Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 13 juin 2013 à 21h30
Débat sur l'application de l'interdiction des rémunérations en numéraire dans les cabinets ministériels depuis 2002

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Le Premier ministre disposait de ces fonds en application d'une loi du 27 avril 1946 et d'un décret du 19 novembre 1947. Avant 2002, c'est-à-dire avant la suppression de cette ligne budgétaire, des crédits étaient ouverts et des dépenses nettes imputées au chapitre 37-91 du budget de l'État. Les crédits initiaux s'élevaient à environ 65 millions d'euros, auxquels s'ajoutaient des ouvertures de crédits en cours d'exercice opérées par décrets de répartition à partir du chapitre 37-95 du budget des charges communes pour des dépenses dites accidentelles, pour une valeur moyenne de 12 millions d'euros. La part du chapitre 37-91 s'élevait à environ 10 % du total des dépenses des services généraux du Premier ministre. La nomenclature de ce chapitre comportait trois lignes budgétaires : l'article 10, paragraphe 10, correspondait aux fonds spéciaux du Gouvernement ; l'article 20 se rapportait à deux lignes budgétaires, principalement aux fonds spéciaux à destination particulière, à savoir les dépenses de la DGSE.

En tant que rapporteur du budget de la fonction publique, j'avais attiré de manière répétée l'attention du Gouvernement sur la nécessité de supprimer ces fonds contraires à la morale républicaine, et en juillet 2001, un rapport fut confié par M. le Premier ministre, Lionel Jospin, au Premier président de la Cour des comptes, M. Logerot. Ce rapport permit d'établir que 3,66 millions d'euros étaient attribués à la Présidence de la République, 300 000 euros au ministère des affaires étrangères, 9,2 millions d'euros au fonctionnement de l'Hôtel-Matignon, 7,93 millions d'euros à l'ensemble des ministères. Ainsi que le relevait le Premier président Logerot, 20 millions d'euros étaient affectés à des dépenses de rémunération ou de fonctionnement et ne se rattachaient ni à des impératifs de sécurité intérieure ou extérieure de l'État, ni même à des interventions particulières assimilables à des actes de gouvernement.

Les retraits en espèces sur le compte de la banque de France portaient sur 11,6 millions d'euros, mis à la disposition des cabinets ministériels. Aucune règle n'était établie quant à la forme et au contenu de la comptabilité tenue par les personnes habilitées à disposer des fonds. Le Premier ministre donnait, certes, un quitus annuel et au moment de son départ. Les pièces justificatives étaient alors détruites.

L'utilisation de ces fonds était hors du champ des contrôles externes, aussi bien celui de la Cour des comptes que celui du Parlement. Mais il est vrai que les crédits affectés à la DGSE faisaient l'objet d'un contrôle exercé par une commission instituée par le décret du 19 novembre 1947. En fait, la protection et le secret dont bénéficiaient les opérations liées à la sécurité couvraient également la totalité des dépenses sur fonds spéciaux, donc des dépenses de fonctionnement des services du Premier ministre et des cabinets ministériels.

Selon le rapport de 2001, la distribution des rémunérations complémentaires non déclarées à l'administration fiscale et ne supportant pas les prélèvements sociaux du fait de leur versement en espèces provenait des comptes des fonds spéciaux. Elle n'apparaissait plus seulement comme un privilège anachronique mais toléré, elle constituait une irrégularité choquante dès lors qu'il s'agissait de compléments de rémunération versés à des agents publics sur fonds publics, en dehors de toute règle, en dehors de tout contrôle. Leur dissimulation, selon le Premier président de la Cour des comptes, était d'autant moins admissible que les sujétions supportées par les membres des cabinets ministériels et par les personnels qui leur apportaient leur concours étaient bien réelles – nous en sommes d'accord –, qu'il s'agisse de la charge de travail immense ou des contraintes de calendrier ou d'horaires, mais elles méritaient d'autant plus d'être compensées en toute clarté.

De surcroît, ces fonds permettaient d'alimenter des campagnes électorales, des partis politiques en dehors de toute réglementation, la presse ou éventuellement tout menu plaisir.

Les différents rapports sur le sujet proposèrent deux solutions : d'une part, le maintien des fonds spéciaux pour l'action de protection de la sécurité intérieure et extérieure de l'État – c'est ce qui se passe encore actuellement – et, d'autre part, le reclassement dans le budget ordinaire de l'État de tous les autres crédits. Il était urgent de mettre fin à la pratique des versements en espèces qui permettaient à leurs bénéficiaires, pour des montants qui pouvaient être élevés, de faire échapper à l'impôt sur le revenu et aux cotisations sociales une part de leurs rémunérations accessoires.

Il fut donc décidé de transférer les montants en espèces sur des lignes budgétaires déjà ouvertes au titre des indemnités de cabinet. L'un des arguments avancés pour justifier la commodité offerte par le système des versements en espèces était la nécessité d'un maximum de souplesse et de rapidité dans l'emploi des moyens mis à la disposition des ministres. Les procédures d'ordonnancement et de paiement des dépenses publiques apparaissaient comme trop lourdes. Mais c'est oublier l'institution des régies d'avances telles que les organisent le décret du 20 juillet 1992 et l'instruction du 29 juin 1993 : le régisseur peut en effet, en vertu de ces textes, effectuer paiements par chèque, virements – ou même versement en numéraire pour certaines catégories de dépenses courantes.

L'usage des fonds spéciaux sera donc supprimé par le gouvernement de Lionel Jospin et une commission de vérification instituée par l'article 154 de la loi de finances pour 2002. Tout semblait clair, mes chers collègues : depuis 2002, on n'entendait plus parler de fonds versés en espèces, qu'il s'agisse des ministres ou de leurs collaborateurs.

Tout semblait clair, disais-je, jusqu'à ces dernières semaines, jusqu'à ce que des enquêteurs découvrent des montants en espèces très importants au domicile de M. Claude Guéant. Il fut directeur de cabinet du ministre de l'intérieur, M. Sarkozy, en 2002, avant de devenir secrétaire général de l'Élysée, puis lui-même ministre de l'intérieur.

Il s'agissait, à l'époque, de savoir si la campagne de M. Sarkozy avait été financée par des fonds libyens. On se rappelle le rôle essentiel joué par M. Guéant lors de la libération des infirmières bulgares, condamnées à mort et détenues par le régime de M. Khadafi. Il fut ainsi découvert, d'une part, un compte sur lequel avaient été versés 500 000 euros, et, d'autre part, des factures précisant que des paiements avaient été faits en espèces.

M. Claude Guéant lui-même – je reprends ses termes – précisa que ces espèces avaient été obtenues par la vente de deux tableaux d'un Hollandais, au demeurant inconnu des spécialistes,…

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