Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 5 juin 2013 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je présenterai brièvement les deux projets de loi, Bernard Cazeneuve et moi-même étant à votre disposition pour répondre aux questions.

Le panorama international esquissé par le ministre de l'Économie et des finances donne plus de relief à la démarche du Gouvernement, qui tranche avec les initiatives précédentes. Jusqu'à présent, en effet, la réponse apportée aux scandales auxquels notre société a été confrontée, et qui souvent mettaient en cause des personnalités ayant des responsabilités publiques, consistait en la présentation de textes de loi sur des problèmes très ciblés. Cette fois, le Gouvernement ne s'est pas contenté d'aggraver les sanctions pénales ou de définir de nouvelles incriminations pour s'adapter aux évolutions du phénomène, mais a préféré adopter une démarche d'ensemble, plus cohérente et plus offensive.

Comme l'a dit M. Moscovici, ces projets de loi ne répondent pas à une conjoncture. Les initiatives prises depuis plusieurs mois par le Gouvernement montrent qu'il a fait de la lutte contre la délinquance économique et financière et contre la fraude fiscale un de ses objectifs majeurs.

Nous sommes mobilisés depuis plusieurs mois. Nous avons ainsi répondu aux recommandations du groupe de travail de l'OCDE sur la lutte contre la corruption en formulant certaines propositions et en nous engageant à modifier notre code pénal. Nos services – la direction des affaires criminelles et des grâces, mais aussi le service central de prévention de la corruption, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, le pôle économique et financier de Paris – ont été rapidement mobilisés, ce qui nous a permis, malgré l'accélération du calendrier, de présenter dans les délais requis les projets de texte – projet de loi ordinaire et projet de loi organique – au Conseil d'État.

Le projet de loi organique ne comprend qu'une disposition, nécessitée par la création d'un parquet financier à compétence nationale.

Le projet de loi ordinaire contient une vingtaine d'articles, dont plusieurs sont consacrés à la possibilité, pour des associations agréées dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, d'exercer les droits de la partie civile. Cette disposition, que nous avons proposée en octobre 2012, fait partie de notre réponse aux préconisations de l'OCDE.

Par ailleurs, le texte élargit le champ de compétences de la brigade nationale de répression de la fraude fiscale au blanchiment de la fraude fiscale complexe.

Un certain nombre de dispositions concernent spécifiquement l'administration fiscale : ce sont les articles 3, 10 et 11. L'article 3, qui modifie le code général des impôts, considère comme circonstance aggravante de fraude fiscale le fait de la commettre en bande organisée, la fraude fiscale aggravée étant désormais passible de sept années d'emprisonnement et d'une amende pénale de 2 millions d'euros. L'utilisation de techniques spéciales d'enquête sera autorisée. L'article 10 permet l'usage de sources indépendamment de leur nature – nous vous expliquerons ce que nous entendons par là –, tandis que l'article 11 modifie le livre des procédures fiscales.

Les autres articles ont principalement pour objet la création d'un procureur financier à compétence nationale. Il se voit reconnaître une compétence d'attribution pour les atteintes à la probité – corruption, conflits d'intérêts, détournement de fonds publics, favoritisme et autres actions de même nature – ; les infractions de corruption d'agent public étranger ; les délits de fraude fiscale complexe et de fraude fiscale commise en bande organisée ; et, bien entendu, le blanchiment de l'ensemble de ces infractions.

Le procureur de la République financier exercera également une compétence exclusive en matière de délits boursiers.

Par ailleurs, le projet de loi aligne le régime des personnes morales sur celui des personnes physiques s'agissant de la possibilité de prononcer une peine complémentaire de confiscation de l'entier patrimoine. Il permet la confiscation d'un contrat d'assurance-vie, étend la possibilité d'effectuer des saisies et des confiscations en valeur, et celle de confisquer des immeubles, en tenant compte de leur libre disposition et de la bonne foi d'éventuels copropriétaires. Des dispositions sont prises pour permettre l'accès de ces personnes au dossier pénal, tout en le limitant à certaines pièces pour le cas où leur bonne foi serait finalement remise en cause.

Enfin, le texte tend à simplifier l'entraide pénale internationale en matière de saisie des avoirs criminels.

Je le répète, notre démarche ne se limite pas à l'aggravation de sanctions pénales ou à la définition de nouvelles incriminations, mais vise à éradiquer le phénomène de fraude, ou du moins à le rendre à la fois plus coûteux et plus pénible socialement. Nous souhaitons rendre les sanctions effectives – notamment les saisies d'avoirs criminels –, nous équiper d'un arsenal répressif mieux adapté, et mieux coordonner l'action de l'administration fiscale avec celle des parquets, en rendant plus cohérentes les politiques fiscale et pénale.

Nous proposons donc trois modifications structurelles : la création d'un office central de lutte contre la fraude et la délinquance économique et financière ; la réorganisation des juridictions compétentes en matière de lutte contre la délinquance économique et financière ; la création du parquet financier à compétence nationale.

Les derniers articles du projet de loi tendent donc à modifier le code de procédure pénale et le code de l'organisation judiciaire pour réorganiser nos juridictions et introduire les adaptations nécessaires à la création du parquet financier. Enfin, des dispositions transitoires permettront aux pôles économiques et financiers, créés en 1975 et que nous allons supprimer, d'épuiser les procédures en cours.

Quant au projet de loi organique, il adapte l'ordonnance de 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature afin de tenir compte de la création du nouveau parquet.

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