Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 11 juin 2013 à 16h30
Commission des affaires économiques

Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation :

Non seulement le registre national du crédit aux particuliers n'éteindra pas le surendettement du jour au lendemain, mais, paradoxalement, il augmentera dans un premier temps le nombre de dossiers traités par la Banque de France ! Il permettra en effet une détection plus précoce des personnes touchées. En Belgique, la moyenne de l'endettement pour ces dossiers est de 20 000 euros, contre 40 000 en France ; or, il est beaucoup plus facile d'intervenir pour 20 000 euros que pour 40 000 euros. La Banque de France a donc de très bonnes raisons de s'interroger sur la charge de travail et le coût qu'engendrera cette mesure : nous estimons le coût de la création du fichier entre 10 et 15 millions d'euros. Ensuite, son fonctionnement devrait coûter de 30 à 45 millions, mais cette somme sera à la charge des établissements de crédit : en effet, ils en tireront des bénéfices, puisqu'ils pourront mieux estimer la solvabilité de leurs clients, et verront donc diminuer le nombre de leurs créances non payées.

Il faut responsabiliser les emprunteurs, me dites-vous, madame Bonneton. J'entends l'argument, et j'ai été interpellé sur le sujet par des professionnels du secteur bancaire. Bien sûr, il faut éduquer les consommateurs, mais je ne crois pas que l'on ait toujours une attitude rationnelle sur l'endettement. Des situations difficiles, bien réelles, incitent certains à prendre un crédit renouvelable pour payer leurs factures ! Est-ce rationnel ? Non. Mais ils y sont poussés par la réalité de ce qui leur arrive. Il faut donc prendre en charge ces familles le plus tôt possible, avant qu'elles ne basculent dans le surendettement.

Nous avons beaucoup travaillé pour préserver les libertés fondamentales, et je veux d'ailleurs saluer le rôle du Conseil d'État, qui nous a aidés à prendre toutes les précautions possibles. Après avoir émis un avis défavorable, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a d'ailleurs reconnu avoir été écoutée ; j'espère que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) regardera aussi ce projet d'un oeil plus favorable, car nous avons entendu ses arguments. Ce travail montre combien une véritable concertation peut être utile. Au cours de l'année qui vient de s'écouler, je me suis moi-même forgé une conviction sur ce sujet : je n'étais pas, au départ, un partisan farouche d'un registre national.

Aujourd'hui, le marché du crédit est dominé par quelques grandes banques, et il est bien difficile de s'y faire une place. De jeunes entreprises qui voudraient faire du crédit entre particuliers s'en plaignent, et appellent de leurs voeux un marché plus concurrentiel, ce qui ferait d'ailleurs baisser les taux ! C'est aussi notre volonté. Les acteurs qui dominent le marché sont opposés au RNCP, tandis que les nouveaux entrants potentiels y sont favorables : ce registre permettra non seulement une détection plus précoce des familles vulnérables et une meilleure lutte contre le mal-endettement, mais donnera accès au crédit à des populations qui en sont aujourd'hui exclues par leur mauvais « score » – c'est souvent le cas des jeunes ménages.

Monsieur Abad, je vous remercie d'avoir dit que ce texte était « sympathique » : je choisis de prendre ce terme comme un compliment. L'action de groupe vous semble compliquée, mais il faut comprendre que ce n'est pas seulement une nouvelle procédure : c'est aussi un moyen de rétablir la confiance entre les consommateurs et les entreprises. C'est en quelque sorte une arme de dissuasion contre les tricheurs – que personne, j'en suis tout à fait certain, ne soutient ici.

L'Autorité de la concurrence nous le dit : il existe des ententes entre des entreprises, ententes qui obligent parfois le consommateur à payer un prix de 20 % supérieur à celui qu'il aurait pu obtenir s'il y avait vraiment eu concurrence. C'est pour cela qu'il faut créer l'action de groupe ! Elle figurait d'ailleurs au programme d'un candidat à la présidence de la République que vous avez soutenu ; elle figurait même dans les programmes de précédents candidats, qui ont pour certains été élus.

Nous voulons donc une action de groupe qui soit la plus rapide et la plus efficace possible. Il faudra toutefois attendre, pour la lancer, que l'Autorité de la concurrence ait rendu son jugement. Certains craignent que les procédures n'en soient terriblement allongées. Je suis ouvert à la discussion sur des conditions d'exécution provisoire d'une action de groupe, ou bien sur une éventuelle procédure simplifiée, lorsque par exemple toutes les personnes potentiellement lésées sont déjà bien identifiées. Ainsi, nous avons connu des problèmes avec des produits de placement libellés en devise étrangère : tous les clients de la grande banque française concernée sont connus. Cela pourrait justifier une procédure simplifiée.

L'action de groupe donnera des armes aux consommateurs, par le truchement d'associations agréées : les préjudices pourront ainsi être réparés, mais la simple existence de la procédure devrait pousser les entreprises à améliorer leurs relations avec leurs clients et leurs médiations d'entreprise. Un consommateur avisé, c'est aussi un consommateur qui pousse les entreprises à être plus compétitives, et c'est bon pour toute notre économie.

Ce projet de loi comporte des mesures en faveur du pouvoir d'achat : nous voulons notamment agir sur les dépenses contraintes, car c'est là que sont les rentes indues, et nous pensons que cela représente des sommes importantes. L'action de groupe permettra que ces rentes soient rendues au consommateur – plutôt qu'aux avocats, comme c'est trop souvent le cas aux États-Unis, même si les avocats ont bien sûr un rôle à jouer.

S'agissant de la directive européenne, M. Abad, nos marges de manoeuvre sont à peu près nulles. Le délai de rétractation sera donc de quatorze jours, comme le délai de restitution du produit par le consommateur ; le délai de remboursement par le professionnel sera de trente jours. Ce n'est peut-être pas la solution optimale, notamment pour les outre-mer, mais je rappelle que nous sommes dans le cadre d'une directive d'harmonisation maximale.

M. le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, ainsi que les oratrices du groupe écologiste, ont parlé d'économie de la fonctionnalité. Je suis favorable à l'ouverture d'un débat sur ce sujet, même si le délit d'obsolescence programmée proposé par certains amendements me paraît relever de la qualification juridique de tromperie économique sur la qualité substantielle des biens. Mais l'économie circulaire, et les changements de mode de consommation, notamment la plus fréquente réparation des produits achetés, sont des sujets importants. Le projet de loi comporte déjà des obligations en ce domaine ; nous sommes prêts à avancer, tout en veillant à conserver un équilibre.

Merci, monsieur Benoit, pour vos propos. Vous parlez notamment de la LME. Ce que nous constatons, c'est que les enseignes de la grande distribution se livrent une guerre sans merci, qui entraîne une guerre généralisée avec les PME. Les consommateurs en tirent avantage parce qu'ils bénéficient de prix plus bas, mais ils découvrent que cet état de choses a aussi pour conséquence des tromperies plus fréquentes sur la qualité des produits. Faut-il rappeler le cas de la viande de boeuf remplacée par du cheval ? Nous devons donc nous interroger sur ce modèle économique du moindre coût.

Monsieur Abad, vous craignez les sanctions contre les entreprises. Mais aujourd'hui, on peut gagner de l'argent en trichant : cela peut relever d'un arbitrage rationnel ! Il faut donc proportionner les peines à l'ampleur du bénéfice indu : tricher ne doit plus payer, dans le domaine du commerce comme dans tous les autres. Nous voulons tous ici réprimer la délinquance : pourquoi être plus indulgent avec la délinquance économique ?

Lorsque je consomme, je dois avoir confiance dans les produits que j'achète. Sinon, je n'achète plus. Voyez la chute vertigineuse des ventes de plats préparés.

On comprend donc que MM. Barbier et Chassaigne nous invitent à renforcer les pouvoirs et les moyens de la DGCCRF. Un mot à ce sujet. La DGCCRF travaille avec une si belle énergie qu'elle en vient parfois à se substituer aux services de certains de nos partenaires européens – ce sont nos fonctionnaires qui ont remonté jusqu'à Chypre la filière de la viande chevaline indûment substituée à de la viande bovine ? On ne peut à la fois louer le travail de ces agents, qui travaillent d'arrache-pied pour faire respecter l'intérêt des consommateurs, et leur reprocher d'être exagérément tatillons à l'égard des entreprises. La DGCCRF remplit la mission que l'État lui a assignée : protéger les consommateurs, qui n'ont évidemment pas les moyens de surveiller la chaîne du froid ou la traçabilité des aliments qu'ils trouvent dans leur assiette.

Pour remplir cette tâche, la DGCCRF a besoin de moyens de contrôle et de pouvoirs de sanction supplémentaires. Les sanctions administratives visent à rendre effective une loi qui ne l'est pas aujourd'hui, si bien que la volonté du législateur de voir garanti l'équilibre entre producteurs et consommateurs n'est pas respectée. Je demanderai par ailleurs que les effectifs de la DGCCRF soit renforcé mais, vous le savez, les arbitrages sont loin d'être rendus à ce sujet. Non seulement la DGCCRF, dont les moyens ont été réduits, a été contrainte de diminuer le nombre de ses contrôles, mais les transpositions successives de directives ont élargi ses compétences, obligeant ses agents à une polyvalence qui rend les contrôles moins pointus. L'effectif de la DGCCRF, en baisse de 16 %, n'est pas ce qu'il devrait être. Je me tourne vers ceux qui ont mis en oeuvre la révision générale des politiques publiques pour leur dire que ce n'est pas une bonne chose pour les consommateurs français. S'ils estiment que les moyens alloués à la DGCCRF doivent continuer de baisser, ils le manifesteront par leur vote au moment opportun. Je pense, pour ma part, que nous avons l'occasion d'inverser la courbe, dans l'intérêt général.

Je tiens à dire à nouveau l'importance du procès-verbal. Comment la DGCCRF peut-elle travailler correctement si elle n'est pas en mesure de constater ce qu'a été la réalité de la négociation et ne peut s'appuyer que sur des déclarations orales ?

M. Chassaigne a évoqué les indications géographiques pour les produits manufacturés, une question dont il pourra traiter en présence de Mme la ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme. Pour sa part, M. Barbier a mentionné l'urbanisme commercial, vaste sujet qui trouvera sa place dans le futur projet « Duflot III ». Nous débattrons plus en détail, lors de la discussion des articles, des autres points abordés.

J'y insiste : donner des droits aux consommateurs, c'est rendre le marché plus fluide et accroître la compétitivité des entreprises. La compétitivité ne peut se concevoir au détriment des salariés et des consommateurs ; elle suppose la confiance des premiers et les meilleures conditions possibles de travail et de rémunération pour les seconds. Je veux croire que nous sommes tous d'accord sur ce point.

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