Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, tout d'abord, je tiens à vous remercier de votre invitation et à vous dire que je suis très heureuse que l'Assemblée nationale ait fait le choix de cette mission d'information. La question des immigrés âgés, de leurs conditions de vie et de leur place dans notre société, me semble tout à la fois très importante et trop peu prise en compte et reconnue, et c'est pourquoi je me réjouis que vous vous en empariez. Soyez assurés que je m'appuierai sur les conclusions de votre travail pour ce qui me concerne.
L'histoire personnelle des centaines de milliers de personnes dont nous parlons est intrinsèquement liée à l'histoire de notre pays. Venus en France mus par un projet économique et une farouche volonté de retourner « au pays », ces travailleurs migrants issus des vagues d'immigration des Trente Glorieuses vivent en réalité encore là où ils ne pensaient pas rester. Ces travailleurs, qui ont largement contribué à la reconstruction et au développement économique de notre pays, vieillissent aujourd'hui dans les foyers.
Prendre en compte ces personnes, non seulement isolées, mais encore trop souvent invisibles et silencieuses, est notre devoir. Ce n'est pas seulement parce que nous aurions une dette envers elles : c'est tout simplement parce qu'elles font partie de nos cités, qu'elles habitent ici, qu'elles doivent avoir toute leur place et vivre dans des conditions dignes.
En tant que ministre du logement, je suis bien entendu particulièrement préoccupée par leurs conditions de logement. Vous avez pu, au cours de vos auditions, dresser le diagnostic des difficultés : habitat privé indigne, hôtels meublés pas toujours de qualité, foyers de travailleurs migrants en mauvais état ; je ne vais pas à nouveau en dresser une liste détaillée.
Ma priorité est de faire en sorte que ces immigrés âgés puissent habiter dans des conditions de confort acceptables, mais aussi, au-delà, qu'ils soient considérés comme des citoyens à part entière.
L'un des axes de la politique que je mène pour contribuer à améliorer les conditions de logement des immigrés âgés réside dans la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil.
Le projet de loi « pour l'accès au logement et un urbanisme rénové » (« ALUR ») que j'aurai le plaisir de présenter en conseil des ministres à la fin du mois, contiendra des dispositions en ce sens. Pour l'habitat indigne, je souhaite créer les conditions de mise en place d'un acteur unique afin de simplifier la mise en oeuvre des polices spéciales de l'habitat ; concernant les marchands de sommeil, je souhaite mettre à mal ce fléau en instaurant une astreinte administrative lourde et dissuasive.
Selon les estimations, 35 000 immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans vivent à ce jour en foyer. À cet égard, je souhaite évoquer deux questions : le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants et la vie des immigrés âgés dans les foyers et résidences sociales.
À la fin des années 1950, lorsque les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de loger ces ouvriers migrants qui peuplaient les usines et les chantiers, les travailleurs avaient fait naître le slogan : « de l'usine prison au foyer cercueil ». En tant que ministre, j'ai un devoir de lucidité, et force est de constater que ce slogan n'a pas pris une ride. Soixante ans plus tard, les conditions dans lesquelles vivent ces immigrés âgés, au regard de la redevance qu'ils paient chaque mois, sont trop souvent intolérables et indignes.
Ces foyers ont été construits rapidement pour répondre aux besoins exponentiels identifiés à l'époque ; ils ont surtout été construits pour une population supposément en transit. Or à présent, nous devons en faire le constat, ces personnes vivent – souvent à plusieurs – dans des chambres exiguës depuis plus de quarante ans. Elles sont aujourd'hui recluses dans ces chambres qui, n'ayant pas évolué avec elles, sont devenues inadaptées au regard de leur âge, de leur mobilité, de leurs besoins. Je souhaite m'attarder sur cette question des besoins, car s'il est légitime d'avoir envie et besoin de bâtir une vie collective au-delà des quatre murs de sa chambre à vingt ou trente ans, c'est également le cas pour les personnes de plus de soixante-cinq ans. La vie collective des foyers, pour un faisceau de raisons, notamment financières ou liées à la sécurité, s'est beaucoup dégradée ; les lieux de vie communs ont souvent été réduits ou supprimés. Cela est particulièrement regrettable.
La situation à laquelle nous sommes confrontés nous impose d'agir.
Je souhaite ardemment que le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, financé par l'État et Action Logement, soit achevé – et ce plus rapidement que prévu. Néanmoins, je voudrais souligner ici qu'il ne s'agit pas seulement d'une question budgétaire.
En effet, la démarche consiste bien à construire des projets partagés, aussi bien avec les collectivités locales qu'avec les résidents eux-mêmes. J'ai déjà eu l'occasion de le dire le 18 février dernier au foyer « Bara » à Montreuil lors de la signature du protocole de reconstruction de ce foyer de travailleurs maliens. Cela a été un moment fort pour cet établissement particulièrement emblématique. Grâce à l'intelligence de l'ensemble des acteurs qui ont uni leurs efforts, une solution a pu être trouvée, alors même que la situation paraissait inextricable. C'est bien parce que le propriétaire, Antin Résidences, et le gestionnaire, Coallia, ont accepté de s'inscrire dans une démarche participative et innovante et qu'ils ont construit un projet viable en lien avec les collectivités et les résidents, que ce protocole tant attendu a pu être signé.
Sur ce modèle, qui démontre que les situations les plus difficiles peuvent être surmontées – le foyer « Bara » se caractérise par une très forte suroccupation et un état extrêmement délabré –, ma volonté est de faire en sorte que les projets soient construits collectivement. C'est le message que je souhaite envoyer à l'ensemble des acteurs : gestionnaires, propriétaires et collectivités locales. Il s'agit de ne pas plaquer un modèle identique partout afin d'éviter de reproduire les erreurs du passé.
Je sais que les questions posées sont complexes. Si la transformation d'un foyer devenu obsolète et insalubre en résidence sociale apparaît comme la solution préalable à l'amélioration des conditions de vie de leurs occupants, elle n'est cependant pas la solution magique. Certes, il est plus confortable pour les immigrés âgés de bénéficier de studios plus grands et en meilleur état, mais il n'est pas évident pour eux de manger et de vivre seul dans un petit appartement. Aussi, pour un certain nombre d'entre eux, le maintien d'un mode de vie collectif – comme ils l'ont connu pendant plus de quarante ans – est-il nécessaire car leur isolement entraînerait des souffrances psychologiques importantes. Un décalage violent avec leurs modes de vie n'est donc pas souhaitable.
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d'élaborer des projets de manière participative et, le cas échéant, de faire évoluer les règles régissant les résidences sociales. L'enjeu est de trouver le bon équilibre pour répondre aux besoins présents, tout en anticipant les besoins à venir.
D'autres projets intéressants voient le jour. Lors de son audition, l'Association Rhône-Alpes pour le logement et l'insertion sociale (ARALIS) vous a fait part de son expérience de logements partagés.
Ainsi, nous devons faire le pari de l'intelligence collective et laisser la possibilité d'expérimenter de nouveaux usages avec pragmatisme. Nous devons imaginer dès aujourd'hui l'évolution probable de certains de ces lieux.
Il est indéniable que ces démarches d'élaboration collective prennent du temps, mais elles sont indispensables. Pour autant, nous ne pouvons pas rester sans rien faire pour les immigrés âgés dans les foyers non traités, et nous devons donc améliorer leurs conditions de vie dans les foyers existants.
Il s'agit notamment de faire en sorte que les aides au maintien à domicile s'appliquent dans les foyers comme ailleurs. Le ministère des affaires sociales et les gestionnaires travaillent à des avancées en la matière.
Il s'agit également de prendre en compte les travaux d'adaptation nécessaires et, enfin, de maintenir des lieux de sociabilité. En effet, un des plus grands reproches que l'on peut faire à certains travaux de réhabilitation est la suppression de tout espace de vie collective – espace de grande proximité d'autant plus nécessaire que le vieillissement entraîne une perte de mobilité. Je sais que la sécurité représente un réel enjeu, mais je suis très attachée à l'existence de lieux collectifs sous une forme ou une autre. Les opérateurs de l'État ont imposé à ces personnes un mode de vie très collectif, voire hypercollectif ; nous ne pouvons pas, au motif de faire mieux, priver de lien social ceux qui en ont le plus besoin aujourd'hui.
Près de trois cents foyers ont à ce jour été transformés ou sont en voie de l'être. Le plan de traitement a donc avancé. Néanmoins, ne se pose pas la seule question du bâti : nous devons aussi nous préoccuper des immigrés âgés dans les résidences sociales.
Pour cette raison, la nouvelle circulaire relative à l'aide à la gestion locative sociale (AGLS) prévoit explicitement que celle-ci doit permettre aux personnes immigrées âgées de faire valoir leurs droits et de bénéficier des aides. De plus, cette aide est revalorisée, comme le Gouvernement s'y est engagé dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Il s'agit à la fois de relever le plafond de l'aide et de faire en sorte que des nouvelles résidences qui ne pouvaient pas être financées faute de crédits puissent l'être dorénavant. Le soutien fort apporté par le ministère du logement à l'Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), la fédération professionnelle des gestionnaires, permet également le développement d'outils contribuant à une meilleure prise en compte des problèmes rencontrés.
Enfin, François Lamy, ministre délégué chargé de la politique de la ville, aura l'occasion tout à l'heure d'évoquer avec vous l'action menée par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé).
Je ne vais pas revenir sur la mise en oeuvre de l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine (ARFS). Marisol Touraine a eu l'occasion de vous présenter ce qui est en cours, sous son égide et en lien avec moi et mon ministère.
S'agissant de l'épineuse question des allers et retours, je suis favorable au développement d'initiatives comme celles que certains gestionnaires ont prises en faveur de de logements partagés. C'est une recommandation du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) dans son seizième rapport. Je ne vous cache pas que modifier la condition des huit mois de résidence pour le bénéfice de l'aide personnalisée au logement (APL) est compliqué. Néanmoins, permettre le paiement de quelques mois de redevance seulement et l'utilisation du logement par plusieurs personnes constitue une solution susceptible de répondre aux attentes et aux besoins et, au final, relativement rationnelle au regard de l'utilisation des logements. J'ai bien conscience que cela est complexe d'un point de vue logistique, et je salue l'engagement des gestionnaires qui explorent cette voie. Je souhaite que nous travaillions à lever les obstacles rencontrés. Cette question n'est pas complètement indépendante de celle de l'ARFS ; il s'agira donc d'articuler ces deux sujets.
Je voudrais aborder un dernier point qui n'est pas spécifique aux immigrés âgés, mais qui les concerne également : celui des droits dans les foyers, du droit au respect de la vie privée et à la participation à la vie des foyers et résidences. Le projet de loi que je vais présenter prévoit des dispositions sur la participation des personnes accompagnées et hébergées. Ces dispositions pourront être complétées dans le cadre du débat parlementaire pour répondre aux attentes des résidents de foyers et résidences sociales.
Enfin, les personnes âgées immigrées doivent pouvoir accéder à un logement « autonome » si elles le souhaitent, notamment pour pouvoir accueillir leur famille. Elles doivent donc avoir les mêmes droits que les autres en la matière. L'effort doit être collectif. Je compte sur le travail en cours visant à améliorer le traitement des demandes de logement social, afin de mieux prendre en compte les demandes des immigrés âgés.
En conclusion, je voudrais réaffirmer que les immigrés âgés doivent avoir toute leur place dans nos villes et que tout doit être fait pour qu'ils ne soient ni relégués, ni oubliés. Pour ce faire, l'implication des pouvoirs publics doit être forte, ces personnes étant généralement peu revendicatrices. Je suis donc déterminée à faire en sorte que nous puissions leur offrir des conditions de vie dignes et un accès au droit commun.
Le rapport de votre mission d'information sera bientôt finalisé et rendu public. La responsabilité du Gouvernement sera de prendre appui sur votre travail et de mettre en place une politique cohérente et globale à destination de ces personnes. Nous ne pouvons pas attendre qu'elles disparaissent à petit feu et dans l'indifférence.
Je vous remercie.