Madame la présidente, madame la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, mesdames et messieurs les députés, le 24 avril dernier, devant le Sénat, un premier débat relatif à l'immigration professionnelle et étudiante a eu lieu. Les échanges, il faut évidemment s'en féliciter, se sont déroulés dans un climat de sérénité qui devrait toujours prévaloir quand nous abordons cette question trop souvent instrumentalisée.
Le débat se poursuit aujourd'hui devant l'Assemblée. C'était l'engagement du Président de la République : que la représentation nationale dans son ensemble se saisisse pleinement de la question de l'immigration ; qu'elle l'aborde, la traite dans une volonté d'apaisement, mais que ce débat ait bien lieu. La raison en est simple : parler d'immigration, c'est aussi parler de la France.
Notre pays a été et demeure une terre d'accueil. Au fil des époques, venus de tous les continents, des étrangers sont arrivés sur notre sol avec le projet de s'y installer, d'y travailler, d'y étudier, d'y fonder une famille et, pour nombre d'entre eux, avec un projet ultime – beau mais nécessairement exigeant –, celui de devenir citoyen français. La France d'aujourd'hui est en partie le résultat de cette immigration – près d'un Français sur cinq est fils d'immigré –, tout comme la France de demain sera le résultat de l'immigration d'aujourd'hui.
Débattre des orientations de notre immigration, en particulier des mobilités professionnelles et étudiantes, c'est donc dessiner l'avenir de notre pays ; c'est valoriser cette immigration qui répond aux besoins de notre économie, qui contribue à composer notre richesse culturelle, qui participe au rayonnement de la France dans le monde.
Il ne s'agit pas ici de débattre de l'existence des phénomènes migratoires ni de la nécessité de les réguler, de les encadrer – ce sont deux évidences. Cependant, mieux connaître l'immigration, reconnaître ses apports – hier et aujourd'hui –, mieux en mesurer les risques et les limites, c'est s'accorder sur la nécessité d'une maîtrise intelligente et raisonnée de nos flux migratoires, c'est faire le choix de la responsabilité et de l'apaisement.
Cet apaisement est nécessaire parce que l'immigration est un sujet trop sensible pour être laissé à l'approximation, à la polémique ou, bien plus grave, à la stigmatisation, aux clichés, aux outrances. L'apaisement, c'est le souhait du Président de la République et du Premier ministre, est nécessaire dans les discours et j'y suis, en tant que ministre de l'intérieur, particulièrement attentif. L'apaisement est aussi nécessaire dans les actes, et le Gouvernement s'y est employé avec constance au cours des derniers mois : un terme a été mis à la rétention des familles avec enfants ; la circulaire du 31 mai 2011 qui, de manière illogique, privait des étudiants talentueux du droit de travailler en France a été abrogée – c'était notre volonté commune avec Geneviève Fioraso et Michel Sapin – ; des critères pérennes et clairs de régularisation ont été instaurés ; enfin, le « délit de solidarité » a été supprimé.
À l'apaisement doit s'ajouter l'esprit de responsabilité. Ma responsabilité, en tant ministre de l'intérieur, c'est faire preuve de fermeté. Ma responsabilité, c'est d'être intraitable vis-à-vis des filières d'immigration clandestine qui exploitent la misère humaine, qui se jouent de nos règles, qui contestent nos valeurs au profit d'organisations souvent mafieuses. J'ai insisté auprès des préfets – comme je le fais du reste régulièrement – pour qu'une action déterminée soit menée et que des résultats soient obtenus. Il est trop tôt pour donner des chiffres exhaustifs mais sachez que le nombre de démantèlements de filières d'immigration irrégulière a connu une progression de 13 % sur les quatre premiers mois de l'année 2013. Pour donner quelques exemples, au début de ce mois de juin ont été démantelées une filière sri-lankaise à Paris, une filière nigériane dans l'Est de la France et une filière mafieuse géorgienne à Bordeaux – la presse s'en est fait l'écho. Hier encore, une filière d'immigration clandestine a été démantelée dans l'Ariège. Ces actions, menées parmi d'autres avec succès par les forces de l'ordre – policiers et gendarmes –, méritent d'autant plus d'être saluées qu'elles sont le fruit d'un travail complexe et souvent méconnu, un travail qui devra être poursuivi et j'y serai particulièrement attentif.
Un même esprit de fermeté doit nous guider dans le traitement de l'immigration irrégulière. Bien sûr, nous ne pouvons pas être insensibles lorsque les déséquilibres économiques et démographiques du monde jettent parfois au péril de leur vie des migrants sur la route de l'exil, fuyant la faim, la guerre, la maladie ou tout simplement la misère. Des critères de régularisation ont été définis par la circulaire du 28 novembre dernier ; ils doivent être appliqués et les étrangers qui demeurent en situation irrégulière sur notre territoire seront donc éloignés. Dans ce domaine, les efforts seront poursuivis, renforcés, amplifiés.
À cet égard, la retenue de seize heures, que vous avez votée, constitue un dispositif très utile ; ce qui n'est en revanche pas toujours le cas de l'aide au retour, notamment pour les ressortissants communautaires. Bien au contraire : cette aide a pu se révéler comme un mécanisme contre-productif visant simplement à gonfler les statistiques. J'ai remédié à cette situation à la demande non seulement des autorités roumaines ou bulgares mais aussi de la plupart des associations de ces pays ou des ONG françaises, car je souhaite, dans ce domaine comme dans bien d'autres, la transparence et la vérité des chiffres.
Parce que je souhaite justement la vérité des chiffres, je veux dissiper un éventuel malentendu. Comme vous, lundi dernier, j'ai appris dans la presse que les interpellations d'étrangers en situation irrégulière auraient diminué de 90 % en 2013 – c'est du moins ce que l'on pouvait lire dans le journal Le Figaro. Permettez-moi de vous rassurer sur ce point pour peu que certains se soient inquiétés. Les interpellations, les éloignements contraints d'étrangers se maintiennent cette année – c'est un fait – au même rythme qu'en 2010, 2011 et 2012. Il n'y a ni laxisme ni relâchement en la matière parce qu'il s'agit d'appliquer la loi, des principes et des règles.
Si un journaliste, sans doute mal éclairé – je n'ose croire mal conseillé – a cru déceler une baisse massive des interpellations, c'est parce qu'il a eu accès aux statistiques des infractions pénales, ce que la police appelle dans son jargon l'état 4001. Or la législation sur les étrangers a, du fait de la directive « Retour », connu une inflexion majeure le 1er janvier 2013 : le seul séjour irrégulier ne constitue plus un délit. J'ai déjà eu l'occasion de le rappeler à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier. Les interpellations d'étrangers ne sont en effet plus renseignées sur ce fichier, qui est un fichier pénal. Cela ne signifie évidemment pas qu'elles n'ont plus lieu. La police procède toujours à des interpellations, à des placements en retenue, puis à des éloignements ; mais cela ne donne plus lieu à une procédure pénale. Cet article contenait donc des erreurs grossières, mais je n'y décèle, bien entendu, aucune intention malveillante sinon une mauvaise information. La responsabilité, c'est parler clairement des choses et ne pas tout confondre, dans ce domaine comme dans d'autres.
Les questions d'immigration ont occupé une place disproportionnée dans le débat public. L'objet de la présente discussion est donc de remettre l'immigration à la place qui doit être la sienne, celle d'une politique publique que nous devons mener les yeux ouverts, conscients des enjeux, de nos forces, de nos faiblesses, conscients de ce qui existe et de ce qui peut être amélioré ; mais sans céder à la facilité des amalgames ou à cette indignité qu'est la peur de l'étranger que l'on entretient en permanence. Nous ne devons rien concéder à ceux qui, non sans indécence, voudraient faire de l'étranger le responsable des difficultés de la société française, de la situation de l'emploi ou du niveau de délinquance – vieille antienne que, malheureusement, notre pays et, plus largement, nos sociétés modernes, ont connu par le passé. Nous devons opposer la même fermeté à ceux qui, par ignorance des réalités ou par des choix assumés, proclament que tout étranger doit, quelle que soit sa situation, avoir un droit de séjour et de circulation en France.
Gouverner, c'est appréhender ces questions avec lucidité en partant de la réalité du monde et de notre pays.
L'installation des étrangers en France est, c'est le moins que l'on puisse dire, inégale sur le territoire. Cette population est plus urbaine, très concentrée en Ile-de-France et dans certaines villes. À cet égard, il nous faut veiller à lutter toujours contre la constitution de ghettos urbains, de banlieues, vécus par leurs habitants comme des lieux de ségrégation. Les questions d'accès à l'emploi, au logement, les questions de ce qu'on appelle improprement la mixité sociale, doivent, même si elles dépassent le strict champ du ministère de l'intérieur, être au coeur de nos préoccupations.
La première mission d'un État souverain est de déterminer qui peut entrer et se maintenir sur son territoire. Cette mission doit être exercée avec calme, sérénité et sans esprit de polémique. Encore faut-il, pour cela, ne pas réitérer les erreurs du passé : des déclarations fracassantes, des décisions incohérentes et finalement des flux migratoires inchangés.
Le gouvernement précédent voulait, disait-il, des immigrés choisis, « triés sur le volet ».