Monsieur Myard, les Chinois défendent certes leurs intérêts, comme nous défendons les nôtres ; dans ce pays qui a tant souffert, le matérialisme permet aussi de rattraper le temps perdu. Mais fermeté et confiance ne sont pas incompatibles ; au contraire, les capacités de négociation de la Chine rendent d'autant plus indispensable de bâtir une relation de long terme, fondée sur un dialogue politique.
La coopération décentralisée est en forte progression, mais elle exigeait une meilleure coordination ; le ministère des affaires étrangères projette d'ailleurs de créer une commission spéciale sur cette question. Beaucoup peut être fait sur notre sol même : certaines régions financent ainsi à 100 % les délégations de PME qui partent au salon Sial de Shanghai, d'autres à 20 %, d'autres encore pas du tout. Dans l'accompagnement des PME, il faut veiller à éviter les concurrences.
Parmi les exemples de coopération régionale réussie, mentionnons Rhône-Alpes et l'Aquitaine. Bordeaux vient notamment de gagner un contrat sur le bilan carbone de la ville de Wuhan, et la région travaille aujourd'hui sur la conception d'un micro-éco-quartier.
S'agissant des freins à nos échanges, le ministre des affaires étrangères a pris des dispositions pour renforcer les services de visas dans les grandes conurbations chinoises.
Longtemps sous-évalué, le yuan a pris 20 % entre 2006 et début 2013, et 30 % encore depuis le début de l'année. Le FMI et les Etats Unis considèrent qu'il correspond aujourd'hui à peu près à sa valeur, même si aux yeux des Européens, il reste encore du chemin à faire. Les prix ont augmenté en Chine de 30 à 35 %. Quant au salaire, il s'élève aujourd'hui à 3 500 euros par an – contre 2 000 euros en 2010 – dans les zones urbaines du Nord, à 700 euros environ dans les régions rurales. Cette hausse rapide amène d'ailleurs certaines entreprises françaises telle Décathlon, à relocaliser leur production pour le marché européen.
Si les grèves et les suicides constituent une réalité, les Chinois rencontrent des difficultés dans la délocalisation de leur production au sud du pays. En effet, les Chinois du sud – agriculteurs habitués à se défendre individuellement – répugnent à travailler de manière collective et organisée sur des tâches répétitives. Ce phénomène, tout comme la hausse des salaires et la revalorisation du yuan, joue en notre faveur.
La France exprime aujourd'hui clairement sa position sur toutes les questions sensibles, se prononçant pour l'autonomie du Tibet dans le cadre de la souveraineté chinoise, pour la liberté religieuse et les droits culturels. L'Europe devrait intervenir davantage en matière de droits de l'homme, et notamment de travail des prisonniers. Mais il faudrait surtout soutenir la population civile qui s'approprie désormais ces revendications et les porte sur les réseaux sociaux.
En matière de tourisme, trois incidents récents aux environs de la tour Eiffel ont ravivé la question de la sécurité. Le yuan n'étant pas convertible, les voleurs savent que les Chinois transportent des euros en liquide sur eux. Il faut conseiller aux touristes de se munir de cartes bancaires acceptées en France, ce qui exige la convertibilité du yuan. Mais d'autres problèmes relèvent de mesures qui apparaissent mineures, mais sont importantes pour les Chinois. Ainsi une étude sur les touristes chinois révèle qu'ils regrettent l'absence, dans nos hôtels, de plats chauds au petit déjeuner, au point de vouloir investir dans des établissements fonctionnant à la manière chinoise. Ces problèmes culturels doivent être pris au sérieux ; un travail d'information s'avère donc nécessaire en direction des professionnels du secteur. Au total, je crois à l'essor du tourisme chinois, surtout si l'on arrive à le développer dans les régions.
Le producteur chinois Synutra n'a pas acheté, comme vous l'avez dit, Madame la Députée, mais signé un accord avec Sodiaal, coopérative à laquelle adhèrent beaucoup de producteurs de lait en Bretagne. Sans lui, cette usine de lait en poudre – créatrice d'emplois – n'aurait pas existé, car aucun intervenant français ne souhaitait y investir. Du reste, à l'exception des secteurs stratégiques, quelle importance de savoir si c'est le Qatar, l'Allemagne ou la Chine qui achète une entreprise française ? Lorsque les Chinois viennent en Europe, ils travaillent avec les salariés locaux, n'impliquant qu'un ou deux cadres chinois, et s'adaptent à nos règles sociales et fiscales.
Cooperl – principale coopérative bretonne de production de porc – vient de signer un accord avec le ministère de l'agriculture chinois : l'établissement a été choisi pour aider à la modernisation des entreprises chinoises de production porcine. Il conseillera la Chine sur le problème de la pollution des nappes phréatiques, la sélection des races – nos porcs offrent cinq fois plus de viande que leurs homologues chinois –, la protection de l'environnement. En amenant les Chinois à respecter davantage de règles, cet accord nous ouvrira d'autres portes.
L'accompagnement des PME constitue un sujet majeur. À la différence des Allemands ou des Italiens, nous n'avons jamais réussi à persuader les grands groupes d'amener les petites entreprises dans leur sillage ; il s'agit d'organiser cette synergie. Plusieurs biscuiteries, confiseries et chocolateries s'apprêtent ainsi à former un groupement d'intérêt économique (GIE) que nous aiderons à s'installer en Chine. Je proposerai ensuite aux présidents d'Auchan et de Carrefour qu'en 2014, ces deux grands groupes bien implantés dans le pays fassent la promotion de ces produits dans leurs magasins. Travailler avec les distributeurs constitue le meilleur moyen de lancer nos produits sur le marché chinois, et le Gouvernement français doit s'y employer, suivant l'exemple des autres pays.
Pour faire connaître nos opportunités et nos talents, nous travaillons avec l'ensemble des ministères. Nous avons par exemple décidé, avec Marisol Touraine, que quatre hôpitaux français – et non plus seulement celui de la Pitié-Salpêtrière – pratiqueraient la médecine chinoise, utile notamment aux malades en fin de vie. Alors que nous vendons à la Chine pour près d'un milliard d'euros de médicaments, nos partenaires chinois ont apprécié ce signe de reconnaissance ; l'aspect affectif n'est donc pas sans effet sur la qualité de la relation.
Je travaille en pleine collaboration avec l'ensemble des ministres. Ainsi pour avoir été ministre chargée de la santé, je sais que le ministre n'a pas le temps de s'occuper de l'exportation des produits pharmaceutiques ou des savoir-faire français en matière d'hospitalisation, en Chine ou ailleurs. En revanche, pouvoir saisir chaque ministre d'une question précise – comme j'essaie de le faire – permet de régler bien des problèmes.
On ne saurait sous-estimer l'importance de l'AMP (accès aux marchés publics). Alors que la Chine fait partie de l'OMC depuis déjà dix ans, elle prépare actuellement sa troisième offre pour faire partie de l'accord, les deux précédentes ayant été refusées. Aujourd'hui, nous n'avons pas accès à ses marchés publics, alors que la réciprocité devrait être de rigueur en cette matière.
S'agissant des moteurs de la croissance, les Chinois ont compris que l'augmentation du prix de leurs produits interdit de compter éternellement sur l'exportation. Comme en Inde, le développement devra être rééquilibré par l'essor du marché intérieur et aller de pair avec le progrès social tant attendu. L'instauration de la sécurité sociale de base encore faible et ne touchant d'ailleurs que l'assurance maladie, participe de ce mouvement.
Nous devons à la fois développer nos relations bilatérales – comme nos voisins le font depuis longtemps – et agir au niveau européen pour obtenir plus de réciprocité dans nos relations avec la Chine. Sans critiquer l'Europe -comme le fait l'Allemagne- lorsqu'elle prend des mesures anti-dumping, on peut lui laisser le soin de s'occuper de ces questions.
Actuellement, 30 000 étudiants chinois sont inscrits dans nos universités, soit dix fois plus qu'il y a dix ans ; grâce aux programmes annoncés par le Président de la République, ce nombre devrait encore doubler dans les cinq ans. Les boursiers qui ne viennent pas aux cours doivent être radiés ; reste à attirer chez nous les meilleurs éléments.
La présence chinoise en Afrique – que j'ai pu observer au Mali et au Burkina Faso – profite peu à ce continent puisque les Chinois y amènent leur main-d'oeuvre tout en y acquérant les sources d'énergie et de matières premières. Nous devons leur proposer d'avancer ensemble, comme au Niger où nous avons acheté une mine d'uranium en commun. Plus l'Europe s'investira en Afrique, plus elle imposera son modèle de développement ; les Chinois prennent d'ailleurs conscience qu'il leur faut changer de stratégie.
À l'exposition universelle de 2010 à Shanghai, beaucoup de nos régions – notamment Rhône-Alpes – étaient au rendez-vous. Mais le pavillon français au-delà de l'architecture intéressante, proposait une vision passéiste de notre pays, limitée à la peinture du XIXe siècle, à la marque Vuitton et aux mariages. C'est un avis personnel. Il y a néanmoins eu beaucoup de visiteurs, ce qui montre l'attachement à la France. Or la France recèle bien d'autres trésors à mettre en avant.
En matière d'outils d'intervention enfin, si la profusion d'acteurs rend délicat le choix des partenaires, nos grandes agences – UBIFRANCE et l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) – proposent toujours des services de grande qualité. Le caractère payant des prestations d'UBIFRANCE pose cependant problème aux PME. S'il est normal qu'une grande entreprise qui demande une étude de marché paie pour ce service, les PME devraient pouvoir bénéficier à titre gracieux d'informations et d'études déjà réalisées.