Intervention de Laurent Machureau

Réunion du 22 mai 2013 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Laurent Machureau, sous-directeur de la 4e sous-direction à la direction du Budget :

La question de l'optimisation des aides à la construction en fonction des besoins peut être appréhendée non seulement en fonction de la territorialisation de la politique de soutien à la construction de logements sociaux – avec la question : où cible-t-on l'allocation des moyens ? -, mais aussi à travers l'analyse globale et systémique du modèle économique du logement social, compte tenu du nombre tant des financeurs que des mécanismes. L'objectif est de repérer les obstacles à la construction – le foncier est un problème central – en vue de jouer sur l'ensemble des leviers pour s'attaquer de manière structurelle aux dysfonctionnements du marché du logement et favoriser la rentabilité, et partant, le financement des opérations de construction de logements sociaux.

Je tiens à vous signaler l'existence, dans le cadre de la Modernisation de l'action publique (MAP), d'une mission d'évaluation sur la territorialisation de la politique du logement confiée à M. François Delarue, président-directeur général de l'Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP), en collaboration avec le Commissariat général au développement durable (CGDD).

Nous sommes particulièrement sensibles à la question de l'interaction entre le zonage des aides au logement social et le zonage des aides à l'investissement locatif privé dont les effets inflationnistes sur le prix du foncier sont susceptibles, selon la Cour des comptes, de rendre plus difficile le bouclage des opérations de financement de construction de logements sociaux dans certaines zones.

La réorientation des aides vers les zones tendues est en oeuvre depuis plusieurs années. Au plan national, leur répartition entre les grandes régions s'effectue grâce à des indicateurs diversifiés qui permettent de mieux appréhender les besoins en prenant en compte des critères qui les reflètent tels que le taux de vacance, la mobilité, les perspectives d'évolution démographique, le parc social rapporté à 1 000 habitants, le nombre de recours DALO et leur pourcentage de satisfaction. Au plan infrarégional, la distribution des enveloppes par les préfets de région cible clairement les zones tendues – je renvoie à ce sujet aux indicateurs de performance du programme 135. Il importe toutefois de mettre en perspective la répartition de l'effort avec les autres politiques publiques, notamment les politiques d'aménagement. C'est ainsi que la question du logement social ne se posera pas de la même manière en Île-de-France avec ou sans le réseau de transports du Grand Paris.

Une meilleure modulation au plan local, notamment des subventions de l'État, en maximiserait sans doute l'effet de levier – une aide moindre de l'État permettrait alors à l'agrément de jouer un véritable rôle de catalyseur déclenchant l'entrée en jeu d'autres mécanismes d'aide. Je pense non seulement aux prêts de la CDC, mais également aux avantages fiscaux, qui pèsent plus lourd, in fine, dans le bouclage d'une opération de construction de logements sociaux que les seules subventions de l'État.

Enfin, il est nécessaire d'articuler au plan territorial le rôle de l'État, celui des collectivités territoriales et celui d'Action Logement.

L'articulation des différentes aides est-elle optimisée – non seulement les aides à la pierre du programme 135, mais également toutes les aides directes ou indirectes ? La question est d'autant plus pertinente que ces aides sont, depuis un an, considérables. Je pense évidemment à la suppression du prélèvement sur le potentiel financier qui a rendu, selon les propres mots du Président de la République, 175 millions de fonds propres aux bailleurs sociaux. Je pense également au produit de la surtaxe sur les plus-values immobilières, qui a permis d'injecter de l'argent extérieur au sein du système ; à la signature de la convention entre la Caisse des dépôts et l'Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL)-Action Logement, qui ouvre à l'organisme paritaire l'accès aux ressources des fonds d'épargne ; ou encore à la cession gratuite de fonciers publics qui, outre son effet sur les prix du foncier, constitue une aide à la pierre en nature considérable étant donnés les prix que peuvent atteindre les terrains sur certains territoires. La mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) participe elle aussi à la réduction du coût de construction. Je terminerai par la récente annonce du passage à 5 % de la TVA sur le logement social. Toutes ces mesures s'ajoutent aux autres exonérations, notamment les exonérations d'impôt sur les sociétés pour les organismes HLM et de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les nouveaux logements sociaux, à l'accès aux prêts sur fonds d'épargne et aux aides à la pierre.

Les aides budgétaires à la pierre ne représentent donc qu'une part modeste du financement d'une opération – avant les nouvelles mesures que j'ai évoquées, cette part était de l'ordre de 15 % pour les prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) dans les zones tendues et de moins de 10 % ailleurs. L'effet catalyseur de l'intervention de l'État est plus lié à l'octroi des autres avantages permis par l'agrément – TVA réduite, exonération de TFPB et accès aux prêts sur fonds d'épargne – qu'à l'aide à la pierre elle-même.

Dans un tel contexte d'aide publique massive, il importe, aux yeux de la direction du Budget, d'identifier les obstacles à la construction de logements sociaux, à commencer par la rareté du foncier. D'ailleurs, lorsque les terrains constructibles sont rares, injecter des ressources publiques pourrait comporter un risque inflationniste dont il convient de se préserver. Il faut prendre des mesures structurelles visant à inciter la libération de fonciers privés, via des outils fiscaux comme le rééquilibrage entre la taxation de la mutation et celle de la détention. Il est également nécessaire d'inciter davantage encore les élus à développer la construction de logements sociaux, objectif visé par le renforcement de la loi SRU dans le cadre de la loi Duflot. D'autres pistes peuvent être évoquées, comme l'intéressement des collectivités locales aux plus-values d'urbanisme. Il conviendrait aussi de s'appuyer davantage sur les intercommunalités pour lever d'éventuels blocages d'ordre financier ou en termes d'économie politique : en effet, il peut être difficile pour une commune seule de trouver le bon équilibre entre la construction d'immeubles de bureaux, qui rapporte des ressources, et d'immobilier résidentiel, qui crée des charges nouvelles pour les collectivités locales, notamment lorsqu'il s'agit de logements sociaux. Un tel équilibre est plus facile à trouver au plan intercommunal, surtout lorsqu'il est pensé en cohérence avec les politiques publiques d'aménagement ou de transport.

Il importe enfin de jouer sur l'ensemble des leviers permettant d'améliorer la rentabilité des opérations et de favoriser le financement de la construction de logements sociaux, un effort particulier devant être réalisé sur les coûts de construction. La procédure de la conception-réalisation, par exemple, en associant, dès le lancement d'une opération, l'architecte et le constructeur, permettrait de gagner 15 % selon les exemples trouvés dans la presse. Le moratoire sur les normes, annoncé par le Président de la République, est sans aucun doute un élément important de la maîtrise des coûts de construction. Il faut aussi augmenter les recettes des organismes HLM, en appliquant notamment de manière plus systématique les surloyers de solidarité versés par les locataires les plus aisés du parc social, ce qui favorisera par ailleurs une plus grande mobilité au sein du parc. La vente de logements HLM amortis augmenterait également les fonds propres des bailleurs – un logement social vendu permet la construction de trois logements neufs. La vente de 1 % du parc social dégagerait ainsi quelques 2 milliards d'euros, une somme considérable qui irait aux fonds propres des bailleurs.

Je le répète : il convient d'avoir une vision globale et systémique du modèle économique du logement social pour concilier le nécessaire développement de la construction de logements sociaux, compte tenu de la crise du logement que connaît notre pays, avec la non moins nécessaire maîtrise de la trajectoire des finances publiques vers le retour à l'équilibre.

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