Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 28 septembre 2012 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Nous venons en effet vous présenter deux projets de loi : le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012-2017 et le projet de loi de finances pour 2013, par lequel je commencerai.

Le budget que nous présentons est un budget de vérité. Vérité des engagements qui ont été pris devant les Français : François Hollande l'avait dit, nous le faisons. Vérité des chiffres : il n'y a pas de prévisions de croissance chimériques ni de dépenses cachées. Vérité des mots : la crise est historique et s'est encore aggravée cet été. Il nous faut donc faire un effort sans précédent. Nous présentons un budget de combat : contre la crise ; contre la dette ; contre l'injustice et contre les inégalités.

Le Président de la République a fixé le cap, le calendrier et la méthode de notre politique économique. Le cap est clair : l'emploi, la réduction des inégalités et le redressement de nos comptes. L'emploi, qui naîtra sur le terreau d'une croissance retrouvée, est la priorité absolue du Gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Le redressement des comptes publics est entrepris dans un souci constant de justice sociale et dans le but de préserver l'indépendance du pays face aux marchés, de rétablir nos marges de manoeuvre et de dégager l'horizon financier pour notre jeunesse. Conformément aux souhaits du Président, l'essentiel de l'effort d'ajustement – c'est notre calendrier – sera réalisé en début de mandat, dès 2013. Si cet effort est important, c'est parce qu'il est à la mesure des déficits que nous avons trouvés à notre arrivée. Et si cet effort est difficile, c'est parce qu'il doit être conduit à un moment où le pays connaît une période de stagnation économique dans un contexte international – notamment européen – particulièrement morose. Il nous faut prendre la mesure de cette responsabilité à la fois historique et collective.

Ce cap – la croissance et l'emploi, la justice et le redressement des comptes – guide les choix que nous avons arrêtés dans l'ensemble des lois financières qui vous sont présentées cet automne.

D'abord, en fixant de manière pérenne des règles responsables et lisibles de gestion des finances publiques, le projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, en cours de discussion au Parlement, vise à assurer un meilleur pilotage de nos finances publiques pour garantir le retour à l'équilibre. Il m'a semblé que nos discussions s'engageaient sous les meilleurs auspices à cet égard.

Ensuite, le projet de loi de programmation des finances publiques pour les cinq ans à venir, qui anticipe la réforme organique, fixe, sur l'ensemble de la législature, la trajectoire de redressement de nos comptes dans la justice par un partage équilibré de l'effort entre maîtrise de la dépense des administrations publiques et effort en recettes, dans le cadre d'une réforme fiscale qui préserve notre potentiel de croissance.

Enfin, notre projet de loi de finances pour 2013, notre premier budget, décline et finance nos priorités. Le budget que nous soumettons au Parlement pour 2013 est donc un budget de combat, de redressement, de justice et de modernisation de l'économie.

Avant d'en décrire les principales composantes, je ferai un point de cadrage général. Ce budget ne se déploie évidemment pas « dans le vide », il a été conçu en réponse au diagnostic macroéconomique que nous avons dressé – mais qui me paraît considéré comme un diagnostic objectif par toutes les personnes ici présentes – et sert les objectifs économiques et politiques que le Gouvernement et la majorité se sont fixés. Il est donc partie intégrante de notre stratégie globale pour le rétablissement économique du pays.

Bien sûr, il convient d'avoir à l'esprit la situation internationale car elle conditionne notre propre situation.

L'économie mondiale peine à sortir de la crise financière qui l'a frappée il y a quatre ans. Cette crise trouve son origine dans les dérèglements du système financier, les déséquilibres et les excès d'endettement qui les ont accompagnés. Partie des États-Unis en 2008, elle s'est prolongée en Europe à partir de 2009. La crise s'est ravivée à l'été 2011 en raison d'une série de chocs qui ont entraîné un brusque ralentissement mondial, avec notamment la hausse des prix du pétrole en raison de tensions géopolitiques au Moyen-Orient, et surtout, l'intensification de la crise de la zone euro à l'été 2011.

L'Europe est aujourd'hui l'épicentre de la crise mondiale – dans toutes les rencontres internationales auxquelles j'ai participé, qu'il s'agisse par exemple du G20 ou de rencontres bilatérales, avec mes interlocuteurs américains ou chinois, nous ne parlons que de cela. Alors que, lorsque l'on considère L'Europe dans son ensemble, on constate que ses fondamentaux sont sains. La crise a prospéré ces dernières années, faute de mécanismes de résolution rapides et efficaces, et d'une perspective politique claire pour l'avenir de l'Europe. Les pays sous tension, comme l'Espagne et l'Italie, sont de nouveau en récession, ce qui affecte bien sûr l'ensemble du continent.

Même si la France est dans le peloton de tête de la zone euro, il s'agit d'un peloton qui avance lentement et nous n'avons toujours pas retrouvé notre PIB d'avant la crise. Nous produisons encore moins qu'en 2007. Et l'INSEE a confirmé ce matin que la France venait d'enregistrer trois trimestres consécutifs de croissance nulle, avec un acquis de croissance de 0,2 %.

La France et les Français ont payé un lourd tribut à la crise, mais la crise n'explique pas tout. Elle a joué comme un révélateur des fragilités structurelles de l'économie française et de ses déséquilibres persistants. Le chômage frappe désormais plus de 10 % de la population active, des niveaux jamais atteints depuis plus de dix ans. Les parts de marché à l'exportation s'érodent sans cesse depuis dix ans, et les inégalités se sont creusées aux deux extrêmes de l'échelle des revenus.

La crise n'explique pas non plus notre déficit de crédibilité budgétaire ni la dérive financière dont nous héritons : 1 700 milliards d'euros de dette l'an dernier, soit 86 % du PIB. Nous en sommes à présent à 91 % du PIB – seuil absolument critique, tant il est convenu par tous les économistes qu'au-delà de 90 %, la croissance est durablement menacée. Cela correspond à 50 milliards d'euros par an de dette à servir. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Il serait irresponsable de ne pas en tenir compte dans nos engagements budgétaires. Il nous faut donc redresser nos comptes pour dégager des marges de manoeuvre.

Nos finances publiques ont également contribué à creuser les inégalités, sources de tensions sociales – je m'exprime ici en homme de gauche – et à créer de l'inefficacité économique – je m'exprime ici en tant que ministre de l'Économie. L'impôt a perdu de sa progressivité, la multiplication des niches fiscales bénéficiant aux hauts revenus a accru les inégalités. En retour, ces inégalités et la hausse du chômage ont nourri la défiance et pèsent sur notre croissance potentielle. Stagnation et inégalités sont les deux faces d'une même pièce : elles se renforcent mutuellement. Le retour de la justice ne nous permettra pas seulement de faire émerger une société plus apaisée, il nourrira aussi notre dynamisme économique.

Pour renouer avec une croissance plus forte, plus équilibrée et plus solidaire, le Gouvernement déploie sa stratégie dans l'ensemble du champ économique – y compris, mais pas uniquement, au travers du budget.

Au niveau international, nos initiatives en faveur de la stabilisation financière et de la réorientation de la construction européenne – point qui sera débattu à l'Assemblée nationale mardi prochain – participent pleinement de cet agenda de croissance.

Au niveau national, des mesures d'urgence ont été prises afin de soutenir le pouvoir d'achat : nous les avons adoptées dès l'été et elles obéissaient au même objectif. Socialement justes, elles se justifiaient aussi économiquement : soutenir le pouvoir d'achat a un effet positif sur la consommation des ménages, et par conséquent sur la croissance, au moment où l'économie européenne ralentit et où plusieurs de nos partenaires sont entrés simultanément en récession.

Enfin, le Gouvernement a lancé pour ce semestre plusieurs initiatives qui contribueront activement au retour de la croissance, en conformité avec les objectifs annoncés par le Président de la République que sont le redressement de la conjoncture d'ici à 2014 et l'emploi.

D'abord, la finance sera mise au service de l'économie réelle, afin d'améliorer le financement de l'économie, avec la création d'une banque publique d'investissement, la réforme bancaire avant la fin de cette année, celle de l'épargne réglementée et celle de la fiscalité de l'épargne financière, à laquelle Jérôme Cahuzac et moi-même travaillons.

Ensuite, les emplois d'avenir, les contrats de génération et la sécurisation de l'emploi réduiront les inégalités sur le marché du travail.

De plus, une meilleure régulation des marchés des biens et des services – en particulier du logement, les transports et les infrastructures en général – dopera notre compétitivité, tout comme la modernisation de l'action publique.

Enfin, une réflexion a été engagée sur le financement de la protection sociale. Il y a deux jours, le Premier ministre a installé le Haut conseil au financement de la protection sociale dont l'agenda est extrêmement chargé et le calendrier fort court.

Le PLF et le projet de loi de programmation s'inscrivent pleinement dans notre agenda de transformation économique et sociale. Avant de laisser Jérôme Cahuzac vous exposer le détail des mesures proposées, je voudrais partager avec vous nos hypothèses de croissance pour la période de programmation ainsi que quelques grandes orientations.

Nous avons en effet pris acte, dès notre arrivée aux responsabilités, d'une situation plus dégradée que cela n'avait été annoncé pour l'année 2012. Notre prévision pour 2012 a déjà été abaissée à 0,3 % lors du débat d'orientation des finances publiques. L'INSEE a confirmé le chiffre de la croissance au deuxième trimestre, en ligne avec nos anticipations.

S'agissant de l'année 2013, la dissipation des incertitudes dans la zone euro ainsi que l'agenda de croissance et les initiatives que je viens d'évoquer dessinent une perspective plus positive, même si elle l'est encore insuffisamment. C'est pourquoi nous tablons sur un retour progressif de la croissance, avec une hypothèse de 0,8 % en 2013. Une telle prévision est sincère mais aussi volontariste, car nous faisons confiance aux capacités de rebond de l'économie française et à notre capacité collective à remettre l'Europe dans le bon sens.

Pour la période 2014-2017, dans le cadre du projet de loi de programmation, nous anticipons une croissance de 2 % en moyenne, hypothèse conventionnelle, réaliste et prudente car elle suppose que notre activité ne rejoint toujours pas son plein potentiel en fin de période.

J'en viens maintenant aux grandes orientations qui sont proposées dans le projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques.

J'insiste au préalable sur le fait que ce projet de loi de programmation préfigure la loi organique qui est en cours d'examen au Parlement. Cela nous paraissait honnête, logique et respectueux envers celui-ci.

Tout d'abord – et c'est un progrès qui me semble décisif –, le projet de loi de programmation propose un pilotage pluriannuel des finances publiques, c'est-à-dire que nos objectifs seront désormais exprimés en termes de solde structurel, ou, exprimé différemment, en termes de solde corrigé des aléas de la conjoncture.

Ensuite, en application de la loi organique, le projet de loi de programmation prévoit un mécanisme de correction : lorsqu'un écart important sera constaté – supérieur à 0,5 point de PIB sur un an ou deux ans –, le Gouvernement sera tenu d'expliquer les raisons de cet écart et de proposer des mesures de correction dans le prochain projet de loi de finances. Si nous nous étions dotés d'un mécanisme de cette nature plus tôt, nous n'aurions peut-être pas laissé dériver la dette publique jusqu'aux sommets qu'elle atteint aujourd'hui.

Enfin, afin de renforcer la crédibilité du retour à l'équilibre des finances publiques, le Haut conseil des finances publiques – lorsqu'il sera installé – sera amené à se prononcer sur nos hypothèses macroéconomiques. Comme je l'ai dit lors de mon audition par la commission spéciale, nous sommes attachés à son indépendance totale. En effet, cet impératif d'indépendance doit tous nous guider.

Dans ce cadre, qui allie la souplesse – puisque le pilotage structurel nous permettra à l'avenir de laisser jouer les stabilisateurs automatiques – et la robustesse – avec un mécanisme de correction qui offre des gages de crédibilité –, notre stratégie sera mise en oeuvre en deux temps.

Le premier temps est celui du redressement, avec le retour dès 2013 du déficit public nominal à 3 % du PIB, puis, dès 2014, l'inversion de la dynamique de la dette. Ces deux aspects sont évidemment liés. J'évoquais notre combat contre l'endettement : celui-ci est en effet l'ennemi de l'économie, des services publics et de notre souveraineté. Des mesures de redressement significatives ont été votées en juillet dernier afin de sécuriser l'objectif de déficit de 4 % en 2012, compte tenu de l'environnement macroéconomique peu dynamique. Un effort très important est encore nécessaire en 2013 pour ramener le déficit à 3 %, conformément aux engagements du Président de la République.

Le second temps sera celui du retour à l'équilibre structurel des comptes publics. Le déficit structurel sera ramené sous les 0,5 % du PIB dès 2015 – ce seuil de 0,5 % étant celui prévu par le traité européen que nous soumettons à ratification –, puis à l'équilibre structurel en 2016 et en 2017. Cela signifie qu'une fois passé le cap difficile de 2013 et 2014, nous redonnerons des marges de manoeuvre à l'action publique.

Notre stratégie, surtout, sera équilibrée, entre recettes et dépenses et entre les différentes administrations publiques.

À court terme, nous préservons la demande, pour ne pas affaiblir une croissance déjà vacillante. C'est la raison pour laquelle nous proposons un effort immédiat, reposant pour les deux tiers sur les recettes, et pour un tiers sur les dépenses.

Au total, sur l'ensemble de la trajectoire ou de la période, l'effort s'appuie sur un partage équilibré entre dépenses et recettes. À l'horizon 2017, les marges dégagées par une évolution maîtrisée de la dépense dans la durée permettront d'amorcer une baisse des prélèvements obligatoires. J'ajoute qu'il est économiquement efficace d'engager l'ajustement budgétaire avec un effort immédiat en recettes, concentré en début de période et un effort progressif mais constant en dépenses.

Chaque administration prendra part à la maîtrise de la dépense : en effet, les dépenses de l'État seront stabilisées en valeur hors dette et pensions ; les opérateurs seront associés via la baisse du produit de leurs taxes affectées et la maîtrise des dotations de l'État ; sur le champ de la sécurité sociale, les dépenses d'assurance maladie seront contenues, avec un ONDAM limité à 2,6 % en moyenne sur l'ensemble de la période ; enfin, ainsi que Jérôme Cahuzac l'a affirmé hier devant le Comité des finances locales, les collectivités territoriales participeront également à cet effort avec une stabilisation puis une baisse des concours versés par l'État, cette baisse s'accompagnant d'un renforcement de la péréquation.

Je vous ai exposé notre stratégie d'ensemble, le cadre dans lequel elle s'inscrit et les outils dont nous nous sommes dotés en très peu de temps. J'introduis donc à présent le projet de loi de finances lui-même, que vous présentera Jérôme Cahuzac.

Comme le Président de la République l'a annoncé, il manque 30 milliards d'euros d'efforts de redressement, que nous vous proposons de répartir en trois parts.

Tout d'abord, un tiers de l'effort budgétaire en 2013 reposera sur la dépense publique, pour un montant de 10 milliards d'euros. En 2013, la masse salariale globale et les dépenses en volume de l'État seront stables. La baisse des crédits de fonctionnement concernera tous les ministères, avec une économie moyenne de 5 %. Le PLF proposera une économie de 2 % sur les dotations aux opérateurs de l'État, et les collectivités territoriales seront également associées au redressement par le biais d'une stabilisation de leurs dotations. Ces chiffres opposent ainsi un démenti formel à ceux qui considèrent que ce budget ne présente aucun effort réel en dépenses. L'effort d'économie est puissant, sérieux, rapide et général.

Ensuite, l'effort reposera à hauteur de 10 milliards d'euros sur les ménages. Un budget juste et efficace doit soutenir et préserver le pouvoir d'achat des ménages, en particulier celui des ménages les plus modestes. C'est la raison pour laquelle ce PLF préserve les ménages modestes et les classes moyennes et sollicite d'abord ceux dont les capacités contributives sont les plus importantes. C'est le sens de la réforme de l'impôt sur le revenu – IR –, qui retrouve sa progressivité, et de l'impôt de solidarité sur la fortune – ISF. C'est aussi la justification de la réforme de la fiscalité des revenus du capital, désormais alignée sur celle des revenus du travail : cette revendication historique devient aujourd'hui réalité. Il n'est pas normal que l'on soit moins taxé lorsque l'on s'enrichit en dormant que lorsque l'on peine en travaillant.

Enfin, le PLF 2013 prévoit 10 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires sur les entreprises, en prenant, là aussi, comme boussole leur capacité contributive. Cet ajustement rééquilibrera l'imposition en faveur des petites et moyennes entreprises – PME – des petites et moyennes industries – PMI – et des entreprises de taille intermédiaire – ETI –, dont le taux d'imposition effectif est aujourd'hui supérieur à celui des grandes entreprises, alors même qu'elles sont le fer de lance de l'économie française. Si le PLF demande un effort de notre tissu productif, il le fait porter avant tout sur les grandes entreprises, c'est-à-dire celles qui sont les moins vulnérables et qui conserveront les moyens d'investir et d'innover. Ce budget préserve donc à la fois la demande des ménages et des entreprises et l'offre. Cela fut compliqué mais nous avons tenu à le faire dans ce contexte.

Le PLF 2013 est un budget de redressement et de justice mais aussi de modernisation de l'économie et de préservation des conditions de la croissance. C'est un budget de combat – combat contre la dette, contre les inégalités et contre la crise, mais combat pour la souveraineté, pour la justice et pour l'efficacité économique. Ce budget ne résume, bien sûr, pas toute notre politique économique, et sera bientôt complété par un « paquet » compétitivité. Mais il constitue une étape essentielle pour préserver notre crédibilité, pour rétablir la justice sociale et pour préserver les conditions de la croissance, à ce stade de la crise économique que traversent le continent, la zone euro et notre pays.

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