Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 5 juin 2013 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Nous n'avons aucune réticence sur une éventuelle circulaire commune, madame la rapporteure pour avis, et nous y travaillons.

Une réflexion interministérielle a été menée sur la protection des lanceurs d'alerte, et le Gouvernement est favorable, monsieur Goasdoué, à l'introduction d'une mesure en ce sens dans le présent texte.

Le procureur de la République financier, monsieur Verchère, sera nommé dans les mêmes conditions que les autres procureurs, et comme eux pour une durée de sept ans. Si la réforme du CSM est adoptée, cette nomination sera soumise à l'avis conforme de ce dernier, comme c'est le cas pour les magistrats du siège.

J'ai entendu deux questions qui me semblent contradictoires : vous sembliez vous inquiéter à la fois de l'indépendance de ce procureur et d'une possible mainmise de l'exécutif sur lui. Si l'on souhaite que le procureur soit totalement indépendant, le projet de loi réformant le Conseil supérieur de la magistrature consolide cette indépendance. On peut aussi juger, à l'inverse, que cette indépendance n'est pas souhaitable – et telle est plutôt la position que je vous ai entendu défendre lors des débats consacrés à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et au projet de loi réformant les relations entre le garde des Sceaux, les parquets généraux et les parquets. De fait, vous étiez plutôt réticents à cette indépendance, arguant d'une politisation et d'une syndicalisation des magistrats pour affirmer que l'indépendance du procureur livrerait le Conseil supérieur de la magistrature et l'ensemble de la magistrature au corporatisme ; vous vous fondiez sur ces arguments pour vous opposer à ces deux réformes.

Si votre préoccupation est plutôt de savoir si le pouvoir politique aura la main sur le procureur, la réponse est : non, du fait précisément de l'indépendance qui lui sera assurée. Quant à savoir si ce procureur risque de classer des affaires même si on ne lui donne pas de consignes, aucun élément ne justifie cette hypothèse.

Monsieur Blanc, vous estimez que ce procureur n'est pas adapté, tandis que M. Le Bouillonnec demande ce qui justifie la création de cette fonction. Pour répondre à votre crainte que la verticalisation de cette compétence s'accommode mal du caractère transversal des infractions concernées, je rappelle que la compétence de ce procureur est concurrente et n'invalidera pas les procédures déjà engagées par les JIRS. Ces dernières, créées en 2004 pour recevoir les procédures présentant une très grande complexité, ne sont du reste pas mises en cause par la réorganisation. La loi supprimera les pôles économiques et financiers créés par la loi de 1975 et présents dans les tribunaux de grande instance, dont le fonctionnement est assez inégal du fait de la disparité des réalités économiques et financières sur le territoire. Les JIRS seront donc compétentes pour ces procédures d'une grande complexité et le procureur financier à compétence nationale recevra les procédures d'une très grande complexité.

Vous craignez une complication. De fait, il y aura bien à Paris deux procureurs, mais le procureur financier à compétence nationale sera placé sous l'autorité hiérarchique du procureur général. On peut certes craindre que, nonobstant la loi et ces précisions, des interrogations puissent surgir quant à la répartition des procédures entre les juridictions de droit commun, les JIRS et le procureur financier – ce qui, de fait, se produit constamment, comme l'illustre l'expérience des comités stratégiques régionaux que nous avons mis en place sur les trois ressorts de Corse, de l'agglomération de Marseille et de Paris, malgré l'amélioration des critères d'orientation des enquêtes. Dans la pratique, les JIRS font valoir qu'une affaire qui paraissait initialement très simple peut leur être transférée en cours de procédure, alors qu'il aurait mieux valu que ce transfert intervienne plus tôt – ce qui supposerait toutefois un dessaisissement quasi-systématique des juridictions de droit commun ou du pôle économique et financier, qui rendrait inutile la présence judiciaire sur l'ensemble du territoire.

Il s'agit là d'une difficulté objective. Les juges d'instruction de ressorts très différents, que j'ai largement interrogés sur ce point indiquent qu'ils auraient souhaité que les procédures leur soient transmises très vite, tout en reconnaissant qu'il est difficile d'appliquer des critères objectifs infaillibles. Il existe toutefois des mécanismes permettant de définir si une affaire relève de la compétence du pôle économique et financier, de la JIRS ou du parquet que nous créons.

Il est indiscutable qu'il faut créer ce parquet, que le Gouvernement a décidé de spécialiser sur les atteintes à la probité, lesquelles ne sont pas seulement de la délinquance économique et financière. Nous avons en revanche décidé de ne pas créer de juridiction spécialisée, qui bouleverserait l'architecture du « parquet à la française » et de nos juridictions. Depuis 1981, nous nous sommes d'ailleurs défaits, au fil des années, des juridictions spécialisées – la dernière suppression en date, celle de tribunaux militaires, étant intervenue l'année dernière. Les pôles d'instruction devront toutefois être composés de magistrats spécialisés et nous envisageons à cet effet un mécanisme d'habilitation tel qu'il en existe déjà un pour les JIRS.

Pour le reste, monsieur Le Bouillonnec, notre démarche est celle d'une cohérence d'ensemble. Le projet de loi réformant le Conseil supérieur de la magistrature vise à la fois à tenir compte de l'ordonnance de 1958, qui établit un rapport hiérarchique entre les parquets et le garde des Sceaux, et à réorganiser ce rapport en donnant au garde des Sceaux la responsabilité de la politique pénale et en laissant aux parquets généraux et aux parquets l'animation et l'exercice de l'action publique. Cette démarche est complétée, dans ce projet de loi, par l'alignement du statut du parquet sur celui des magistrats du siège.

Rien ne peut donc laisser penser que le Gouvernement créerait ce procureur par défiance vis-à-vis de l'actuel procureur de Paris, qui fait son travail sans que quiconque puisse y trouver à redire, ou avec l'intention, avouée ou non, de mettre le nez dans les affaires – il est du reste bien établi que, depuis un an, nous ne le faisons pas et le proclamons assez fort pour que, si un magistrat avait pu affirmer le contraire, il se soit d'autant moins privé de le faire que, comme vous le déclarez vous-mêmes, les magistrats s'affranchissent de plus en plus du rapport avec l'exécutif et s'affirment de plus en plus en contestant ce dernier. Si donc nous prêtions le flanc à la critique, cela se saurait.

Quant aux informations diffusées par la presse, sachez qu'il m'arrive souvent d'apprendre par ce canal des choses qui n'ont, avant comme après, aucune réalité concrète.

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