Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 5 juin 2013 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Comme le disait hier Christiane Taubira dans une autre enceinte, les projets de loi que nous vous présentons aujourd'hui ne sont en rien réactionnels ou conjoncturels, mais ont au contraire une vraie ambition structurante.

C'est Bernard Cazeneuve qui, pour l'essentiel, portera ces textes, après avoir largement contribué à les préparer. Mais je souhaite pour ma part planter le décor et insister sur le contexte européen et international dans lequel ils se présentent.

Sur le plan international, le regard sur l'opacité financière est en train de changer, et une vraie dynamique est en oeuvre, en Europe comme dans d'autres économies avancées, pour la faire refluer. Si, jusqu'à présent, l'absence de transparence financière et le secret bancaire étaient des anomalies tolérées, ils sont désormais plutôt considérés comme des actes de prédation et d'agression envers les finances publiques des États, et jugés insupportables à l'aune de deux exigences, celle de justice et celle du redressement des comptes publics.

Rappelons que l'an dernier, le Trésor a notifié pour 18 milliards d'euros de redressement d'impôt. Ce montant considérable équivaut au coût, l'an prochain, du crédit d'impôt compétitivité emploi.

Quelque chose d'historique – je n'ai pas peur du mot – se joue actuellement au niveau international, avec les coups de boutoir donnés contre l'évasion fiscale, les paradis fiscaux et le contournement de l'impôt. Il faut conforter cette ouverture, d'autant que la France est souvent à la manoeuvre dans ce domaine.

Ainsi, c'est notre pays qui a donné l'impulsion politique en lançant des initiatives audacieuses sur plusieurs fronts. L'objectif, tant en ce qui concerne les entreprises que les ménages, est toujours le même : s'attaquer aux destinations susceptibles d'accueillir la fraude et resserrer l'étau sur les fraudeurs.

Dès le mois de novembre dernier, j'ai signé avec mes homologues britannique – George Osborne – et allemand – Wolfgang Schäuble – une lettre commune pour apporter notre soutien aux travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l'optimisation fiscale des multinationales. L'initiative BEPS – base erosion and profit shifting – concerne en effet ces multinationales qui paient peu, voire pas d'impôts dans des pays où leur activité est pourtant florissante, car elles transfèrent leurs profits dans des paradis fiscaux.

En avril, avec quatre grands partenaires européens – l'Espagne et l'Italie s'ajoutant à ceux que j'ai cités –, j'ai lancé une initiative commune – reprise quelques jours plus tard au conseil Ecofin – pour demander à la Commission européenne de prendre les devants en matière de transparence fiscale et de ne plus accepter de compromis sur le secret bancaire.

Depuis cette étincelle, la flamme s'est propagée, conduisant le G 20 à se prononcer pour un renforcement de la coopération fiscale et à réaliser deux avancées majeures. À Washington, en effet, les ministres des Finances ont souhaité faire de l'échange automatique d'informations un nouveau standard international, et reconnu pour la première fois le rôle des trusts et des entités intermédiaires dans la fraude fiscale, posant la question de savoir ce qui se cache derrière.

Fin avril, Wolfgang Schäuble et moi-même avons ouvert un nouveau front contre les paradis fiscaux en demandant au commissaire Barnier que l'Europe adopte une approche ambitieuse en matière de lutte contre le blanchiment d'argent des juridictions non coopératives, à l'heure où s'ouvrent les négociations sur la quatrième directive antiblanchiment. Nous avons en particulier demandé la mise en place d'une véritable politique européenne de lutte contre les paradis fiscaux et pour la transparence des bénéficiaires effectifs – sociétés, trusts et autres entités juridiques plus ou moins opaques. Cette exigence a été traduite dans les conclusions du G 7.

Enfin, le Conseil européen du 22 mai, sous l'impulsion du président de la République notamment, a confirmé le rôle de l'Europe comme fer de lance dans ce combat et lancé l'idée d'un FATCA – foreign account tax compliance act – européen.

L'enjeu est simple : changer de normes. En matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, le standard actuel est le partage de l'information à la demande. Or ce système a montré ses limites, la réponse donnée aux interrogations d'un État dépendant du contenu des conventions fiscales. Nous voulons donc remplacer ce standard trop limitatif par celui de l'échange automatique d'informations. L'Europe restera à la pointe de ce combat en faisant aboutir avant la fin de l'année la révision de la directive « Épargne », de façon à en combler les lacunes et à en étendre le champ d'application. Elle va aussi négocier avec des États tiers – Andorre, Monaco, la Suisse, le Liechtenstein – afin qu'ils avancent sur la même voie.

Mais surtout, le « FATCA européen » que j'appelais de mes voeux a commencé à prendre forme à l'issue du Conseil européen du 22 mai. La Commission européenne a d'ores et déjà indiqué qu'elle remettrait sur le métier une directive existante afin d'instaurer de manière pérenne et contraignante l'échange automatique d'informations sur tous les revenus, et non simplement sur ceux de l'épargne.

C'est dans ce contexte international en pleine mutation que vous allez examiner le projet de loi relatif à la fraude fiscale, qui s'inscrit dans la droite ligne des initiatives déjà prises par le Gouvernement depuis un an, qu'il s'agisse de la lutte contre la fraude fiscale, du paquet antifraude de la loi de finances rectificative pour 2012, du Plan national de lutte contre la fraude aux finances publiques présenté en février 2013, ou des dispositions sur la « transparence pays par pays » prises dans le cadre du projet de loi sur les activités bancaires, et qui devraient être étendues tout à l'heure aux grandes entreprises.

Je terminerai en insistant sur les deux axes qui structurent le projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale.

Le premier est d'ordre conceptuel. La poursuite des fraudeurs, aujourd'hui, se fait en plusieurs temps : à l'identification succède l'investigation, puis l'intervention du juge, et enfin la sanction. Or quelle que soit leur force, les opérateurs concernés restent éparpillés et agissent sans lien les uns avec les autres. Le projet de loi vise donc à mieux lier la chaîne de poursuite et à en renforcer chacun des maillons, afin de leur donner les moyens d'agir efficacement. Par exemple, la police fiscale pourra recourir, contre la fraude fiscale aggravée, à des techniques spéciales d'enquête, telles que l'infiltration ou la sonorisation.

Le deuxième axe structurant du projet de loi est le renforcement de la répression et l'adoption de sanctions plus fortes et plus dissuasives. Ainsi, le texte qualifie de circonstance aggravante de l'infraction le fait de commettre une fraude fiscale en bande organisée. Une fraude fiscale aggravée sera passible de sept ans d'emprisonnement et de 2 millions d'euros d'amende. Enfin, une personne morale condamnée pour blanchiment s'exposera à une peine de confiscation générale du patrimoine. Cela permettra de progresser dans la lutte contre les montages frauduleux faisant appel à des sociétés écrans. Plutôt, en effet, que de créer des cellules de régularisation au fonctionnement opaque, destinées aux VIP, il convient de prendre des mesures dissuasives. Bernard Cazeneuve vous confirmera qu'elles sont efficaces.

L'idée selon laquelle la lutte contre la fraude fiscale est un impératif moral rassemble désormais largement au-delà de nos frontières. Mais si on observe aujourd'hui un momentum, un élan particulier dans ce domaine, c'est aussi en raison de l'intérêt qu'elle représente pour les finances publiques. À cet égard, ce projet de loi ambitieux est une contribution de la France au mouvement qu'elle initie elle-même à l'échelle internationale.

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