qui tente de préciser la définition du détachement, afin d'éviter les fraudes, ce qui n'est pas inutile quand on connaît l'étendue du possible – nous avons ainsi été informés de l'existence d'une entreprise espagnole recrutant des Equatoriens dans des conditions douteuses, notamment concernant la réalité du versement des cotisations sociales en Espagne, et qui fournit 90 % des salariés détachés dans le secteur de l'agriculture du Gard. Mais ce sont surtout les articles 9 et 12 qui cristallisent les oppositions. L'article 9 concerne les mesures de contrôle que les autorités nationales peuvent imposer aux entreprises qui détachent des salariés ; certains Etats, comme le nôtre, sont en faveur d'une liste « ouverte », tandis que d'autres, à l'inverse, souhaitent que cette liste soit restrictive, « fermée ». L'article 12 quant à lui concerne la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d'ordre ; il se limite dans sa rédaction actuelle au secteur du bâtiment et au premier sous-traitant, et deux groupes d'Etats s'opposent, ceux en faveur de cette rédaction, et ceux qui souhaitent que cette responsabilité soit étendue à l'ensemble des secteurs et à toute la chaîne de sous-traitance. Le consensus n'est pas évident. Nous souhaitons quant à nous que cette responsabilité soit étendue à l'ensemble de la chaîne et des secteurs, à l'exception peut-être de l'agriculture, du fait des contraintes particulières qui pèsent sur les entreprises agricoles, le temps des récoltes étant par nature très court et imprévisible.

A l'issue de notre travail, nous avons le sentiment que quoi qu'il en soit, cette directive même adoptée – et rien n'est moins sûr – ne sera pas suffisante. C'est pourquoi nous avons un certain nombre d'améliorations à proposer, tant au niveau de l'Union européenne, que sur le plan interne. Nous devons protéger nos entreprises et notre économie ; l'exemple des abattoirs allemands, qui captent l'ensemble du marché européen au détriment des autres pays et notamment du nôtre – les abattoirs du Finistère sont en effet en grande difficulté – à grand renfort d'emploi de salariés payés trois fois moins que les nôtres du fait de l'absence de salaire minimum dans ce pays, doit nous pousser à réagir. Nous ne sommes pas contre le détachement des travailleurs, bien au contraire – d'ailleurs la France est le troisième pays qui détache en Europe – mais nous souhaitons que les normes sociales soient respectées et que les détachements, qui se concrétisent souvent par un véritable « esclavage moderne », ne provoquent pas la destruction de pans entiers de nos industries.

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