Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 11 juin 2013 à 16h30
Commission des affaires économiques

Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation :

Je vous remercie M. le président. Le projet de loi relatif à la consommation que nous avons, avec Pierre Moscovici, présenté en conseil des ministres le 2 mai dernier, doit améliorer la confiance entre les entreprises et les consommateurs, qui est une des clés du retour à la croissance. Ce projet rompt avec certains dogmes économiques qui faisaient du consommateur un agent économique par définition rationnel, apte à faire valoir ses droits par lui-même. Le rôle de l'État comme garant de l'ordre public économique y est fortement réaffirmé, conjuguant renforcement de la protection des consommateurs et compétitivité de notre économie.

C'est dans cette perspective que s'inscrivent les dispositions de ce texte, qu'elles aient pour but de favoriser le pouvoir d'achat, de lutter contre le surendettement, de rééquilibrer les relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs, les PME notamment, de réviser l'arsenal des sanctions destinées à punir la fraude et la tromperie, de transposer la directive européenne relative aux droits des consommateurs, notamment les mesures relatives à la vente à distance, de favoriser une consommation responsable sans écarter le problème de l'obsolescence programmée, ou de protéger les produits manufacturés par des indications géographiques.

Je voudrais tout d'abord souligner que ce texte a été élaboré à l'issue d'une très large concertation avec les associations de défense des consommateurs et les professionnels.

Ainsi l'innovation essentielle que constitue l'« action de groupe à la française » a fait l'objet d'une consultation publique et d'un consensus au sein du Conseil national de la consommation obtenu à la fin du mois de décembre dernier. Le monde des entreprises et le mouvement consumériste partageaient le diagnostic qu'il manquait une voie de recours pour traiter les litiges de consommation de masse. Si les montants en cause sont faibles pris isolément, additionnés ils constituent des rentes économiques considérables.

La création d'une telle procédure est une véritable « Arlésienne du droit de la consommation », puisque Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy l'avaient promise avant d'y renoncer sous la pression des lobbies.

Nous en avons volontairement limité le champ d'application au seul droit de la consommation et de la concurrence parce que nous considérons que les dommages dans le domaine de la santé ou les atteintes à l'environnement, où la réparation du préjudice suppose une expertise individuelle, ne relèvent pas du code de la consommation. D'ores et déjà, Marisol Touraine travaille au principe d'une action de groupe étendue aux préjudices intervenant en matière de santé, qui pourrait trouver place dans la future loi de santé publique.

En revanche le débat peut être ouvert quant aux modalités de mise en oeuvre proposées par ce texte – le choix de la réserver aux associations agréées de consommateurs, la possibilité de recourir à une procédure simplifiée, etc.

Conformément à l'objectif de rééquilibrer les relations entre les entreprises et les consommateurs, le projet de loi confère un effet erga omnes à l'annulation par le juge d'une clause abusive. Cela signifie que le juge saisi d'une clause contractuelle pourra décider que l'annulation de cette clause vaut pour tous les contrats de même nature.

En rétablissant une forme de symétrie entre assuré et assureur, la faculté pour le consommateur de résilier ses contrats d'assurance multirisques habitation et responsabilité civile automobile dès la première année vise le même objectif de rééquilibrage. Ce nouveau droit permettra aux consommateurs de mieux faire jouer la concurrence et donc de bénéficier d'offres plus performantes en termes de prix et de services rendus. Je rappelle qu'en dépit du caractère incontestablement concurrentiel de ce marché, les primes d'assurance multirisques habitation ont augmenté trois fois plus vite que l'inflation au cours des trois dernières années. Or, il s'agit là de dépenses contraintes.

Le projet de loi vise également à lutter contre le surendettement des ménages, en favorisant en premier lieu le développement d'offres de crédit alternatives au crédit renouvelable. Cette forme de crédit a sa place dans une économie moderne, où les consommateurs n'ont pas à payer compter tous les biens qu'ils acquièrent, et est utile pour soutenir à la consommation. Pour les achats d'un montant supérieur à mille euros, en revanche, le crédit renouvelable n'est pas la meilleure des formules et tend à amplifier le surendettement des ménages.

Je vous rappelle que plus de 200 000 dossiers de surendettement ont été déposés par an en moyenne au cours des cinq dernières années. Au 31 décembre 2012, 772 000 ménages étaient en cours de désendettement. Or, le crédit à la consommation est présent dans 87 % des cas traités en commission de surendettement, avec en moyenne 4,6 crédits par dossier. Ce qu'il faut, c'est éviter le crédit de trop. Pour cela, nous voulons davantage responsabiliser les prêteurs via la mise en place d'un registre national des crédits aux particuliers (RNCP), conformément à l'engagement pris par le Premier ministre lors de la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté, engagement rappelé par le Président de la République devant l'Union nationale et interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS).

Le Gouvernement proposera par voie d'amendement une version plus modeste de ce fichier que ce que nous avions imaginé au départ. Conformément à l'avis du Conseil d'État, de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), ce fichier ne recensera que les personnes ayant des crédits à la consommation, et non les 25 millions de personnes potentiellement concernées. Cette dernière option aurait été par trop disproportionnée : nous l'avons admis et revu notre projet en conséquence.

Il faut absolument enrayer la hausse du surendettement – les ménages français surendettés le sont pour des montants deux fois supérieurs aux ménages de la Belgique, où existe un registre.

Troisièmement, nous souhaitons mettre en place de nouvelles règles pour assurer un meilleur équilibre des relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs, question particulièrement délicate tant elle implique des intérêts contradictoires. Le texte prévoit tout d'abord un renforcement considérable de l'effectivité de la législation sur les délais de paiement, notamment en substituant des sanctions administratives à la pénalisation des infractions à la réglementation en vigueur. L'enjeu est considérable sur le plan économique puisque ce sont onze milliards d'euros qui pourraient ainsi être restitués à la trésorerie des entreprises si cette législation était respectée.

Le projet de loi impose également de nouvelles règles de transparence dans les relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs telles que régies par la LME. Nous souhaitons que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) puisse contrôler cet « instantané » des négociations qu'est le contrat annuel, autrement appelé « convention unique », qui précise les conditions générales de vente du fournisseur, pour rétablir un minimum d'équilibre dans des rapports de force structurellement défavorables aux PME.

Le projet impose enfin de prévoir une clause de renégociation obligatoire des prix dans les contrats portant sur certains produits alimentaires pour faire face à la volatilité des prix des matières premières. Cette disposition, si elle suscite des réserves chez les distributeurs, est en revanche très attendue par les producteurs et les transformateurs. Elle est, à mes yeux, très importante : j'affirme, au risque de surprendre, qu'on ne peut plus continuer la course sans fin aux prix les plus bas au détriment de la qualité, notamment de l'alimentation. L'affaire « de la viande de cheval » nous a appris que lorsqu'on ne sait plus payer le juste prix aux fournisseurs, on encourage la fraude.

En outre, le projet de loi renforce l'arsenal des sanctions pour faire respecter le code de la consommation. La multiplication par dix de l'amende relative aux fraudes majeures pour les personnes physiques, ainsi que l'application d'un pourcentage du chiffre d'affaires pouvant aller jusqu'à 10 % dans le cas des personnes morales, apparaît comme une réponse à la fois proportionnée aux dommages causés aux consommateurs lésés et aux bénéfices indus des professionnels, et d'un montant suffisamment important pour être dissuasive. Dans le cas de l'entreprise Spanghero, il y aurait eu 85 centimes de marge indue par kilo de viande, soit 500 000 euros au total. Et des filières entières de l'industrie agroalimentaires paient aujourd'hui les conséquences des comportements professionnels déloyaux de quelques-uns.

Par ailleurs, les manquements qui faisaient l'objet de contraventions pénales seront désormais sanctionnés par des amendes administratives, bien évidemment dans le respect du principe du contradictoire. Il s'agit de donner à la DGCCRF les moyens d'assurer l'effectivité de la loi.

Le projet de loi renforce également la protection des consommateurs dans le cadre de la vente à distance, et tout particulièrement du commerce en ligne, qui connaît une véritable explosion. La transposition de la directive relative aux droits des consommateurs nous permet de renouveler le cadre de régulation du commerce électronique et de la vente à distance, dont la croissance repose plus que d'autres sur la confiance des consommateurs. La vente sur internet explose – 9 milliards l'an dernier. Et la fraude augmente en proportion. Nous proposons que le délai de rétractation dont bénéficie le consommateur soit porté de sept à quatorze jours et que le délai de remboursement à la charge du professionnel n'excède pas trente jours. Le texte vise également à renforcer les moyens de contrôle, par exemple en permettant aux agents de la DGCCRF d'aller au bout d'une transaction sous une fausse identité pour s'assurer de sa loyauté. En tout état de cause, s'agissant d'une directive d'harmonisation maximale, notre marge d'amendement est extrêmement faible.

Ce texte a également pour objectif de favoriser le développement de modes de consommation plus responsables. Dans cette perspective, le projet de loi améliore l'information des consommateurs sur les garanties légales, ainsi que sur l'existence et la disponibilité de pièces détachées nécessaires à la réparation d'un produit. Les vendeurs seront également tenus de fournir aux consommateurs les pièces indispensables à l'utilisation d'un produit pendant la période, indiquée par le fabricant ou l'importateur, durant laquelle ces pièces sont disponibles. Ce cercle vertueux profitera aussi au secteur du réemploi, dont les acteurs sont implantés sur le territoire et relèvent souvent de l'économie sociale et solidaire.

Dans le même temps, avec ma collègue Sylvia Pinel, nous étendons aux produits manufacturés la protection offerte par les indications géographiques, qui ont été un moteur de la croissance dans le domaine alimentaire. Le produit doit tirer ses qualités et sa renommée de ce lieu, et en se rapportant à son indication géographique, le consommateur doit retrouver les caractères liés à ce lieu de production. Ces indications géographiques sont pour le consommateur la garantie d'une certaine constance et d'une certaine qualité des produits, et peuvent aussi participer du choix du consommateur d'encourager la production locale.

Le projet de loi contient enfin des dispositions plus sectorielles, telles celles visant à encadrer les rapports entre les artisans taxis et les exploitants de voitures de tourisme avec chauffeurs.

Sept cents amendements ont été déposés sur le texte, sur lesquels je souhaite sincèrement que nos échanges soient les plus féconds possible. J'espère toutefois que la cohérence et la force de ce projet de loi seront préservées car, plutôt que de construire un millefeuille et d'empiler des mesures sectorielles, j'ai souhaité la mise en place de mesures transversales puissantes, comme la création de l'action de groupe ou celle du registre national des crédits aux particuliers. Le citoyen, confronté à des situations qui gênent son acte de consommation doit disposer de voies de recours simples pour obtenir réparation des préjudices qu'il subit ou pour éviter l'enfer du surendettement. C'est là la philosophie de ce texte.

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