Vous vous en souvenez certainement : d'importantes échauffourées ont accompagné le rassemblement des supporters du Paris Saint-Germain (PSG) place du Trocadéro, le lundi 13 mai dernier. Le mobilier urbain a été saccagé ; des commerces ont été vandalisés et pillés ; des riverains, mais aussi des policiers et des gendarmes, ont été blessés ; des touristes ont été volés. Ce rassemblement, qui se voulait festif et bon enfant, a très vite été détourné de son but initial par des « ultras » du club de football et des casseurs.
Ces événements, d'une rare violence, ont motivé le dépôt, par notre groupe, d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, pour faire toute la lumière sur les éventuelles défaillances dans l'organisation de ce rassemblement.
Ces échauffourées font suite à d'autres incidents qui ont émaillé les différents rassemblements de la « manif pour tous », qui avaient pourtant vocation à réunir, pacifiquement, des familles et des citoyens opposés au projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Notre collègue Jean-Frédéric Poisson a d'ailleurs demandé la création d'une commission d'enquête sur la gestion de la manifestation du 24 mars dernier.
C'est pourquoi la proposition de résolution dont notre Commission doit aujourd'hui apprécier la recevabilité et l'opportunité, en application de l'article 140 de notre Règlement, concerne un champ plus large que les seuls événements de la place du Trocadéro : si elle est créée, la commission d'enquête portera sur « la gestion de la sécurité lors des manifestations et rassemblements de personnes à Paris, depuis le 16 mai 2012 ». Elle analysera également la gestion des « manifs pour tous », mais aussi des rassemblements de la Saint-Sylvestre, de celui du Front national le 1er mai 2013 ou encore de la manifestation organisée par le Front de gauche et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) le 5 mai dernier.
J'en viens à l'objet de notre réunion : rien ne fait obstacle, sur le plan juridique, à l'adoption de cette proposition de résolution, pour laquelle le groupe UMP fait usage – je le rappelle – du « droit de tirage » que lui reconnaît le Règlement de l'Assemblée nationale.
La recevabilité juridique d'une telle proposition doit être évaluée au regard de trois critères, qui sont, selon nous, tous remplis.
D'abord, la proposition de résolution doit être précise et déterminer clairement les faits ou les services sur lesquels la commission se penchera : c'est indéniablement le cas en l'espèce.
Ensuite, elle ne doit pas avoir le même objet qu'une commission d'enquête, ou une mission ayant bénéficié des mêmes pouvoirs, dont les travaux se seraient déroulés dans l'année qui précède : ce critère est indubitablement rempli.
Enfin, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si des poursuites judiciaires portant sur les mêmes faits ont été engagées. Dans le cas qui nous occupe, des poursuites ont bien été engagées à l'encontre de casseurs, mais leur objet est tout à fait distinct de celui de la commission d'enquête. Nous avons d'ailleurs reçu de Mme la garde des Sceaux une lettre qui en atteste. La commission d'enquête s'intéressera non pas aux conséquences judiciaires individuelles des violences commises par certains, mais à la gestion des manifestations et rassemblements.
Cette proposition de résolution est non seulement recevable sur le plan juridique, mais semble particulièrement opportune.
Outre que le Parlement, dans ses fonctions de contrôle, n'a que trop rarement investi le champ du maintien de l'ordre, plusieurs questions, suscitées par les événements de la place du Trocadéro, comme par la gestion d'autres manifestations, restent aujourd'hui sans réponse.
D'abord, comment la préfecture de police décide-t-elle du lieu des rassemblements et du parcours des manifestations qu'elle autorise ? Le choix de la place du Trocadéro, difficile à contrôler, ou de l'avenue de la Grande-Armée, « cul-de-sac » dans lequel s'est terminée la manifestation du 24 mars dernier, suscite des interrogations sur le processus décisionnel au sein des services de la préfecture de police.
Ensuite, quels moyens la préfecture de police met-elle en oeuvre pour évaluer à l'avance, d'une part, le nombre de manifestants et, d'autre part, les risques de débordements ? Si les besoins sont mal évalués, le dispositif de sécurité risque d'être inadapté. Or, les événements de la place du Trocadéro jettent un doute sur les capacités d'anticipation des services de l'État, compte tenu des éléments d'information dont ils devaient alors disposer.
En outre, la gestion, sur le terrain, des effectifs de policiers et de gendarmes a-t-elle failli ? Le fait que les forces de l'ordre aient dû abandonner, pendant une vingtaine de minutes, la place du Trocadéro, laissant le quartier en proie aux casseurs, suscite des interrogations légitimes.
Enfin, dans quelles circonstances les forces de l'ordre peuvent-elles faire usage de la force à l'encontre de personnes rassemblées ? Certains faits rapportés par la presse ou montrés à la télévision, comme le lancement de grenades lacrymogènes sur des familles et des personnes non-violentes, laissent penser que le droit n'a peut-être pas été parfaitement respecté ou que, à tout le moins, l'appréciation des autorités a été relativement éloignée de la réalité, conduisant à l'emploi de moyens inadaptés ou excessifs. La commission d'enquête devra faire la lumière sur ce point et, si ces faits se révèlent exacts, en analyser les causes précises.
Comme vous le voyez, les questions ne manquent pas. Les nombreuses manifestations d'ampleur qui ont eu lieu depuis un an ont fourni un échantillon représentatif des problèmes, parfois non résolus, qui se posent à la préfecture de police, dont le savoir-faire et la réputation en matière de maintien de l'ordre sont pourtant bien établis et depuis longtemps – je tiens à le souligner en ma qualité d'élu parisien. Seule la mise en oeuvre des pouvoirs de contrôle du Parlement peut permettre de répondre, en toute transparence, aux questions légitimes suscitées par la gestion des manifestations des douze derniers mois.
Il ne s'agit nullement ici d'accabler les services de la préfecture ni de mettre en cause le préfet de police, mais bien de faire la lumière sur les responsabilités de chacun, des services de l'État comme d'ailleurs des organisateurs, dans le déroulement de ces événements. Si des lacunes sont révélées par les travaux de la commission d'enquête, elles pourront alors être comblées. Nous ferons ainsi oeuvre utile pour la gestion de crises de cette nature à l'avenir, à Paris ou ailleurs.
C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à vous prononcer en faveur de cette proposition de résolution.