Je vais répondre aux questions portant sur le « consommateur consommé » et sur le travail gratuit, mais également à celle portant sur le logiciel libre, sur laquelle je me sens directement interpellé – et je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer à ce sujet devant la représentation nationale.
La question du travail gratuit constitue, pour nous, sans doute l'un des derniers avatars des impostures intellectuelles que l'on voit fleurir, n'ayant pour but que de stigmatiser l'économie numérique. En matière d'économie numérique et de culture, on parle de transfert de valeurs. Les industries culturelles comprennent très bien que, lorsqu'elles donnent à un chanteur repéré dans le métro la chance d'enregistrer un disque en studio, elles créent de la valeur. En revanche, si un acteur d'Internet met à disposition cette même musique sur tous les supports possibles, cela ne crée aucune valeur ! Il faudra m'expliquer…
Pour ce qui est du travail gratuit, on est tout de même bien loin du tripalium ! Lorsqu'un utilisateur se rend sur un site Internet, il fournit ses données de manière passive et indolore. Si un travail est accompli en la matière, c'est celui qui a abouti à l'algorithme utilisé. C'est donc celui des forces de recherche et développement, de centaines et parfois de milliers de développeurs – un travail dont le résultat vous est effectivement fourni gratuitement, et en échange duquel vous donnez quelque chose.
Ce n'est là que l'un des modèles économiques parmi la multitude de modèles qui nous entourent. En matière de logiciels, il y a deux modèles économiques : le logiciel libre et le logiciel propriétaire. Pour notre part, nous sommes favorables à la neutralité technologique, et souhaitons donc que l'État puisse, selon les cas, acheter du logiciel libre ou du logiciel propriétaire. Il est proprement scandaleux de voir la loi définir ce qui relèverait du bon ou du mauvais modèle économique. Affirmer, au moyen de la loi, que l'État ne doit acheter que du logiciel libre revient à écarter non seulement les grands éditeurs de logiciels, mais aussi une multitude de PME développant des environnements numériques de travail et des outils pour l'e-éducation.
Certaines entreprises n'ont pas choisi le modèle du logiciel libre, parce qu'elles veulent financer leur recherche et développement au moyen d'un modèle de licence. Tout le monde, ici, utilise sans y voir le moindre inconvénient, sans se sentir emprisonné et sans même y penser, des logiciels propriétaires sur son téléphone, son iPad, sa tablette ou son ordinateur – et, demain, les enfants qui utiliseront ces logiciels, ou ceux conçus sur le modèle du logiciel libre, peu importe, ne s'en porteront pas plus mal ! Le rôle de l'État est d'être neutre sur le plan technologique. Sur ce point, je me félicite du vote de l'amendement du Gouvernement ayant supprimé la priorité au logiciel libre, qui a ramené le débat à la raison. On n'arrête pas de présenter le logiciel libre comme une valeur sociétale, et il est exact qu'il présente de nombreux aspects positifs : il a tout son sens en matière de partage de la connaissance, notamment entre universitaires, il constitue une très bonne méthode de développement de logiciels et permet à certaines personnes de créer leurs propres logiciels et de les distribuer sur un modèle de services. Toutefois, rien ne permet de considérer que le logiciel libre a vocation à s'imposer comme un modèle unique, à moins d'avoir la nostalgie de cette manie normalisatrice qui a eu cours naguère dans certains pays, où tout était planifié, y compris la forme, la taille et la matière des casseroles – les mêmes pour tous !