Quant à savoir s'il conviendrait d'allouer directement une part de notre budget au climat et au changement climatique, c'est précisément ce que nous sommes en train de faire actuellement. Cet acte tout à fait novateur ne s'étant encore pratiqué dans aucune autre économie dans le monde, nous avons en effet décidé qu'au moins 20 % de notre budget total devrait être consacré – et de manière clairement identifiable – à la concrétisation des objectifs que nous nous sommes fixés en la matière. Y parvenir serait pour nous une grande réussite. Cette décision se déclinera dans le cadre de nos politiques sectorielles, sous forme de sous-objectifs et de mesures applicables aux fonds structurels, aux fonds de cohésion, aux fonds agricoles et à la recherche & développement. Ces actions seront visibles si bien, par exemple, que, avant d'investir dans un projet d'infrastructures de transport, il nous faudra évaluer si celui-ci contribue à nos politiques climatiques ou s'il y fait au contraire obstacle. Ce nouveau mode de pensée s'appuie sur l'idée que le climat, loin d'être remisé dans un coin, doit être appréhendé de manière transversale et donc dans le cadre de l'ensemble nos politiques sectorielles.
De toute évidence, l'enjeu climatique n'a nullement été abandonné par l'Union européenne – comme l'illustrent sans doute d'ailleurs les conclusions du Conseil européen du 22 mai dernier. À la veille de ce rendez-vous, la presse avait pourtant annoncé qu'on y aborderait les deux thèmes de l'énergie peu coûteuse et des gaz de schiste. Or, les chefs d'État et de gouvernement y ont au contraire affirmé la nécessité de mettre l'accent sur les objectifs que s'est fixé l'Union européenne à l'horizon de 2030. Ils ont de surcroît demandé à la Commission européenne de formuler des propositions concrètes en ce sens d'ici à la fin de l'année et ont indiqué qu'ils réexamineraient cette question en mars prochain. Voilà qui me paraît un signe d'autant plus positif que les chefs d'État et de gouvernement ont également souligné à quel point le bon fonctionnement du marché du carbone était un élément-clef d'une politique européenne du climat qui soit efficace. C'est pourquoi, s'il est extrêmement compliqué d'aller de l'avant sur ce sujet, j'estime que nous y parvenons malgré tout.
Personne n'a vraiment « adopté » d'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. La Commission européenne a simplement indiqué, dans le cadre de la feuille de route pour une économie faible en carbone en 2050, quelle était la méthode la plus efficiente en termes de coûts pour permettre à l'Europe d'obtenir les résultats, annoncés par les chefs d'État et de gouvernement, de réduction des émissions de 80 à 95 % – affirmant que cela supposait pour l'Europe d'atteindre un taux de 40 % de réduction des émissions de CO2 en 2030. Une consultation publique étant en cours à ce sujet, j'espère que les parlements nationaux apporteront une contribution ambitieuse à ce débat. Car, si l'objectif de 40 % d'ici à 2030 était retenu, personne ne pourrait affirmer que l'Europe marque une pause dans son effort de réduction. Certains d'entre vous ont par ailleurs affirmé que nous avions déjà atteint un objectif de 20 %, ce qui n'est pas tout à fait exact. Nous nous trouvons plutôt à hauteur de 15 à 18 %, selon que l'on prend ou non en compte les transports aériens. Toujours est-il que, pour atteindre cet objectif de 20 % d'ici à 2020, il nous faudra accomplir des efforts supplémentaires dans un très grand nombre d'États membres. Si chacun d'entre eux accomplit l'effort annoncé, nous serons en mesure de dépasser l'objectif de 20 % en 2020 et donc de nous engager de manière réaliste sur la voie d'une réduction de 40 % des émissions d'ici à 2030.
Si l'on abandonnait le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, j'ignore par quoi l'on pourrait le remplacer. Sans doute seriez-vous capables de nous proposer des scénarios alternatifs mais il n'est pas certain que les vingt-sept États membres pourraient les reprendre à leur compte. Il me paraît donc opportun de conserver le système actuel tout en l'améliorant. Sinon, l'on risque d'assister à une renationalisation du système et d'être confronté à un patchwork de vingt-sept – et bientôt vingt-huit – manières différentes de procéder ; je ne suis pas persuadée que cela soit dans l'intérêt de qui que ce soit.
À la Commission européenne, nul n'a jamais pensé que le backloading constituait une idée de génie ou un moyen de sauver le système d'échange de quotas d'émissions : le recours à cette technique visait davantage à nous éviter de submerger le marché par des quotas plus nombreux encore qu'il n'en comptait déjà. Les quotas que nous aurions pu émettre seront ainsi gardés en réserve afin de stabiliser les prix et le système – et ainsi éviter que ce dernier ne chute à zéro. Il est vrai que ce processus a pris du retard mais le Parlement européen et le Conseil européen devraient accepter le backloading, le premier dans le courant de ce mois-ci, le second après l'été. Il est en tout cas grand temps que nous rediscutions des choix plus structurels qui s'offrent à nous, afin d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise. Lorsque l'on rend le système prévisible pour les entreprises et que des permis leur sont accordés pour un certain nombre d'années afin de leur permettre de planifier leurs actions, mais que soudain, les circonstances économiques changent considérablement, il convient de déterminer la manière de procéder aux ajustements nécessaires. Est-il vraiment raisonnable de maintenir à un prix bas les quotas d'émissions de carbone, comme nous le demandent les chefs d'entreprise ? Voilà qui n'est en effet nullement de nature à les inciter à investir dans les solutions plus propres et plus efficientes dont nous avons pourtant besoin. C'est bien pour cela qu'il nous faut fixer un véritable prix sur le marché du carbone.
La décision de produire de l'énergie nucléaire ou d'exploiter le gaz de schiste ne relève aucunement de la Commission européenne ; il revient aux États membres de définir leur bouquet énergétique. Cela étant, au cas où certains d'entre eux souhaiteraient exploiter ce gaz, la Commission européenne proposera dans l'année un cadre général de règles environnementales leur permettant d'éviter de reproduire les erreurs commises ailleurs. Nous souhaitons en outre que le débat sur le gaz de schiste ne sorte pas de proportions sensées. Car, s'il existe un véritable potentiel d'exploitation de cette ressource en Europe, les experts nous mettent en garde contre ceux qui pensent que son prix pourra être aussi faible qu'aux États-Unis, tant la formation géologique est complexe sur notre sol et tant notre densité de population est supérieure à celle des Américains : de fait, l'Europe ne dispose d'aucun espace vide comparable à celui de l'État du Dakota du Nord, où commencer à exploiter le gaz de schiste. Ne nous voilons pas la face en pensant que cette ressource constitue la solution miracle et qu'il est par conséquent inutile d'améliorer notre efficacité énergétique et de développer les énergies renouvelables. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime pour sa part que le gaz de schiste n'est sans doute guère intéressant pour les investisseurs dans bon nombre d'endroits, comme la Pologne, et considère elle aussi l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables comme deux voies bien plus intéressantes encore pour l'Europe – y compris sur le plan économique.
Il est juste d'affirmer que tous les secteurs économiques ont un rôle à jouer, y compris le secteur agricole – le soutien de la France étant d'ailleurs essentiel en la matière. C'est pour cette raison que la Commission européenne cherche à obtenir le verdissement des subventions agricoles. Et c'est aussi pourquoi il lui faut s'assurer que les agriculteurs qui en bénéficient contribuent de quelque manière au bien commun, que ce soit en matière d'environnement, d'adaptation au changement climatique ou de culture énergétique. Nous disposons aussi désormais d'un cadre en matière d'usage des sols et de changement d'affectation des sols au profit de la sylviculture, ce qui signifie qu'après 2020 et d'ici à 2030, nous bénéficierons une méthode nous permettant de mieux prendre en compte la contribution de l'agriculture à notre politique ainsi qu'aux objectifs que nous nous sommes fixés pour 2030.
Vous avez parfaitement raison de souligner la complexité des négociations : l'Europe dépense en effet un temps et une énergie considérables à se mettre d'accord avec elle-même – ce qui ne fait qu'amplifier la difficulté. La Commission européenne n'étant pas en mesure de communiquer, depuis Bruxelles avec les habitants des vingt-sept pays membres de l'Union européenne, si ce n'est sur des sujets généraux, les parlements nationaux – qui connaissent les priorités de leurs pays respectifs et la manière dont les messages doivent être transmis à leurs concitoyens – ont véritablement un rôle à jouer pour mieux faire connaître le détail de ces enjeux. D'expérience, ayant participé à la conférence de Copenhague de 2009 sur le climat, tous les Danois – qu'il s'agisse des citoyens, de la société civile ou de la communauté d'affaires – ont fini par comprendre, je crois, que le changement climatique constituait un véritable défi et par chercher des solutions. Organiser une conférence ici, en France, vous fournira donc non seulement l'occasion de la présider mais également d'en faire ressentir les effets dans toute la société française.
Vous nous avez par ailleurs fait justement remarquer à quel point il importait de ne pas concentrer toute notre attention sur l'énergie mais de la faire porter également sur l'économie circulaire, la réutilisation et le recyclage – ce que fait bien sûr la Commission européenne. Le commissaire Janez Potočnik proposera d'ailleurs prochainement des indicateurs d'utilisation efficace des ressources mettant l'accent sur ces trois points. Cela étant, l'une des actions les plus importantes que nous puissions mener en ce domaine consiste à tarifer plus conséquemment les déchets et la pollution. C'est de fait ce qu'a recommandé la Commission européenne la semaine dernière à de nombreux États membres – y compris à la France. Nous avons notamment suggéré de moins imposer le travail et davantage les ressources et la pollution. La fixation d'un prix adapté constitue en effet une véritable incitation à recycler.
Quant à améliorer notre compétitivité vis-à-vis de la Chine, veillons tout de même à ne pas adopter une vision trop limitée de cette notion. En janvier dernier, la Commission européenne a en effet passé une journée entière à débattre du sujet, tandis que, le jour même, un long article du Financial Times traitait de la présence d'un brouillard de pollution en Chine, pesant sur l'économie et la stabilité sociale de ce pays. Cités dans l'article, certains Chinois haut placés considéraient ce brouillard ambiant non pas comme un enjeu environnemental mais bien plutôt comme un problème mettant en lumière les défaillances du système économique national, leur pays n'ayant pas réussi à se développer tout en protégeant son environnement.
Il serait fort regrettable que l'Europe se considère désormais comme tellement appauvrie par la crise qu'il lui faille abandonner ce en quoi elle a excellé pendant de fort nombreuses années : se développer tout en menant une politique environnementale sensée et tout en jouissant de la propreté de son air et de son eau. Il convient au contraire de combiner les deux et d'inciter les Chinois et nos autres concurrents – quelle que soient les enceintes dans lesquelles nous négocions avec eux – à appliquer des politiques plus efficaces en matière climatique et de protection de l'environnement. La Chine commence d'ailleurs à y venir car elle sait pertinemment qu'une production plus efficace peut lui permettre de conquérir des parts de marché. Si nous voulons mener une stratégie de compétitivité pertinente en Europe, il importe d'inciter nos entreprises à innover de telle sorte qu'elles restent à la pointe du mouvement et qu'elles soient elles aussi en mesure de conquérir de nouvelles parts de marché, même si cela doit bien évidemment se faire de manière équilibrée.
S'agissant de la fonte des glaces au pôle Nord et du Conseil de l'Arctique, c'est le Canada qui s'est opposé à ce que l'Union européenne se voit accorder le statut d'observateur, en raison de sa politique s'agissant des phoques. Il a cependant été annoncé, à la suite de ce Conseil, que la question serait renégociée et résolue très prochainement. Je ne puis vous en assurer totalement mais il paraît néanmoins tout à fait logique que ce soit le cas, dans la mesure où tous les autres parties prenantes se sont vu reconnaître ce statut.
En ce quoi concerne les possibilités dont dispose l'Europe pour prendre les devants, il importe effectivement que nous balayions devant notre porte, que nous nous fixions nos prochains objectifs et que nous fassions fonctionner au mieux le marché de quotas d'émissions. Contrairement à ce que pensent certains, la famille du système d'échange des quotas d'émissions ne cesse de s'agrandir, avec l'entrée de la Corée du Sud, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Californie – huitième économie mondiale – et de la Chine, qui a initié de grands projets pilotes à Shanghai et Shenzhen. Les Chinois prévoient ainsi de se doter d'un marché des quotas d'émissions à l'échelle nationale à l'horizon de 2016. Il serait paradoxal que l'Europe, qui a inspiré d'autres grands concurrents à opter pour un tel système, ne mette pas de l'ordre chez elle.
Enfin, nous n'avons absolument pas renoncé aux quotas pour les transports aériens puisque nous nous sommes fixés une limite d'un an au terme de laquelle nous arrêterons la pendule et ferons appliquer notre législation régionale. L'objectif consistait précisément à créer un espace de négociation et à parvenir à un accord mondial sur la meilleure façon de réglementer l'aviation. L'Association internationale du transport aérien (IATA) a pour sa part annoncé, pas plus tard qu'hier, lors de sa réunion annuelle, qu'elle encouragerait les compagnies aériennes et les différents États où celles-ci opèrent à soutenir l'instauration d'un mécanisme mondial de marché, ce qui correspond précisément à ce que nous essayons d'instituer en Europe.
Cela étant, nous n'obtiendrons le résultat souhaité que si l'Union européenne reste unie, y compris lorsqu'il s'agit d'appliquer notre propre législation sur le continent. Les vols intra-européens devront donc toujours payer pour leur propre pollution, qu'il s'agisse d'Air France, de Lufthansa ou de Scandinavian Airlines. Il en va de même pour les compagnies aériennes étrangères qui opèrent sur les mêmes itinéraires en Europe, y compris les chinoises et les indiennes. Il va de soi que l'Europe doit veiller à l'application de sa propre législation sur son territoire, pendant qu'elle négocie. Si je suis consciente qu'il s'agit d'une question éminemment délicate en France, il n'en va pas tant ici du climat que de la manière dont l'Europe est perçue par le reste du monde. Il me paraît donc nécessaire que nous restions fermes et unis sur ce dossier. Ce n'est qu'ainsi que nous parviendrons effectivement à l'automne au résultat souhaité, à savoir une régulation internationale de l'aviation, sans quoi le fardeau pèsera de manière encore plus importante sur d'autres secteurs. Vous comprendrez aisément que ceux d'entre nous qui ont les moyens d'acheter un billet long courrier soient aussi en mesure de payer pour les pollutions que ces vols occasionnent.