Intervention de Jean-Claude Ameisen

Réunion du 21 mai 2013 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Claude Ameisen, président du CCNE :

Je vous remercie de m'entendre aujourd'hui. En préalable je souhaiterais définir le contexte des travaux du CCNE. Créé il y a 30 ans, celui-ci a pour mission d'émettre des avis et d'y associer des recommandations sur les questions éthiques liées au progrès de la science dans le domaine du vivant. L'essentiel de sa mission porte sur la mise à la disposition de la société et des pouvoirs publics, des informations nécessaires pour transposer dans la vie démocratique ces évolutions, et favoriser un choix libre et informé en matière d'éthique biomédicale. Dans ce cadre, le CCNE anime des débats publics sur les grandes questions de société, mission d'ailleurs étendue par le législateur dans la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011. Cette loi lui demande en effet d'initier des états généraux sous la forme de conférence de citoyens sur les projets de réforme concernant les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. Le Comité a ainsi organisé une Journée publique de réflexion des lycéens sur « La place de la personne âgée dans la société » en mars dernier, et pour son 30ème anniversaire, il organise les 4 et 5 octobre prochain dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne un débat sur « Éthique et démocratie ».

Le CCNE est actuellement saisi de la fin de vie par le Président de la République et rendra son avis en juin prochain. Il s'est autosaisi de la problématique particulièrement importante de la PMA. Comme il s'agissait de modifier l'un des éléments de la loi précitée de 2011, Le CCNE a proposé d'organiser des états généraux. Conformément à l'article L1412-1-1 du Code de la santé publique, le CCNE a consulté les commissions permanentes (commissions des lois et commissions des affaires sociales) de l'Assemblée nationale et du Sénat et donc aujourd'hui l'OPECST. Actuellement, la PMA est ouverte aux couples de sexe différent pour remédier à une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou pour éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à un membre du couple. Les membres du couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans.

Il s'agit aujourd'hui de savoir si ces indications doivent être assouplies dans le but de répondre à des demandes sociétales, provenant de femmes célibataires ou de couples de femmes ou d'hommes, ce qui dans ce dernier cas impliquerait de recourir à la gestation pour autrui (GPA) sur laquelle le CCNE a émis un avis n°110 négatif, il y a 3 ans.

Cette question s'inscrit dans un débat plus large sur l'objet de la médecine et sur le rôle que la société entend lui voir jouer : celle-ci doit-elle intervenir pour caractériser ce qu'on considère comme des maladies ? Doit-elle répondre à des demandes sociétales, comme l'augmentation des capacités cognitives, ou de la mémoire qui soulèvent les mêmes questions ?

Les indications sociétales de l'assistance médicale à la procréation (AMP) induisent d'autres interrogations. Certaines portent l'impact de la congélation très rapide des ovocytes autorisée depuis la loi de 2011 qui permet de les conserver dans un état pratiquement semblable à celui du moment de leur prélèvement. Cela conduirait à des demandes de prélèvement d'ovocytes sur des femmes jeunes sans problème médical particulier afin de les utiliser plus tard, dans le cadre d'une AMP lorsque leur fertilité sera compromise. C'est une indication sociétale qui conduit à une interrogation sur les conditions de vie de ces femmes (en couple, célibataire), au moment de l'utilisation de ces ovocytes. Quelles seront alors ces conditions, qu'adviendra-t-il de ces ovocytes si la loi ne permet pas de les utiliser ou s'ils ne le sont pas ?

D'autres interrogations portent sur l'anonymat des donneurs de gamètes : connaitre l'identité du donneur dans le cadre d'une AMP n'aurait pas forcément la même signification en termes de filiation pour un couple de femmes et pour un couple hétérosexuel.

Le terme « médicale » dans l'expression « AMP » renvoie-t-il strictement à la médecine ou doit-on considérer qu'il s'agit d'une extension des actes médicaux pour répondre à une demande sociétale plus générale ? Quel serait alors le mode de prise en charge par la solidarité nationale si on exclut le recours à l'assurance maladie? Cette question se pose d'autant plus que certains pays la traitent différemment au niveau de la prise en charge par les régimes de solidarité nationale. Au Royaume-Uni, le droit est très ouvert, mais en contrepartie, il n'existe aucune prise en charge, ce qui entraîne le développement d'une discrimination par l'argent.

Ce type d'analyses devrait nourrir les réflexions conduites par les citoyens consultés dans le cadre des états généraux sur l'extension de l'AMP aux indications sociétales. Les états généraux devraient se dérouler en octobre et novembre prochain, et le Comité ne rendra son propre avis qu'une fois la consultation des citoyens achevées, pour éviter d'interférer avec leur réflexion qui doit bénéficier d'une pleine liberté. Au terme de ce processus, le Comité rédigera une synthèse des conclusions qui se dégageront de la consultation citoyenne, indépendamment de son propre avis. Il le présentera à l'OPECST auquel il appartiendra de conduire sa propre évaluation à partir de ces documents et qui rédigera un rapport sur ce rapport. Tel est le système quelque peu complexe introduit par l'article L.1442 -1-1 précité.

Le CCNE considère que les contributions des citoyens pourront constituer un apport important sur l'éthique des conditions de recours sociétal à la PMA, et qu'il est également utile qu'ils réfléchissent aux indications actuelles définies par la loi de 2011 car certaines limites entre indications sociétales et indications médicales sont floues. Ainsi les limites de la fécondité biologique, vers 42 ou 43 ans, y expliquent le fort taux d'échec des PMA engagées en l'absence de don d'ovocytes. La tentative de surmonter une cause pathologique se heurte en ce cas à un problème physiologique, et non pathologique, de vieillissement.

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