Intervention de Sébastien Denaja

Réunion du 11 juin 2013 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Denaja, rapporteur pour avis :

Les articles 1er et 2 du présent projet de loi, dont la Commission est saisie pour avis, ont pour objet d'introduire dans notre droit l'action de groupe en matière de droit de la consommation et de la concurrence.

L'idée n'est pas récente. Cela fait plus de trente ans que des spécialistes du droit de la consommation, les associations de consommateurs et des responsables politiques préconisent l'introduction d'un recours collectif au profit des consommateurs. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, lorsqu'ils étaient présidents de la République, avaient pris l'engagement de créer une action de groupe. Ces engagements n'ont pas été tenus. M. François Hollande, lors de sa campagne présidentielle, a pris le même engagement. Le présent projet de loi concrétise cette promesse.

L'action de groupe est nécessaire pour réparer les préjudices subis par les consommateurs, lorsque le montant individuel de ces litiges est trop faible pour que les consommateurs lésés intentent une action en justice. Ces contentieux de consommation de masse, qui se prêtent la plupart du temps, par leur homogénéité, à un recours collectif, peuvent porter, par le nombre élevé de consommateurs lésés, sur des montants considérables, jusqu'à plusieurs milliards d'euros.

Certes, le droit existant prévoit déjà une forme de recours collectif, appelée l'action en représentation conjointe. Cette action, créée par la loi du 18 janvier 1992 et codifiée aux articles L. 422-1 et suivants du code de commerce, permet à une association d'agir au nom de deux consommateurs au moins pour obtenir la réparation de leurs préjudices individuels. Les conditions dans lesquelles cette action est enserrée ont cependant conduit à son échec, la collecte et la gestion des mandats, qui constituent un préalable à son introduction, représentant des obstacles trop importants. Les chiffres en témoignent : elle n'a été utilisée que cinq fois depuis 1992. Il faut donc aller plus loin.

L'action de groupe permettrait non seulement de renforcer la protection des consommateurs, en réparant leur préjudice, mais également d'assainir l'économie, en dissuadant les professionnels de recourir à des pratiques illicites. La portée dissuasive du texte en est donc un des éléments essentiels.

Chacun s'accorde sur la nécessité d'éviter les dérives des class actions à l'américaine. Celles-ci ont souvent été utilisées par les opposants à l'action de groupe comme un repoussoir commode censé couper court à tout débat. L'argument est en réalité peu convaincant, car les éléments qui ont conduit à de telles dérives outre-atlantique n'existent pas dans notre droit. Il n'y a pas de dommages et intérêts punitifs – punitive damages – en droit français : or ce sont ceux-ci qui entraînent des condamnations d'un montant considérable aux États-Unis. Par ailleurs, le système de rémunération des avocats français est différent : le pacte de quota litis est interdit dans notre pays, contrairement aux États-Unis où les honoraires des avocats peuvent être entièrement indexés sur les rémunérations obtenues. Enfin et surtout, il existe des actions de groupe dans huit autres États membres de l'Union européenne – Allemagne, Angleterre, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Suède – ou dans des pays tiers comme le Canada : or ces actions n'ont entraîné de tels excès dans aucun de ces pays. La Commission européenne propose d'ailleurs de généraliser l'introduction de recours collectifs dans tous les États membres, dans un « paquet législatif » qu'elle présente aujourd'hui même et qui inclut notamment une proposition de directive relative à ces recours en matière de concurrence.

En tout état de cause, le dispositif proposé par le Gouvernement est strictement encadré, afin d'écarter tout risque de recours abusif ou de déstabilisation de notre économie. Le texte, qui est équilibré, est issu d'une large concertation effectuée au sein du Conseil national de la consommation, lequel réunit les associations de consommateurs et les professionnels. Le Conseil a rendu un avis le 4 décembre 2012, dont le projet de loi retient les orientations. Par ailleurs, une consultation publique, ouverte à tous, a été menée en novembre 2012 par le ministère de l'Économie et des finances, qui a reçu plus de 7 000 réponses.

Le champ d'application de l'action de groupe est limité au droit de la consommation ou au droit de la concurrence. Ce champ, déjà significatif, permettra de réparer les préjudices subis par les consommateurs du fait d'un manquement d'un professionnel à ses obligations légales ou contractuelles à l'occasion de la vente d'un bien ou de la fourniture d'un service. Les manquements commis dans les contrats d'adhésion proposés dans des termes identiques aux consommateurs dans les secteurs de l'énergie, de la téléphonie ou des services bancaires seront, par exemple, concernés. L'inclusion du droit de la concurrence permettra aussi de réparer les préjudices nés de sa violation, à la suite d'une entente sur les prix, par exemple – on songe notamment à la téléphonie mobile, même s'il ne s'agit pas de dénoncer une quelconque catégorie professionnelle –, ou d'un abus de position dominante.

Seuls les préjudices matériels résultant d'une atteinte au patrimoine des consommateurs seront concernés. Les préjudices corporels et moraux sont donc exclus, car ils nécessitent une individualisation qui en rend l'indemnisation difficile dans le cadre d'une action de groupe. Naturellement, les consommateurs conservent le droit de mener des actions individuelles pour obtenir la réparation des préjudices autres que matériels.

La qualité pour agir, c'est-à-dire le droit d'introduire une action de groupe, est réservée aux associations agréées de consommateurs représentatives au plan national, actuellement au nombre de seize – chacun connaît UFC-Que Choisir, par exemple. Ce choix, qui vise à éviter les demandes fantaisistes ou abusives, a été contesté par les représentants des avocats. Au cours des auditions, j'ai même eu le déplaisir d'entendre que le texte serait « avocaphobe ». C'est entièrement faux : les avocats sont présents et même indispensables tout au long de la procédure, puisque les actions de groupe devront être portées devant certains tribunaux de grande instance spécialisés. Les avocats occuperont donc au sein de l'action de groupe une place essentielle.

La procédure retenue est simple et efficace. Dans un souci de célérité, elle ne comportera pas une phase distincte de recevabilité : l'essentiel du litige fera l'objet d'un seul jugement, dans lequel la recevabilité, le principe de la responsabilité et le montant des préjudices seront déterminés. Le groupe de consommateurs lésés n'aura pas à être constitué avant l'introduction du recours : les consommateurs s'identifieront une fois le jugement sur la responsabilité devenu définitif, jugement dont ils auront connaissance grâce aux mesures de publicité ordonnées par le juge, aux frais du professionnel. C'est un gage d'efficacité de la procédure, ce système étant fortement incitatif pour les consommateurs et facilitant l'introduction de l'action de groupe. Une provision ad litem, permettant de couvrir une partie des frais engagés par l'association, pourra être prononcée par le juge. L'association pourra être assistée par un ou des tiers, avec l'autorisation du juge, pour l'aider dans la gestion des demandes d'indemnisation, qui sera une tâche très lourde. Le recours à la médiation devrait être encouragé.

En droit de la concurrence, certaines spécificités procédurales sont prévues. L'action ne pourra être engagée que sur le fondement d'une décision définitive de l'Autorité de la concurrence, d'une autorité de la concurrence d'un autre État membre ou de la Commission européenne. Le manquement sera ainsi considéré comme établi devant le juge, ce qui allégera considérablement la charge de la preuve de l'association requérante.

En tant que rapporteur pour avis sur l'action de groupe créée par ce projet de loi, je n'ai pas cherché à remettre en cause l'équilibre général du texte, qui, je l'ai dit, est le fruit d'une consultation et d'une concertation publiques. Certains estiment toutefois que le dispositif est trop encadré et trop restreint dans son champ d'application. L'exclusion des préjudices corporels, qui rend cette action de groupe peu pertinente en matière de santé, et celle des préjudices environnementaux ont notamment été contestées, ainsi que le monopole réservé aux associations agréées de consommateurs nationales. D'autres – les amendements déposés par certains groupes le montrent – estiment au contraire que le dispositif proposé est trop étendu et ouvert. Ces critiques croisées témoignent, à mon sens, du caractère équilibré du texte, lequel répond aux attentes fortes des consommateurs tout en préservant la sécurité juridique et économique dont les entreprises ont besoin, surtout en période de crise. Ce projet de loi est une première étape, destinée à expérimenter ce nouveau mécanisme, avant que ne soient envisagées de possibles extensions, peut-être en matière de santé et d'environnement – le président de la République souhaiterait voir l'action de groupe étendue à ces secteurs dans les mois prochains. Cette démarche, s'agissant d'une procédure nouvelle, me semble raisonnable : il est préférable de procéder par étapes.

En tant que rapporteur pour avis au nom de la Commission des lois, j'ai examiné avec soin la constitutionnalité et la conventionnalité du dispositif. Les exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont pleinement respectées, n'en déplaise à certains de mes maîtres de la faculté de droit de Montpellier qui font circuler une note arguant de l'anticonstitutionnalité du dispositif. En effet, l'action de groupe ne remet aucunement en cause le droit au recours, puisque chaque consommateur conserve le droit d'agir individuellement en justice pour assurer la défense personnelle de ses intérêts. Par ailleurs, la limitation de la réparation aux préjudices matériels est justifiée par la nécessité de limiter le dispositif aux cas dans lesquels une indemnisation « type », susceptible d'être dupliquée, est possible. Il n'y a enfin aucune obligation d'adhérer aux associations de consommateurs requérantes pour obtenir une réparation, conformément au respect de la liberté d'association, lequel inclut celle de ne pas adhérer à une association.

Les dix-sept amendements que je vous proposerai ont pour objet d'améliorer la procédure et l'efficacité du dispositif en permettant, par exemple, qu'une réparation en nature puisse être opérée, en autorisant le juge à ordonner toute mesure d'instruction nécessaire à la conservation des preuves – les contentieux risquent de s'installer dans la durée – ou en raccourcissant les délais de traitement des recours en appel, en vue d'accélérer les procédures.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des articles dont notre Commission est saisie pour avis, sous réserve des amendements que je vous soumettrai.

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