Monsieur le ministre, lors de l'installation du Conseil national de la mer et des littoraux, le 18 janvier dernier, vous avez affirmé que nous ne pouvions plus aborder la mer de manière aussi sectorielle que par le passé. Dont acte. Pour ma part, et très modestement, je considère qu'il faut oser aller beaucoup plus loin et plus franchement encore dans la rupture avec ce passé. J'affirme que nous ne pouvons plus concevoir ni aborder la politique maritime munis des oeillères centralisatrices et colonisatrices du passé.
Le 6 mai dernier, un projet de décret relatif aux conseils maritimes ultramarins et aux documents stratégiques de bassin maritime a été transmis pour avis au conseil général de Martinique. Cet avis est, à l'unanimité, très clairement défavorable. Le décret prévoit en effet des dispositions qui emprisonnent les collectivités sous le joug de la tutelle de l'État en la personne des préfets. Pourquoi ne pas confier la présidence du bassin maritime aux élus locaux ? Il importe de sortir de cette logique centralisatrice qui ne s'éteint ni même ne faiblit, contre vents et marées. C'est quand même un comble pour un gouvernement de gauche ! Au nom de quoi le préfet serait-il érigé en nouveau gouverneur des mers ?
À ce propos, quels sont les critères de délimitation des quatre bassins maritimes, Antilles, Guyane, Sud océan Indien et Saint-Pierre-et-Miquelon ? Ce découpage à la hache, et peut-être à la hâte, tend à faire avorter tout développement de relations transversales fructueuses entre la Martinique et la Guyane, par exemple. Pourquoi ne pas créer un grand bassin Antilles-Guyane ?
Par ailleurs, les dispositifs mis en place suscitent des questions quant à leur pertinence et leur efficience. Ce qui peut être considéré d'un point de vue central, parisien, comme une problématique secondaire relève souvent d'un intérêt vital pour nos territoires micro-insulaires. Pour nous, de nombreux défis sont à relever. Citons entre autres la connaissance, la maîtrise et la protection des milieux marins et littoraux, des espèces et de la biodiversité, les sanctuaires des mammifères marins, la fin de la surexploitation du plateau continental, le développement d'une pêche durable et responsable, l'élaboration d'un cadre juridique et fiscal attractif pour le développement de l'aquaculture, les centres de thalassothérapie, les énergies renouvelables maritimes, la recherche, le développement, la formation professionnelle adaptée, le développement du tourisme littoral et du transport maritime, la promotion de la plaisance et des loisirs nautiques, la valorisation du patrimoine maritime par la création de récifs artificiels, le renforcement de la coopération régionale avec les îles voisines notamment en matière de recherche des disparus en mer, la prévention des risques maritimes et notamment des tsunamis, la sécurité maritime, la protection sociale des marins, et caetera…
Concernant la pêche, en Martinique, nos eaux sont polluées par la chlordécone, ce qui engendre une interdiction de pêche dans un nombre croissant de zones maritimes côtières. Ainsi, 575 dossiers de pêcheurs nécessitant une aide d'urgence ont été recensés par la direction de la mer. Certes, l'État s'engage à leur verser une aide, mais à des conditions extrêmement restrictives. En outre, une fois cette aide consommée à court terme, dans ce contexte de pollution environnementale et de toxicité des directives européennes, quel sera l'avenir pour la pêche à moyen et à long terme ?
L'alternative du développement des espèces aquacoles est à promouvoir. En 2012, la production halieutique annuelle en Martinique s'élevait à 6 000 tonnes, pour une consommation de 20 000 tonnes : il y a donc un déficit d'environ 14 000 tonnes à combler. La révolution aquacole qui reste à enclencher passe notamment par l'élevage de dorades coryphènes, sardes, vivaneaux, thons rouges, oursins, lambis et autres langoustes. Le potentiel est considérable, inimaginable.
D'ailleurs, pourquoi ne pas créer un observatoire du milieu marin favorisant une recherche appliquée sur nos espèces endogènes pour optimiser le marché local et l'export ? On peut déplorer que les recherches de l'IFREMER ne servent que les propres besoins de cet organisme, souvent dictés par l'Union européenne. En dernier ressort, nos pays ne bénéficient concrètement que très rarement de ces connaissances.
En définitive, aucun développement de nos territoires ne peut se concevoir sans une politique cohérente et innovante de la mer. Cette politique ne doit plus se satisfaire d'une navigation à vue mais doit maintenant définir un cap, être dotée d'une boussole de haute précision et enfin d'un bon capitaine. C'est dire qu'elle doit désormais s'ancrer autour d'un acteur pivot : l'élu local.