Intervention de Martine Aubry

Réunion du 5 juin 2013 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Martine Aubry, représentante spéciale pour la diplomatie économique avec la Chine :

Cette séance arrive à point nommé après la visite du Président de la République en Chine. Et puis, l'Europe est aujourd'hui même engagée dans une partie de bras de fer avec ce pays, qu'elle pousse à respecter ses engagements à l'OMC. La décision de la Commission européenne de taxer les panneaux solaires laisse néanmoins une marge à la négociation, puisque ce n'est qu'en absence d'accord, que le taux de 11 % passera à plus de 40 % au mois d'août. Suivant son habitude, la Chine a aussitôt réagi par une mesure de rétorsion, lançant une enquête antidumping sur les vins et spiritueux européens – décision particulièrement préjudiciable à la France qui exporte pour près de 790 millions d'euros de ces produits en Chine. Mais ne dramatisons pas la situation : c'est ce type de relations – où l'on durcit le ton pour ensuite pouvoir discuter – qui fonctionne généralement avec la Chine.

En mettant l'accent sur la diplomatie économique, Laurent Fabius s'est inspiré de la mutation, il y a une vingtaine d'années, du rôle des préfets que l'on a incités à ne pas se limiter aux seules actions administratives et juridiques pour se consacrer au développement des régions ou des départements qui leur étaient confiés. Laurent Fabius a encouragé les ambassadeurs à se mettre au service de nos entreprises afin de les aider à développer des parts de marché dans différents pays. Si cette orientation s'applique à l'ensemble de la diplomatie française, le ministre a souhaité que, dans certains pays centralisés, des personnalités politiques reconnues localement puissent créer des liens de confiance – stratégie adoptée depuis longtemps par les Allemands. Malgré les efforts notables de Jean-Pierre Raffarin, la France n'occupe pas, en Chine, une place à sa mesure ; la nomination d'un représentant spécial pour ce pays – tout comme en Russie, au Mexique, en Algérie ou au Japon – constitue donc une bonne initiative.

Nul besoin de s'étendre sur l'importance de nos relations avec la Chine. Deuxième économie du monde, premier exportateur mondial, premier détenteur de réserves de change, pays qui envoie désormais le plus de touristes à l'étranger, cette grande civilisation est passée du Moyen Âge au XXIe siècle en l'espace d'une génération. La croissance chinoise, actuellement ralentie par rapport aux prévisions du plan, reste considérable – 7,7 % au premier semestre 2013 –, et la Chine ne devrait pas tarder à devenir la première économie mondiale.

Le pays affronte pourtant de nombreux défis. Au vieillissement de la population, porteur de problèmes de santé et de main d'oeuvre, s'ajoutent les conséquences de l'urbanisation forcée, les conditions de production industrielle qui abîment profondément l'environnement. La pollution atteint des records : cet hiver, à Pékin, on a dû fermer les écoles et empêcher les personnes âgées de sortir de chez elles, tout en mettant plusieurs fois les usines à l'arrêt. Depuis deux ou trois ans, la population civile se mobilise contre ce fléau, et les autorités chinoises sont obligées de s'en saisir. Enfin, les inégalités territoriales et sociales restent fortes.

La Chine se développe rapidement, et de plus en plus de Chinois voyagent. Aujourd'hui, 200 millions d'entre eux appartiennent aux catégories moyennes et supérieures ; ils seront 600 millions en 2020. Cet essor génère une consommation importante, la demande étant accompagnée de deux attentes majeures : la qualité, et la sécurité alimentaire et sanitaire, ce qui ouvre des perspectives à la France.

Mme Guigou l'a rappelé, quelque 10 000 entreprises françaises exportent vers la Chine, et 2 000 y sont implantées, parfois depuis 30 ou 40 ans, y compris dans le domaine industriel. La France ne détient cependant que 1,27 % du marché chinois, contre 5,3 % pour l'Allemagne qui nous dépasse même dans le secteur de l'agroalimentaire – situation paradoxale au regard de la qualité de nos produits et de la réputation de la gastronomie française en Chine.

Notre relation commerciale reste très déséquilibrée, nos 27 milliards de déficit à l'égard de la Chine représentant 40 % du déficit commercial total de la France. Pour y remédier, plutôt que de réduire les importations chinoises, le Président de la République souhaite gagner des parts de marché en développant nos exportations en Chine mais aussi nos investissements, comme nous souhaitons accueillir les investissements chinois en France. Ces derniers créent des emplois, mais également des relations utiles pour tisser les relations commerciales. Aussi vaut-il mieux que la Chine investisse dans notre pays plutôt que chez nos voisins, en dehors bien sûr des secteurs hautement stratégiques.

Ma mission ne porte pas sur les secteurs stratégiques traditionnels qui relèvent de discussions au niveau des gouvernements, tels que le nucléaire civil ou l'aéronautique. La construction des deux Evolutionary Power Reactors (EPR) à Taishan se déroule bien, et Airbus continue sa progression en Chine : le Président de la République a, lors de son voyage, signé un accord d'intention pour la vente de 60 appareils, et la visite en France du Président chinois devrait permettre, nous l'espérons, d'aller au-delà. J'ai souhaité pour ma part privilégier trois domaines – la santé, l'agroalimentaire et le développement durable – dans lesquels nos parts de marché peuvent croître rapidement. En effet, il s'agit de secteurs en forte croissance en Chine, dans lesquels la France possède des compétences particulières et où l'on retrouve la demande de qualité et de sécurité. Cette priorité ne m'empêche naturellement pas d'aider les autres entreprises en difficulté, comme par exemple Caddie, actuellement victime d'une escroquerie.

La santé tout d'abord : l'exportation de médicaments en Chine de nos entreprises représente 800 millions d'euros en 2012. À côté des grandes entreprises, telles que Sanofi Aventis, Servier, Sanofi Pasteur, BioMérieux ou Beaufour Ipsen, de petits laboratoires obtiennent également des marchés sur des niches particulières. Les délais imposés aux études cliniques avec toutes les autorisations nécessaires, la mise sur le marché d'un médicament qui n'interviennent qu'au bout de 7 à 10 ans, soit au moment même où le brevet tombe, autorisant les entreprises chinoises à produire des génériques, tout cela constitue la plus grande difficulté de ce secteur. Malgré cet obstacle – et malgré un prix des médicaments beaucoup plus bas qu'en France –, les représentants des grands laboratoires en Chine avouent réaliser de confortables bénéfices. Nous essayons d'accompagner nos entreprises pour réduire ces délais, y compris dans le domaine vétérinaire, comme dans le cas de l'entreprise Ceva qui a inventé le premier vaccin contre la grippe aviaire. Malgré une épizootie très importante dans le pays, Ceva peinait depuis trois ans à se faire reconnaître ; grâce à nos efforts, l'entreprise vient d'obtenir la possibilité de tester son vaccin sur des volailles chinoises et de le produire dans le pays.

Dans son douzième plan quinquennal, la Chine a décidé de mettre l'accent sur l'hôpital ; or, la France jouit aujourd'hui du meilleur système hospitalier du monde, en matière de qualité médicale, de gestion des établissements, de suivi du malade, de la lutte contre les maladies nosocomiales. La Chine cherchant toujours ce qui marche chez les autres, nous devons exposer notre savoir-faire dans des vitrines exemplaires. Le groupe lyonnais de cliniques privées Noalys projette par exemple d'ouvrir une maternité franco-chinoise à Shanghai. Ce type d'initiative nous ouvrirait d'autres marchés, notamment celui des systèmes d'information et du matériel médical.

Quant à l'enjeu des brevets et de la propriété intellectuelle, les Chinois en prennent eux-mêmes conscience. Un laboratoire chinois ayant découvert une molécule qui soigne les maladies du foie autres que le cancer craint ainsi que son brevet ne lui offre pas une protection suffisante en Chine. Nous l'aidons donc à venir s'installer en France dans une joint venture avec un laboratoire français.

Dans le domaine agroalimentaire, nous essayons actuellement – longtemps après les pays comme l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie – d'obtenir l'agrément pour nos produits de charcuterie tels que le foie gras. L'exportation en Chine des produits agroalimentaires français atteint 1,5 milliard d'euros par an, soit bien moins que leurs homologues allemandes. Ce domaine – premier objet de nos efforts – nous offre des opportunités considérables. Il existe par exemple en Chine une demande considérable de viennoiseries et de pain, et des entreprises coréennes ouvrent, à Pékin et à Shanghai, des boulangeries baptisées « Le pain parisien » et ornées d'une tour Eiffel. Nous essayons donc d'accompagner des boulangeries françaises telles – Chez Paul ou Eric Kayser – sur ce marché.

La France compte également beaucoup de petites entreprises très performantes de biscuiterie, confiserie ou chocolaterie, qui s'opposent à des grands groupes comme Kraft ou Ferrero. Il faut les aider à s'organiser pour entrer en contact avec les distributeurs qui pourront ensuite les faire connaître aux commerçants chinois.

Enfin, pour prendre un autre exemple, la Chine importe du lait en poudre de Nouvelle Zélande et d'Australie, mais ces pays arrivent au bout de leurs capacités. Ce marché est en expansion considérable. La France est très attendue dans ce secteur, surtout depuis le scandale du lait frelaté, mais nos agriculteurs, fiers de la qualité de leur production, hésitent à investir dans ce qu'ils considèrent comme un sous-produit. Il faut les pousser à saisir ce marché en pleine expansion. Aujourd'hui à Carhaix, en Bretagne, c'est un groupe chinois qui va investir une usine.

En développement rapide, la Chine construit énormément, sans aucun plan d'urbanisme et sans anticiper les problèmes de déchets, de chauffage et de transport. Alors que nous comptons les deux plus grands groupes mondiaux dans ce domaine, Suez et Veolia, ainsi que d'autres fleurons tels qu'Alstom ou Keolis, la concurrence que se livrent nos entreprises nous empêche d'intervenir sur ce marché. Nous avons donc décidé de présenter aux Chinois une offre commune, leur demandant de nous offrir deux ou trois terrains sur lesquels nous pourrons appliquer nos savoir-faire. Afin de ne pas plaquer sur les réalités locales nos schémas français, nous travaillerons avec des entreprises du bâtiment chinoises, avec pour projet de concevoir un quartier durable – ce qui peut représenter, en Chine, un million d'habitants. Un premier terrain doit nous être alloué à Wuhan, et nous nous y rendrons dès le mois de juillet pour montrer ce que nous sommes capables de faire.

Parmi les problèmes auxquels se heurtent les entreprises françaises, citons la mise en quarantaine des produits alimentaires, le changement continuel des normes, la difficulté à obtenir les licences et l'incertitude quant à la protection des brevets. Pour investir en Chine, il faut obligatoirement constituer une joint venture ; nous essayons de mettre en place un réseau de consultants français pour aider nos investisseurs à trouver des interlocuteurs sûrs aux côtés de nos intervenants publics particulièrement performants que sont Ubifrance ou l'AFII. Enfin, les marchés publics chinois restent totalement fermés aux entreprises européennes, comme le Président de la République l'a rappelé au Premier ministre chinois lorsque celui-ci s'était plaint de l'ouverture insuffisante des marchés publics français.

Le nombre de touristes chinois ne cesse d'augmenter ; l'année dernière, 52 millions de Chinois sont partis à l'étranger grâce au seul site de voyages en ligne Ctrip. La France – qui en a accueilli un million – représente la destination préférée des Chinois, mais ce tourisme se concentre trop sur la capitale. Nous travaillons désormais en partenariat avec les tour opérators chinois pour proposer des circuits – organisés par thèmes – dans toutes les autres régions françaises.

Le Président de la République a eu raison de souligner que les Chinois étaient les bienvenus dans notre pays, car ces derniers ont trop souvent l'impression que la France crie au « péril jaune ». Or, s'il faut protéger les secteurs stratégiques, nous devons encourager les entreprises et les investisseurs chinois à s'implanter en France. L'entreprise chinoise qui a réalisé les intérieurs des TGV vient de signer un accord avec Alstom pour venir s'installer à Valenciennes. De même, puisque le fabriquant d'ascenseurs chinois –une des plus grandes fortunes mondiales– veut s'établir en Europe, nous l'incitons à venir créer des emplois en France.

Essayer de rendre ma mission opérationnelle ne m'empêche pas de penser qu'avec la Chine, il faut toujours combiner deux approches. D'abord, la fermeté, car les Chinois aiment un langage clair et direct : ils ont apprécié que Mme Merkel dise qu'elle recevrait le dalaï-lama, alors que l'ambiguïté du Président de la République française à l'époque l'avait au contraire desservi. Mais les Chinois recherchent également une relation de confiance, affective et sentimentale. L'année 2014 – 50e anniversaire de la reconnaissance de la Chine par le général de Gaulle – permettra à l'ensemble des communes et des régions françaises d'y contribuer. Cette date, très attendue par les Chinois, nous offrira l'occasion de leur montrer que loin de se réduire aux délocalisations et aux désaccords sur les droits de l'homme, nos rapports s'inscrivent dans une relation historique entre deux terres chargées de culture, véritable tremplin pour l'avenir ; que nous ne les craignons pas, mais voulons recréer une relation de franchise et de réciprocité. Cette tonalité, qui a prévalu lors de la visite du Président de la République en Chine, a été très appréciée de nos partenaires chinois et ses retombées s'avèrent d'ores et déjà importantes. Notre ambassadeur m'a confirmé hier que ce voyage a permis de débloquer les projets de plusieurs entreprises françaises.

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