Intervention de Alain Larose

Réunion du 29 mai 2013 à 10h30
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Alain Larose, secrétaire national de la Fédération générale des mines et de la métallurgie, FGMM-CFDT :

La CFDT-métallurgie salue le travail de la commission d'enquête parlementaire et espère que celui-ci s'articulera avec l'installation du comité stratégique de filière des industries extractives et de premières transformations afin d'aboutir à des actions concrètes visant à soutenir les secteurs des matériaux de base.

La production de matériaux de base notamment l'acier, l'aluminium et le cuivre est une industrie stratégique. Elle est nécessaire pour que la France conserve une base industrielle forte. Ces matériaux sont en effet utilisés pour la réalisation de très nombreux produits, qu'ils soient industriels ou grand public, et concernent la plupart des secteurs industriels. Le ministère du redressement productif, en installant le comité stratégique de filière, a montré qu'il était soucieux du devenir de cette industrie.

En raison de ses incidences sur une large partie de notre industrie, la production de matériaux de base doit faire l'objet d'une une politique industrielle nationale. Plusieurs outils doivent être développés à cet effet. Afin de permettre une analyse stratégique des secteurs de l'acier, de l'aluminium et du cuivre, il nous semble nécessaire d'établir un état des lieux des activités mais aussi des emplois et compétences. En complément, il nous paraît indispensable de recenser les investissements réalisés et les accords de sécurisation de l'emploi négociés afin de suivre les stratégies déployées.

Le comité stratégique de filière pourrait être le lieu d'analyse et de partage de cette politique industrielle.

La France s'est engagée à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050. La transition vers une industrie « bas carbone » est donc un enjeu majeur qui mêle efficience énergétique, efficience matière et baisse des émissions de gaz à effet de serre. En outre, dès lors que l'augmentation du coût de l'électricité en France est inéluctable, la question de l'efficience énergétique s'impose pour l'avenir et la compétitivité des industries électro-intensives. L'utilisation des déchets et leur récupération sont à cet égard prometteuses à condition cependant de mieux structurer la filière.

Pour parvenir à une industrie bas carbone et plus compétitive, le maintien d'une R&D forte est essentiel. Les investissements dans la recherche sur des produits à haute valeur ajoutée ou sur des produits de niche et dans la R&D « process » doivent être développés.

La R&D des industries des matériaux de base devrait aussi tirer profit des ressources présentes dans les territoires – pôles de compétitivité, université, laboratoires de recherche – et nouer avec eux des partenariats pour gagner en efficacité.

L'efficience énergétique nécessite aussi de mobiliser des moyens en faveur de la formation. En effet, l'efficience énergétique ne se décrète pas mais suppose un changement du comportement et des habitudes qui ne peut s'opérer que par un accompagnement.

Les industries des matériaux de base souffrent d'une image de vieille industrie et connaissent des difficultés de recrutement, notamment chez les jeunes, malgré de forts besoins en la matière. L'observatoire des métiers de la métallurgie estime ainsi entre 115 000 et 128 000 par an les besoins à l'horizon de 2020. L'amélioration de l'attractivité des métiers de ces secteurs est donc un défi à relever. Le travail de promotion des métiers de la métallurgie réalisé par la branche n'y suffit pas.

La rémunération est un des déterminants de l'attractivité, tout comme la qualité de vie au travail, le déroulement de carrière et les perspectives d'évolution ainsi que la sécurisation des parcours professionnels. Le comité stratégique de filière doit s'intéresser à ces questions.

Les industries des métaux sont confrontées aux défis du renouvellement des compétences et de leur évolution, du fait, d'une part, du départ en retraite d'une quantité importante de salariés dans les prochaines années et, d'autre part, des exigences de la transition vers une industrie bas-carbone. Ce double défi appelle un développement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les compétences clés et les compétences transversales, utiles pour la sécurisation des parcours professionnels des salariés, doivent être identifiées. La formation initiale et la formation continue doivent évoluer pour permettre aux salariés de connaître un déroulement de carrière satisfaisant et pour maintenir un bon niveau d'employabilité.

Il est important que les industries des matériaux de base s'appuient sur les travaux du comité stratégique de filière sur ces sujets.

S'agissant de l'acier, les capacités de production en Europe ont été ajustées par des fermetures de sites et l'arrêt temporaire d'installations ou le ralentissement de la production. Il y a lieu aujourd'hui de s'inquiéter pour la pérennité des installations arrêtées ou dont la production a été réduite. Il n'y a pas de surcapacité. Lorsque la consommation d'acier redémarrera, l'Europe ne pourra pas faire face à la demande et deviendra importatrice. Dans ces conditions, de nouvelles restructurations ne peuvent être envisagées sans fragiliser la production européenne et française d'acier. Par ailleurs, l'ajustement des capacités au point bas de la consommation d'acier supprime les marges d'adaptation aux aléas et incidents de production. C'est ainsi que les sites de Dunkerque et de Gand se trouvent aujourd'hui en difficulté pour approvisionner le site de Florange.

La CFDT identifie une série d'enjeux spécifiques à l'acier. En matière de production, ce sont le coût et l'accès aux matières premières, la consommation d'énergie dont la quantité par tonne produite doit être réduite, le développement du haut-fourneau à gaz recyclé, le projet LIS. La CFDT revendique l'installation d'un démonstrateur industriel à Florange. Pour la transformation d'aciers, il s'agit d'accroître la valeur ajoutée des produits et de développer la production d'acier à haute dureté en France.

Dans ces deux domaines, la pérennité en France de la R&D et donc du centre ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz doit être garantie. La R&D « process », qui connaît une baisse d'investissement, doit être relancée.

La fonderie d'acier doit faire face à la croissance des réseaux d'eau. Enfin, pour la production et la transformation d'aciers inox se posent plusieurs questions : le prix bas de l'inox et l'anémie du marché européen, la qualification croissante de la main-d'oeuvre, la pérennisation en France de la R&D et donc du site d'Isbergues, l'acquisition du site de Terni (qui pourrait avoir des conséquences sur les activités en France).

Plus généralement, les métiers de l'acier sont confrontés à un fort renouvellement générationnel. Or plusieurs années sont nécessaires pour former un professionnel. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit être développée et s'inscrire dans le cadre d'un dialogue social loyal et de bon niveau. Les travaux qui vont être réalisés par le comité stratégique de filière devraient favoriser une meilleure prise en charge de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par les entreprises.

Dans le secteur de l'aluminium, la France doit conserver une position de leader sur le segment de la R&D technologies qui est un atout pour le développement d'une industrie bas carbone. L'investissement dans l'efficience énergétique est la clé de l'avenir pour l'électrolyse ; il permettra de conserver une production de proximité indispensable pour sécuriser l'approvisionnement des sites de transformation. Parallèlement, le réseau de récupération du métal doit être renforcé. Dans cette perspective, le maintien du site de Saint-Jean-de-Maurienne, qui est aussi la seule source d'approvisionnement en Europe de fil d'aluminium de qualité électrique pour les fabricants de câbles, est capital.

Pour la production d'aluminium, les enjeux sont l'efficience énergétique, la consommation d'énergie par tonne produite qui doit être réduite, le maintien en France du site de Saint-Jean-de-Maurienne, et la possibilité de combiner la production d'aluminium primaire et secondaire. Pour la transformation d'aluminium, ce sont le coût de la métallurgie secondaire, l'utilisation de davantage de déchets comme matière première, la pérennisation de la R&D en France et donc du site de Voreppe.

La filière du cuivre, matière robuste et recyclable à l'infini, est l'exemple par excellence de l'économie circulaire, pilier du développement durable. La hausse des cours du cuivre est une contrainte mais aussi une opportunité pour cette filière, les progrès des techniques d'affinage permettant de réaliser un « résultat métal » substantiel dans les fonderies. Il n'y a de surcapacités sur les demi-produits cuivreux en Europe que si l'on considère les capacités théoriques d'un parc de machines en manque d'investissements et si l'on ignore des besoins potentiels importants – installations antimicrobiennes à l'hôpital, mise aux normes HQE des bâtiments publics.

L'industrie de la fonte et de la première transformation du cuivre et du laiton est menacée de disparition. Cela aurait pour conséquences des difficultés d'approvisionnement en aval pour les clients – notamment le secteur du bâtiment dépendant des tubes de cuivre produit par le site de Givet du groupe KME menacé de fermeture ; la mise en péril en amont du secteur du recyclage des métaux, alors que les réserves de déchets cuivreux qui existent peu en Asie sont un atout pour la France et l'Europe contre les délocalisations et face à la spéculation sur ce métal ; la disparition d'opportunités de développement sur des produits innovants en rapport avec les propriétés du cuivre – applications médicales, aéronautique ; la perte de compétences métallurgiques difficiles à transmettre et à reconstituer.

Le groupe KME se désengage aujourd'hui de la France : le site de Givet dans les Ardennes, employant 320 salariés, est menacé de fermeture. Or, l'évolution des besoins des clients – petits lots et délais courts – et les exigences d'une économie bas carbone rendent nécessaire la fonte et la transformation de proximité. Par ailleurs, KME représente 950 emplois sur les 2 500 de la métallurgie du cuivre et de ses alliages en France.

Le maintien en France d'une filière cuivre et laiton passe par le regroupement d'une ou plusieurs sociétés du recyclage et de la métallurgie du cuivre. L'émergence dans la filière d'un acteur ayant la taille nécessaire pour ces activités à forte intensité capitalistique permettrait aussi de structurer le marché du recyclage des métaux ferreux et non ferreux en France. Dans cette perspective, le maintien du site de Givet est incontournable.

En conclusion, l'accord national interprofessionnel de janvier 2013 et sa transcription législative offrent aux représentants des salariés dans les entreprises de nouvelles opportunités pour décrypter les stratégies à l'oeuvre. Il s'agit notamment du développement des administrateurs salariés et de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques accompagnée d'un droit à l'expertise pour l'examen de celles-ci. Par ailleurs, le plan de formation de l'entreprise devra être le lien avec les orientations stratégiques. Enfin, le partage de l'information entre donneur d'ordre et sous-traitants doit permettre le déploiement de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences.

Ces nouveaux moyens, en devenir, auront un effet concret sur les activités industrielles des matériaux de base si une politique industrielle voit le jour. Le comité stratégique de filière doit être le lieu où cette politique s'élabore.

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