La mondialisation de l'économie, c'est avant tout la « maritimisation » de l'économie. Parler de la politique maritime de la France, c'est parler de la façon dont la France prend sa part dans la mondialisation.
Avant d'évoquer cette politique maritime, je voudrais souligner une difficulté et un paradoxe.
La difficulté réside dans l'incroyable diversité des sujets englobés dans le domaine de la politique maritime : le tourisme, la plaisance, la pêche – je vois ici la députée de Fécamp ! – le commerce, les ports, l'industrie, la souveraineté, les spécificités ultramarines, la formation, la recherche… avec en outre une redoutable complexité technique et juridique.
Le paradoxe, qui s'explique sans doute par cette complexité mais a aussi d'autres raisons, tient à la contradiction entre les enjeux essentiels pour notre pays et le relatif désintérêt des Français pour leur domaine maritime, constaté depuis bien des années par des intellectuels plus brillants que moi ou des responsables politiques plus importants que moi – je pense notamment à Fernand Braudel ou à Nicolas Sarkozy lors d'un discours fondateur sur la politique maritime de la France prononcé en 2009 au Havre.
Je ne voudrais pas essayer de traiter tous les sujets, je n'en aurais ni le temps ni la compétence, mais je voudrais évoquer deux domaines qui me semblent importants.
Le premier concerne la politique portuaire de la France.
Les ports n'ont jamais eu très bonne presse en France : lieux d'échanges, de brassage, de négoce et de spéculation, de trafic, lieux où l'insécurité a toujours été plutôt au-dessus de la moyenne, lieux d'un travail physique souvent rude et rarement mis en valeur dans l'imaginaire français, lieux de luttes sociales très intenses. Et pourtant, ils sont essentiels, parce que la mondialisation exige des places portuaires efficaces, capables d'accueillir des navires de plus en plus gros et des flux de plus en plus massifs, toujours plus vite et toujours plus sûrement.
Des places portuaires efficaces, c'est utile pour approvisionner le pays, pour exporter notre production, pour capter les flux et développer les capacités de production. J'en donnerai deux exemples.
D'abord, la grande entreprise française Total a concentré ces dernières années ses investissements les plus massifs en Europe sur deux sites : Le Havre et Anvers, pour 1 milliard d'euros chacun. Pourquoi ? Parce que ces sites de production sont des sites portuaires. À l'époque où nous nous interrogeons sur la fin de l'industrie du raffinage ou de la production pétrolière, il faut se poser la question du sens de ces investissements massifs dans des places portuaires.
Le deuxième exemple est passé très largement inaperçu, mais lors du débat sur la fermeture du site de Florange, Mittal a indiqué que stratégiquement, il fallait investir sur des sites situés sur les flux. Dans l'esprit de Mittal, si du moins j'ai bien compris, le site était condamné pour des raisons autant économiques que géographiques. L'investissement productif se concentre aujourd'hui dans une économie mondialisée là où les flux passent, proches des lieux d'échanges maritimes et portuaires.
La question de la compétitivité de nos places portuaires est donc absolument essentielle pour la compétitivité de notre industrie et de notre pays. Cette compétitivité s'accroît, peut-être pas assez rapidement, sans doute à des rythmes différents en fonction des grandes places portuaires – probablement plus vite au Havre qu'à Marseille, à Dunkerque qu'à Bordeaux – mais elle s'accroît, pour trois raisons.
Tout d'abord, de bonnes réformes sont intervenues. Sans remonter à celle de 1991, portée par un ministre qui a mené depuis une belle carrière, rappelons-nous celle de 2008, très critiquée au moment de son adoption mais qui donne de bons résultats. Citons également de bonnes décisions, en particulier celle de regrouper les places portuaires du Havre, de Rouen et de Paris, au sein de Haropa GIE, qui permet d'avancer dans une intégration toujours plus intense de ces trois places complémentaires.
La deuxième raison tient à l'importance des investissements consentis. Nous devons saluer cette politique de continuité nationale tout à fait admirable : les investissements sur Port 2000, décidés en 1995, ou ceux sur les terminaux d'échanges multimodaux qui, là encore, permettront peut-être de gagner des parts de marché.
La dernière raison, peut-être la plus importante, est le changement d'esprit qui prévaut sur un certain nombre de grandes places portuaires. Je prendrai l'exemple du Havre, sans doute parce que je le connais bien et qu'il est cher à mon coeur. J'y constate une mobilisation tout à fait exceptionnelle de l'ensemble des acteurs portuaires : les dockers, qui intègrent un discours de productivité et de compétitivité et qui souhaitent défendre leurs outils de production en faisant valoir leurs atouts, les opérateurs privés, qui investissent et mobilisent des énergies, les opérateurs publics, comme la douane, et enfin les grands établissements publics.
Ces éléments expliquent nos progrès considérables en termes de trafic portuaire. Ainsi, au Havre, le trafic aura sensiblement progressé cette année, de l'ordre de 5 à 10 % s'agissant des containers, alors même que dans les grands ports concurrents d'Europe du Nord, le trafic portuaire stagne, quand il ne régresse pas. Cela signifie que nous prenons des parts de marché et que nous sommes sur la bonne voie.
Cette compétitivité n'est cependant pas encore suffisante. Nous rattrapons un retard. En 1990, le port du Havre enregistrait 1 million de containers, de même que celui d'Anvers. Le rapport est aujourd'hui de un à trois : trois pour nous, neuf pour eux. Le chemin est encore long.
Si cette compétitivité n'est pas encore suffisante, c'est que le fret ferroviaire est un échec massif : échec au niveau des infrastructures, retards d'investissements, échec des opérateurs qui ne parviennent pas à faire vivre ce domaine essentiel et qui, ce faisant, limitent la compétitivité des places portuaires.
Deuxième raison de ce retard : nous privilégions la culture de la lutte sur la culture du service. Il y a des grèves en France, et il y en a à Anvers et à Rotterdam. Mais si en France, on dit qu'il y a une grève, à Anvers et à Rotterdam on invoque le brouillard ! Nous privilégions la culture de la lutte en France là où les grands ports du Nord privilégient celle du service. Cela ne signifie pas que la situation soit plus simple là bas mais que nous estimons qu'il faut dire qu'elles sont plus compliquées ici.
La troisième raison relève des choix publics qu'il convient de clarifier. Faut-il véritablement privilégier les liaisons fluviales, le canal Seine-Nord, avant d'avoir réalisé tous les investissements nécessaires sur les places portuaires françaises ? Faut-il vouloir développer les ports du nord ? J'ai tendance à penser qu'il convient de remettre à l'endroit la politique portuaire qui se fait trop souvent… à Anvers.
Quatrième raison : les investissements. Les pays du Nord, Rotterdam, Anvers, investissent des montants considérables. Nous ne sommes pas au niveau.
Enfin, peut-être ne sommes-nous pas suffisamment convaincus que les investissements portuaires relèvent d'une logique de politique industrielle. Il y a là quelque chose qui tient à notre culture, à notre envie, qu'il faut évidemment développer.
Les enjeux immédiats sont évidents. La commission Mobilité 21 a été chargée de se pencher sur le traitement des accès portuaires. Je ne sais pas si M. le ministre pourra nous en dire beaucoup à ce stade mais l'enjeu est considérable. Par ailleurs, quel dispositif fiscal faut-il envisager pour faciliter l'investissement des opérateurs publics, et surtout privés dans les ports français ? Peut-on imaginer des dispositifs fiscaux favorables pour les investissements étrangers, comment le favoriser ? Enfin, quelle politique d'aménagement du territoire mener pour renforcer l'intégration des hinterlands vers les ports ?
Je voudrais à présent aborder, beaucoup plus rapidement, le sujet de la formation des marins.
Pas de politique maritime sans marins, et pas de marins sans formation. Les marins français sont reconnus : le système de formation à la française a fait ses preuves, mêlant apprentissages théoriques et pratiques, expérience à bord et enseignement à terre, enseignement général et enseignement technique. Mais il est aujourd'hui dans une situation délicate.
Regroupant les quatre écoles de la marine marchande, une École nationale supérieure maritime a été créée récemment avec l'objectif de rationaliser et, peut-être de développer la formation. Force est de constater qu'aujourd'hui, de très grandes inquiétudes demeurent sur son avenir.
Ce n'est pas son implantation qui est en jeu, puisque les quatre sites sont préservés – celui du Havre sera d'ailleurs amélioré – mais son projet pédagogique, sa stratégie. L'école semble encore hésitante, empêtrée dans des considérations budgétaires. Sa spécialisation et la tutelle du ministère des transports et de l'équipement y sont sans doute pour quelque chose. Si l'on veut développer les doubles diplômes, les accords avec les universités étrangères, avec les écoles étrangères, il faut ouvrir cette école sur l'enseignement supérieur et définir une stratégie plus ambitieuse que celle qui prévaut aujourd'hui. Le sujet est essentiel. Nous ne ferons pas une grande politique maritime sans marins.
L'urgence est réelle, car notre flotte commerciale souffre. Tous nos concurrents européens ont doublé leur volume de marine marchande. Nous avons augmenté de 10 % quand les Allemands, les Danois, les Italiens et les Anglais renforçaient de 100 à 200 % le volume de leur flotte.
L'urgence est réelle car les autres ne nous attendent pas, qu'il s'agisse de Rotterdam, Anvers, Gènes ou encore Tanger. L'urgence est évidente parce que, dans la logique de la déclaration de Limassol – vous y étiez, monsieur le ministre – l'intégration croissante d'une politique maritime européenne se fait jour et parce que, si nous ne savons pas où nous allons, il y a peu de chance pour que nous pesions dans les décisions européennes.
La politique maritime exige continuité et union, mais aussi un cap clair et une unité nationale assumée. Si le présent débat peut y contribuer, il faut s'en réjouir. C'est en tout cas dans cet esprit mais aussi avec cette exigence que l'UMP accompagnera le Gouvernement.