Le projet de loi relatif à la consommation est l'un des plus denses de la législature. Il comporte soixante-treize articles modifiant plus d'une centaine d'articles codifiés, principalement dans le code de la consommation. En tant que rapporteur pour avis, je suis heureux que le président Chanteguet n'ait demandé la saisine de notre commission que sur dix articles ! Ils entrent dans le champ de compétence de la Commission au titre de l'environnement, de l'aménagement du territoire ou des transports.
Les articles 1er et 2 introduisent l'action de groupe en droit français en la limitant à deux cas : celui des conflits entre producteurs ou distributeurs, d'un côté, et les consommateurs de l'autre ; et celui du non-respect du droit de la concurrence. Notre commission doit déterminer si cette action concernera les seuls préjudices matériels subis par les consommateurs dans le cadre d'une transaction commerciale ou si elle peut être étendue à d'autres cas, comme les atteintes à l'environnement ou à la santé publique, dues à des processus de production ou des produits se révélant nocifs.
Les articles 3 et 4, qui concernent l'information et les droits contractuels des consommateurs, posent d'autres questions, déjà évoquées au Sénat en avril 2013 sur la durée de vie des produits, l'éventuelle programmation de leur obsolescence et la mise à la disposition des consommateurs des pièces détachées pour leur réparation. Toute une conception de nos modes de production et de consommation est en jeu, avec de nombreuses répercussions dans d'autres domaines, comme la gestion des déchets ou la mise en place d'une économie circulaire.
Les articles 6 et 7, relatifs à l'information des consommateurs sur les garanties légales dont ils disposent, participent de la même logique, car ils renforcent le choix que ces derniers doivent parfois opérer entre la réparation ou le remplacement d'un produit.
Les articles 23 et 24 répondent à une demande ancienne de la part de nombreuses entreprises et collectivités locales concernant la protection des noms des collectivités territoriales, et les indications géographiques, domaine dans lequel la France a été précurseur, principalement en matière d'agriculture, d'ostréiculture et de viticulture. Plusieurs territoires doivent leur dynamisme économique à la réputation de produits artisanaux ou industriels qui y sont fabriqués de longue date. La fidélité des consommateurs français et étrangers à de tels produits est un gage de maintien de l'activité des entreprises et permet de développer des emplois. L'extension des indications géographiques à ces produits améliorera en outre l'information des consommateurs.
Le projet de loi cherche à concilier la protection des noms des collectivités territoriales et la protection des marques derrière lesquelles existe un enjeu en termes d'emplois. Les noms relèvent aujourd'hui du champ de la propriété intellectuelle dont le droit dépend autant d'accords internationaux que d'accords de parties à parties – comme on l'a vu récemment entre la France et le Mexique sur l'usage du mot « Cognac » –, ou encore de la jurisprudence. Le volet international tient une place considérable dans ce dossier : si une entreprise française ne peut pas inconsidérément utiliser le mot « Paris » dans une marque, ce n'est pas le cas pour les entreprises américaines, une localité texane portant ce nom.
Le travail de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) ne concerne pas seulement les 36 000 communes françaises, mais des millions de localités à travers le monde. C'est pour cette raison, liée à la spécificité du droit de la propriété intellectuelle, que le projet de loi a confié à l'INPI, et non à l'Institut national des appellations d'origine (INAO), le soin de gérer les dossiers d'indications géographiques et de protection des noms des collectivités territoriales. Ce choix répond à une logique technique ; il ne constitue en aucun cas un désaveu de l'INAO. Devant l'ampleur du champ à traiter, il est logique que le Gouvernement ait fait le choix d'un mécanisme d'alerte sur demande des collectivités, plutôt que d'un mécanisme automatique que, malgré ses moyens, l'INPI aurait du mal à gérer.
Le système de l'indication géographique que le projet de loi met en place pour l'artisanat et l'industrie ne peut être assimilé à celui des appellations d'origine que l'on connaît en agriculture. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de l'examen de l'amendement CD 46 de Mme Brigitte Allain et des membres du groupe écologiste quand nous en viendrons à l'article 23. Dans la mesure où il est quasi impossible de localiser la totalité d'un processus de fabrication sur un seul territoire ou terroir, le projet de loi pose un double principe : il revient à un groupement de producteurs d'établir un cahier des charges et à l'INPI d'établir qu'il y a bien une spécificité locale justifiant l'octroi d'une indication géographique.
Les articles 56 et 59 présentent un aspect plus technique que politique. Ils mettent en place un régime de sanctions administratives, le premier en cas de non-respect du droit de la consommation dans le secteur des transports, le second à l'encontre des conducteurs de véhicules motorisés à deux ou trois roues, qu'on appelle plus communément « moto-taxi ». Je proposerai toutefois des amendements sécurisant la profession de moto-taxi grâce à une formation complémentaire pour les conducteurs, à une obligation d'assurance, et à une meilleure information du passager.
Au-delà de cette brève description du dispositif qu'examinera notre commission, se pose une question plus fondamentale : notre pays est-il capable d'infléchir son modèle économique ? Nous avons tous conscience que le modèle de production et de consommation à grande échelle, fondée sur une exploitation de ressources supposées infinies ne fonctionne plus, et qu'il a enclenché une crise économique, environnementale et sociale. Pourtant, nous continuons à sacraliser un certain type de croissance économique dont l'objectif est l'accumulation des biens. Même si le Gouvernement souhaite strictement limiter le champ de ce projet de loi à la seule protection du consommateur, ce texte doit permettre, en défendant une consommation intelligente, de commencer modestement à mettre en place des mécanismes qui permettront, grâce au partage et à la sobriété, de satisfaire les besoins économiques et sociaux sans porter atteinte à l'environnement. Il s'agit que s'opère une prise de conscience, tant chez les citoyens que chez les producteurs et les distributeurs, afin qu'émerge une économie de la fonctionnalité plutôt qu'une économie de la possession. Ce serait le gage d'une société plus humaine, car envisager ce projet de loi sous le seul angle de la consommation reviendrait à considérer que nos concitoyens, qu'ils soient producteurs ou consommateurs, ne sont que des unités économiques et n'ont aucune conscience.