Intervention de Philippe Verbeke

Réunion du 29 mai 2013 à 10h30
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Philippe Verbeke, direction fédérale CGT, filière transformation métaux, ArcelorMittal :

Avant d'exposer notre analyse et nos revendications, je souhaiterais, au nom de la CGT, saluer la démarche de cette commission d'enquête parlementaire sur nos filières. La CGT a contribué à la sensibilisation qui a permis sa création, notamment après l'OPA de Mittal sur le groupe Arcelor.

Nous approuvons votre choix de consacrer vos travaux aux trois métaux majeurs que sont l'acier, le cuivre et l'aluminium car ces filières sont toutes trois essentielles pour l'industrie française et européenne.

Elles sont dotées d'atouts communs : leur utilisation dans les secteurs clés de l'industrie – transports, construction, électroménager, énergie, électricité, électronique, emballages, aéronautique, armement, télécommunications ; des processus de fabrication et des produits à haute technologie, nécessitant des compétences élevées à tous les niveaux ; la « recyclabilité », qui en fait un atout majeur pour le développement durable et l'économie circulaire.

Mais ces filières doivent aussi faire face à des défis communs : l'accès aux matières premières, la consommation d'énergie, la maîtrise des rejets dans les processus de fabrication, le maintien et le développement des outils et des compétences, les investissements et l'innovation.

Dans le domaine de l'environnement, des solutions existent, validées par les chercheurs mais victimes d'arbitrages financiers et opérationnels défavorables. Nous pensons évidemment aux projets de retraitement du C02 tels que le projet ULCOS sur le site de Florange ou bien le projet VASCO sur celui de Fos-sur-Mer.

Les trois métaux se trouvent néanmoins en concurrence auprès de certains secteurs utilisateurs, comme les transports, la construction ou l'emballage.

Le maintien des capacités de production est un sujet d'actualité brûlant pour ces filières. C'est le cas pour la sidérurgie depuis près de deux ans avec la gestion emblématique par ArcelorMittal du site de Florange. La commission, de par ses auditions dans les bassins d'emploi du groupe ArcelorMittal, est à même de prendre la mesure de l'incohérence de la politique industrielle et sociale de M. Lakshmi Mittal, ainsi que du processus rampant de délocalisation qui est à l'oeuvre, non seulement en France mais aussi en Europe. Nous tenons à réaffirmer notre incompréhension et notre colère face au projet industriel incohérent de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, dont l'État s'est rendu complice en acceptant une transaction avec M. Mittal, qui condamne la filière liquide de Florange et une partie du site de Basse-Indre en Loire-Atlantique.

Nous affirmons haut et fort que la nouvelle organisation mise en place est un non- sens industriel et économique, comme l'ont confirmé les faits et un nouveau rapport du cabinet Secafi. Ce projet risque à terme de déstructurer l'ensemble des sites du groupe en France.

Une telle situation est insoutenable alors que les propositions alternatives existent, non seulement à Florange, mais aussi à Gandrange, à Fos-sur-Mer chez Ascometal, dans les aciers inoxydables sur les sites d'Isbergues et de Firminy du groupe Aperam. Je rappelle que le site de Firminy subit des suppressions d'emplois et est menacé de fermeture alors qu'il est leader sur les aciers inoxydables extra-minces.

La sidérurgie est rongée par des exigences de rentabilité démesurées et les appétits financiers, qui condamnent les investissements, la recherche et développement (R&D) et le renouvellement des compétences.

Dès lors, la question de la gouvernance est posée. L'intervention de l'État est nécessaire dans un secteur reconnu par tous comme stratégique pour l'industrie française et européenne et pour les pièces dites de « sécurité » qu'il fournit dans les domaines du transport, de l'énergie, du bâtiment.

Le succès du lobbying patronal auprès du commissaire européen M. Antonio Tajani a permis à ce dernier d'affirmer le 16 mai à Bruxelles, l'existence de surcapacités structurelles dans l'acier européen, encourageant ainsi de nouvelles fermetures. Cette orientation est très inquiétante car elle ouvre la porte aux importations d'acier en Europe, avec toutes les conséquences imaginables pour notre industrie. La CGT réaffirme, comme les experts des cabinets Secafi et Syndex et comme le rapport de M. Pascal Faure, qu'il n'y a pas de surcapacité structurelle de production d'acier en France et en Europe. Les Etats généraux de l'industrie, organisés par le gouvernement précédent, avaient évalué à 20 millions de tonnes annuelles le besoin de production d'acier en France. La production est actuellement d'environ 16 millions !

D'ailleurs, pour s'en convaincre, il suffit de constater les incohérences dans les flux de métal au sein d'ArcelorMittal Atlantique et Lorraine et sur le bassin méditerranéen, dépendant de plusieurs fournisseurs, ce qui occasionne retards et ruptures d'approvisionnement, au détriment du client. Vous avez pris connaissance de cette désorganisation lors de vos visites à Dunkerque et Fos-sur-Mer.

Concernant la filière cuivre, l'avenir du groupe KME pose question : la fermeture qui menace la fonderie du site de Givet est qualifiée de véritable contresens économique par le cabinet Syndex. Là aussi, c'est la finance qui gouverne, avec des économies à court terme pour financer un LBO de 80 millions d'euros – (leverage buy-out ; rachat d'entreprise par le recours à un important endettement bancaire), au détriment de l'emploi mais aussi des investissements et de la R&D.

Comment peut-on laisser faire, alors que cette filière cuivre peut être une référence en termes d'économie circulaire, avec une « recyclabilité » parfaite ? Comment peut-on laisser faire, alors que la filière est porteuse de développements et de débouchés ? C'est ce que démontre la stratégie du groupe allemand Aurubis, dont dépendent déjà en partie les groupes Griset, Wieland et KME, en approvisionnant des demi-produits, à savoir billettes et lingots.

Une fois encore, la question de la gouvernance est posée, le groupe Aurubis bénéficiant de l'influence du Land de Basse-Saxe au sein de son actionnariat.

L'intervention des pouvoirs publics est nécessaire, au plan national comme régional, pour structurer la filière de collecte et de recyclage du cuivre et favoriser une stratégie de long terme sur cette filière, dont les débouchés sont larges, avec des clientèles souvent de proximité. Là aussi, les propositions alternatives des salariés existent.

Dans le secteur de l'aluminium, la CGT salue la prise de conscience du Gouvernement qui vient de lancer une vaste réflexion sur le développement de la filière aluminium en France. Pourtant, les inquiétudes demeurent, comme en témoignent deux exemples.

Le site de Saint-Jean-de-Maurienne n'aurait plus sa place au sein du groupe Rio Tinto au seul prétexte d'une exigence de rentabilité démesurée. Comme Lakshmi. Mittal récemment à l'Assemblée nationale, Rio Tinto exerce un chantage sur le coût de l'énergie.

L'usine serait sur le point d'être cédée mais sans le laboratoire de recherche, véritable fleuron du savoir-faire et de l'excellence technologique française depuis plus d'un siècle. Rappelons que dans la dernière décennie, 80 % des nouvelles usines en Europe et sur le continent américain utilisent la technologie brevetée à Saint-Jean-de-Maurienne. Le maintien de la R&D dans la fabrication de l'aluminium en France est aujourd'hui menacé. La R&D doit absolument rester adossée aux deux derniers sites de production d'aluminium en France, Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque.

Pour Constellium, nouveau groupe de transformation de l'aluminium en France issu de l'éclatement de Péchiney, la récente augmentation de la part de l'État dans le capital (12,5 %), via le Fonds stratégique d'investissement (FSI), doit permettre l'arrêt des restructurations et ventes d'usines comme celles en cours de Ham et Saint-Florentin ou celles à venir de Sabart et Ussel. Le dépeçage du système productif français entraîne là aussi un affaiblissement du support R&D mondialement reconnu du centre de recherche de Voreppe.

Des décisions rapides s'imposent. Va-t-on laisser la finance déstructurer ces atouts productifs et humains ou intervenir vigoureusement compte tenu une nouvelle fois de l'importance de cette filière dans notre industrie, dans des secteurs comme l'aéronautique, les transports, le bâtiment ou les emballages ?

La CGT propose un nouveau contrat social pour relancer les filières. Nous souhaitons une production répondant davantage aux besoins. Nous subissons une politique de la marge au détriment des volumes. Il faut inverser ce processus. ArcelorMittal et Constellium ont perdu des parts de marché importantes du fait de cette stratégie.

Acier, aluminium et cuivre correspondent à des besoins extrêmement variés. Il n'y a donc pas de surcapacités – prétexte à délocalisations – mais une adéquation aux besoins à développer.

Nous demandons une réorientation des aides publiques. Les groupes de nos filières ont largement bénéficié ces dernières années de la générosité de l'État, au travers du crédit d'impôt recherche, des aides au chômage partiel et à la formation, des exonérations de cotisations, de la suppression de la taxe professionnelle, etc.

La CGT exige que ces aides soient transparentes et que l'État impose des contreparties aux entreprises en termes d'investissements industriels et humains et de politique sociale responsable. La CGT demande aussi le remboursement des aides publiques en cas de destruction d'emplois.

La CGT propose la création d'un pôle financier public reposant sur la mise en réseau d'institutions financières de statut public ou semi public exerçant des missions d'intérêt général. Ce pôle doit être placé sous le contrôle public et social. Ces financements seraient octroyés sur des critères d'emplois et d'efficacité économique et sociale.

La CGT demande également à l'État une réflexion sur les divers mécanismes d'intervention dans la stratégie menée dans ces filières d'intérêt national.

Nous avons ainsi proposé pour Florange, et plus largement pour ArcelorMittal, une prise de participation de l'État, au moins à hauteur d'une minorité de blocage. La possibilité de réquisition d'un site rentable menacé de fermeture doit aussi être examinée afin de peser sur la gouvernance.

Dans la perspective actuelle de reconquête de notre industrie, il est incohérent de laisser le contrôle total de ces secteurs clés à des familles ou des fonds financiers qui exigent une rentabilité à deux chiffres.

À titre d'exemple, selon une simulation pour ArcelorMittal, le contrôle public par une minorité de blocage à hauteur de 35% du capital coûterait au niveau européen 6,7 milliards d'euros à la valeur actuelle du titre. La part de la France serait dans cette hypothèse de 1,47 milliard d'euros.

La prise de participation doit intervenir au niveau européen afin de prendre en compte les interdépendances entre sites, comme c'est le cas dans la filière inox avec les sites français dépendants des aciéries belges.

Alors que la stratégie financière prend le pas sur une véritable politique industrielle, il y a urgence à donner de nouveaux droits aux salariés. Nous pensons à la présence de représentants élus par les salariés aux conseils d'administration et de surveillance, à de nouvelles prérogatives pour les comités d'entreprises, ou encore à la mise en place de comités inter-entreprises afin d'asseoir à la même table donneurs d'ordres et sous-traitants pour travailler sur la stratégie et partager les informations. Enfin, certaines activités sous-traitées qui peuvent être considérées comme faisant partie du coeur de métier pourraient être réintégrées chez le donneur d'ordre.

L'emploi doit être au coeur de notre développement.

Le vieillissement de nos effectifs est très préoccupant. À titre d'exemple, 25 % des salariés de la sidérurgie partiront en retraite d'ici à 2015, ce qui représente plus de 11 000 emplois en France. Nous avons besoin de relancer l'embauche. Une négociation sur la pénibilité doit également s'engager.

La politique salariale est défaillante. La CGT revendique un salaire minimum de 1 700 euros brut. Le relèvement des salaires est incontournable pour renforcer l'attractivité de nos métiers.

Les conditions de travail doivent être améliorées. Nous avons constaté ces dernières années les dérives de la polyvalence à outrance, la flexibilité néfaste pour la santé et la sécurité, les mobilités contraintes, la pression constante aux objectifs sans les moyens appropriés, le travail dans l'urgence faute de stock. Pour la CGT, être compétitif, c'est d'abord pouvoir exercer son travail dans de bonnes conditions, avec les moyens appropriés, afin de proposer un produit réussi du premier coup et dans un délai court pour le client.

Nous réaffirmons notre désaccord complet avec l'Accord national interprofessionnel (ANI) sur la prétendue sécurisation de l'emploi qui ne pourra qu'aggraver les conditions de travail de notre profession et du même coup en réduire l'attractivité.

Enfin, les besoins en formation sont criants de même que les besoins en investissements, en innovation et en R&D. ArcelorMittal est dernier de la classe européenne en la matière

En conclusion, il y a aujourd'hui le discours sur la place de l'industrie et la nécessité de son redressement, et il y a les actes.

Les trois filières sont menacées d'extinction à cause des politiques menées par des opérateurs privés. Nous considérons que l'État a dès lors un devoir d'intervention et d'ingérence dans la stratégie.

Nous considérons que c'est un devoir de légiférer, pour bloquer toute tentative de liquider des installations ou des équipements viables, mais aussi de donner davantage de pouvoir aux salariés.

Nous attendons par conséquent de cette enquête parlementaire, non pas simplement un état des lieux actualisé de nos filières, mais des pistes d'intervention, des propositions de lois permettant de reprendre rapidement le contrôle de ces filières qui sont la base de toute notre industrie.

Rapidement, c'est bien le mot, parce que les témoignages que nous vous avons apportés ici et dans nos régions démontrent le degré d'urgence, sous peine d'atteindre un point de non-retour.

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