Intervention de Alain Vidalies

Séance en hémicycle du 13 juin 2013 à 21h30
Débat sur l'application de l'interdiction des rémunérations en numéraire dans les cabinets ministériels depuis 2002

Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement :

Pourtant, comme l'expliquait alors Florence Parly, secrétaire d'État au budget, « il serait vain de dresser la liste de tous ceux qui, ayant exercé des fonctions ministérielles, se sont en quelque sorte sentis mal à l'aise avec cette question. » Et de poursuivre : « La force de l'habitude, le poids de la coutume, les contraintes de circonstance ont conduit à ce que s'impose cette fin de non-recevoir : ça a toujours été comme ça !

« Mais la démocratie, notre République ne peuvent plus s'accommoder », disait-elle, « de ces mauvaises habitudes d'un autre âge, car elles portent toutes deux une exigence, qui consiste par principe à ne jamais s'en remettre à l'ordre des choses lorsqu'un simple regard suffit à s'étonner d'une situation. » Dans ce domaine comme dans bien d'autres, le gouvernement de Lionel Jospin n'a pas souhaité s'en remettre à l'ordre des choses.

Alain Tourret a évoqué les circonstances de l'époque. Je les rappellerai à mon tour.

Déjà, à l'époque, on s'était interrogé sur des paiements en argent liquide ; il s'agissait alors de billets d'avion ou d'autres achats. Lionel Jospin avait alors demandé à François Logerot, Premier président de la Cour des comptes, un rapport sur le régime des fonds spéciaux. Ce rapport était sans appel sur les rémunérations en argent liquide : « La distribution de rémunérations complémentaires non déclarées à l'administration fiscale et ne supportant pas les prélèvements sociaux, du fait qu'elles sont versées en espèces provenant des comptes de fonds spéciaux, n'apparaît plus seulement comme un privilège anachronique mais toléré ; elle constitue une irrégularité choquante dès lors qu'il s'agit de compléments de rémunérations versés à des agents publics sur fonds publics en dehors de toutes règles et de tous contrôles. »

Le Gouvernement avait alors fait siennes les conclusions du rapport et procédé à la budgétisation de l'ensemble des rémunérations des cabinets ministériels sur ce que l'on appelait à l'époque des chapitres et non des programmes – la LOLF n'étant pas encore en vigueur. Ainsi, à partir du 1er janvier 2002, plus aucune rémunération en liquide n'était versée aux membres de cabinets ministériels. Et le Gouvernement que je représente aujourd'hui respecte naturellement scrupuleusement cette interdiction si évidente qu'il est difficile d'imaginer qu'il en soit allé autrement un jour.

J'en viens maintenant au cas particulier du ministère de l'intérieur et, plus précisément, à la question des frais d'enquête et de surveillance sur lesquels je souhaite vous apporter des éléments utiles à la compréhension de tous. Je tiens, en premier lieu, à clarifier les choses. Il y a deux sujets bien distincts qu'il s'agit de ne pas confondre : d'une part, les frais d'enquête et de surveillance et, d'autre part, les primes de cabinet. Je m'arrêterai tout d'abord sur les frais d'enquête et de surveillance.

Le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a saisi, le 2 mai 2013, l'inspection générale de l'administration, en lien avec l'inspection générale de la police nationale, afin que soient apportées des précisions en matière d'usage des frais d'enquête et de surveillance. Le rapport a été remis au ministre le lundi 10 juin et je me fonderai sur celui-ci pour vous répondre.

Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur la base juridique de ces frais d'enquête et de surveillance. Ils ont été institués par l'article 4 du décret du 15 juin 1926, complété par la loi du 9 mars 2004 concernant la rétribution des informateurs. Les modalités de règlement des crédits affectés à ces frais sont précisées par le décret du 5 novembre 1993 et les modalités de ces rétributions ont été précisées par un arrêté conjoint des ministres de l'intérieur, de la défense, de la justice et du budget, en date du 20 janvier 2006. Ces versements ne sont donc pas nouveaux, ils ne sont pas secrets et ils ont une base juridique à la fois législative et réglementaire, ainsi que budgétaire. Néanmoins, se pose la question légitime de leur usage.

Des instructions ont été données, au moins depuis 1994, concernant leur utilisation. Je peux ainsi vous citer la circulaire ministérielle du 14 février 1994 relative à la réforme des modalités de paiement des frais d'enquête et de surveillance, la circulaire ministérielle du 8 avril 1994 ou encore la note du directeur général de la police nationale du 3 février 1998 précisant les modalités de leur utilisation.

Ces fonds sont utiles. Il ne convient pas de les remettre en cause ici. Concrètement, ils sont destinés aux services de police dans un objectif d'efficacité et de discrétion dans leurs missions. Ils permettent notamment de recueillir des renseignements, de rémunérer des informateurs, d'acquérir du matériel ou de mettre à disposition des moyens d'investigation. Plus largement, ils visent à couvrir des frais ne pouvant être assurés dans le cadre des procédures administratives et comptables habituelles, que ce soit du fait de l'urgence ou de la confidentialité nécessaire. Tout le monde comprendra qu'un policier en filature ne peut payer le restaurant ou sa chambre d'hôtel avec la carte de crédit du ministère de l'intérieur.

Le rapport en question fait un certain nombre de recommandations concernant ces fonds. Manuel Valls a décidé, lundi, de les suivre toutes et de poursuivre ainsi le travail de rationalisation et de traçabilité engagé par le directeur général de la police nationale dès octobre dernier. Celui-ci, depuis la fin de l'année 2012 et dans le cadre de la notification des enveloppes pour 2013, a en effet mis en oeuvre deux types d'action.

Tout d'abord, les règles d'utilisation ont été rappelées avec précision à chacun des directeurs et chefs de services actifs de la police nationale gestionnaires de ces frais ainsi qu'au préfet de police. Par ailleurs, par le biais d'une note relative au bilan d'exécution de l'utilisation des FES, le directeur général de la police nationale a mis en place un mécanisme de justification de l'emploi de ces crédits. Enfin, une note du directeur général de la police nationale a précisé que les dotations seront fixées par quadrimestre et non pour l'année globale, permettant ainsi des ajustements.

Le rapport de la mission préconise d'aller plus loin. Le ministre de l'intérieur a été clair : il a demandé à la direction générale de la police nationale de traduire dans les faits, et dans les meilleurs délais, l'ensemble des recommandations. En effet, sans remettre en cause l'utilité de ces fonds indispensables aux activités d'investigation, le ministre de l'intérieur s'est engagé à ce que soit mis définitivement un terme à certaines pratiques indemnitaires.

Je peux donc vous annoncer que l'usage des frais d'enquête et de surveillance sera strictement limité aux seuls besoins opérationnels. Les indemnisations ou gratifications versées aux fonctionnaires de police ne pourront être versées qu'à partir des crédits prévus à cet effet. Par ailleurs, la base juridique qui encadre l'usage des frais sera précisée. Enfin, un dispositif de traçabilité et de contrôle interne de l'usage des fonds sera mis en oeuvre – il permettra un examen annuel mené sous le contrôle de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection générale de l'administration.

Comme vous pouvez le constater, la démarche engagée vise à assurer une meilleure traçabilité de ces fonds, un encadrement strict de leur usage et un contrôle rigoureux et périodique.

Pour ce qui concerne les primes de cabinet, l'argent liquide a été remplacé, depuis janvier 2002, par des virements du Trésor public. Le secret a laissé place à la transparence et aux déclarations fiscales.

Auparavant, au ministère de l'intérieur, les primes de cabinet, qui s'étendent aussi à l'ensemble du personnel travaillant pour le cabinet, avaient une double origine : les fonds issus de Matignon, d'une part, et les frais d'enquête et de surveillance, d'autre part.

À partir de janvier 2002, il n'y a plus eu de prélèvements sur les frais d'enquête. Les choses ont été clarifiées et il est établi que partout, y compris au ministère de l'intérieur, la réforme engagée par le Premier ministre s'appliquait.

Le rapport de l'IGA indique ainsi que le versement de ces fonds a cessé en janvier 2002, conformément aux nouvelles règles fixées par Matignon. Le rapport souligne que, « de janvier à mai 2002 puis à partir de l'été 2004 et jusqu'à aujourd'hui, les témoignages recueillis par la mission vont tous dans le même sens d'une absence de versements de la direction générale de la police nationale vers le cabinet du ministre de l'intérieur ».

Néanmoins, le rapport montre qu'après le changement de Gouvernement en mai 2002, le nouveau directeur de cabinet du ministre de l'intérieur s'est vu remettre des versements en provenance des frais d'enquête et de surveillance à hauteur de 10 000 euros par mois.

Sur ce point, bien que la mission constate l'absence d'archives détaillées, le rapport de l'IGA, en lien avec l'IGPN, est clair : « Les témoignages recueillis par la mission permettent de considérer qu'il y aurait eu des versements de la direction générale de la police nationale vers le cabinet du ministre de l'intérieur, de l'ordre de 10 000 euros mensuels remis au directeur de cabinet du ministre, à partir de l'été 2002 et au plus tard jusqu'à l'été 2004. [...]. »

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