Intervention de François Lamy

Réunion du 11 juin 2013 à 16h15
Mission d'information sur les immigrés âgés

François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, chargé de la ville :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je vous remercie de m'auditionner sur ce sujet important. Mon propos prolongera l'audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement

Ministre délégué à la ville, je suis le ministre des quartiers populaires et concerné par les populations immigrées âgées, puisque 50 % des habitants de ces quartiers sont étrangers ou nés de parents étrangers. La plupart d'entre eux ont exercé des métiers difficiles et participé au développement économique du pays. Aujourd'hui, ils vivent dans une grande précarité, et leur état de santé est dégradé.

La question des immigrés âgés est avant tout une question sociale et humaine, porteuse des stigmates d'une politique d'intégration qui a montré ses faiblesses et ses limites. C'est pourquoi, mon portefeuille étant par nature interministérielle, je parlerai tout particulièrement de la politique d'intégration.

Nos réponses sont, d'abord et avant tout, la mobilisation du droit commun pour permettre aux personnes âgées d'accéder à leurs droits, ou le devoir de reconnaissance et de mémoire en valorisant la transmission de l'héritage de l'immigration ; j'y reviendrai.

Refonder en profondeur la politique d'intégration est un objectif ambitieux du Gouvernement, à condition que nous nous en donnions les moyens. Mon ministère est mobilisé au premier chef compte tenu des articulations multiples entre la politique de la ville et la politique d'intégration.

Cette problématique, en miroir de la stigmatisation ressentie par plusieurs millions de nos concitoyens, dont la plupart vivent dans les quartiers populaires, est un enjeu fondamental pour la cohésion de notre société, d'autant que la crise actuelle fragilise encore un peu plus les fondamentaux de notre « vivre ensemble ». Il est de notre devoir de trouver le « ton juste » : le fait de porter ces sujets n'a pas pour but de cliver encore un peu plus la société française, mais au contraire d'avoir un discours rassembleur, autour du « vivre ensemble ».

C'est d'ailleurs dans cette optique que le Premier ministre engage, en lien avec les ministères de l'intérieur et de la ville, une concertation autour de la refondation des politiques d'intégration. D'ici à septembre, cinq groupes de travail, qui traiteront de culture et de mémoire, de lutte contre les discriminations, d'habitat, de mobilité sociale et de protection sociale, associeront les ministères et les personnalités qualifiées intéressées, rendront leurs conclusions à la rentrée de septembre, afin que le Gouvernement présente un document de stratégie générale au mois d'octobre.

La question des immigrés âgés y sera une question transversale, tant elle touche à toutes les dimensions traitées. Elle fera l'objet d'un volet spécifique dans ce cadre. Je suis convaincu que définir une politique exemplaire à destination des immigrés âgés permettra de favoriser le sentiment d'appartenance des jeunes générations à une société française qui respecte leurs parents et grands-parents.

De la même manière, le respect de l'engagement présidentiel en faveur du droit de vote des étrangers sera un signe de notre volonté politique par rapport à la refondation de la politique d'intégration. Cet engagement, dont on sait qu'il sera concrétisé au Parlement après les élections municipales, est essentiel. Attendu de tous les acteurs des quartiers, il est devenu un principe dans la considération attendue des personnes intéressées qui souhaitent être traitées comme des citoyens à part entière.

Je sais que vous avez eu l'occasion d'auditionner Naïma Charaï, présidente du conseil d'administration de l'ACSé, l'un des bras armés du ministère de la ville. Elle vous a déjà présenté de manière détaillée l'action de l'Agence ; je vous renvoie donc, à ce sujet, aux éléments de son audition.

Je souhaite, par contre, insister sur deux points qui me paraissent essentiels.

Le premier est celui de la reconnaissance, de l'histoire et de la mémoire.

Le travail sur l'histoire et la mémoire est une préoccupation ancienne de la politique de la ville. Cet intérêt a donné lieu à un grand nombre d'initiatives tant à l'échelle locale, avec les élus et les associations, qu'à l'échelle nationale avec le Secrétariat général du Comité interministériel des villes (SG-CIV), l'ACSé et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Nous rassemblons actuellement ces nombreuses initiatives afin de les valoriser. L'année 2013 est très importante car elle est marquée par le trentième anniversaire de la Marche pour l'égalité.

Par leur diffusion, ces actions « mémoire et histoire » s'inscrivent directement dans une démarche de lutte contre les discriminations, car elles contribuent directement à modifier le regard porté par la société française sur les habitants des quartiers en renforçant les liens sociaux et les liens intergénérationnels. C'est un enjeu majeur, car parler d'intégration doit, non plus se traduire par une injonction aux « immigrés âgés » et à leurs descendants de s'intégrer, mais plutôt exprimer une volonté de la société française de s'enrichir au fil des ans des différences des citoyens qui la composent, dans le respect des valeurs de la République.

Ces actions ont aussi pour objectif de participer à la reconnaissance et à l'inscription des parcours de ces migrants, qui ont façonné et participé à l'histoire de France, dans notre histoire commune. Le ministère de la ville soutient aujourd'hui une expérimentation autour du 1 % mémoire à Amiens. Cette initiative, que je soutiens avec Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants, et la municipalité d'Amiens, illustre l'idée qu'une action mémorielle n'est pas un « gadget », mais bien une action de mobilisation pour favoriser le vivre-ensemble. En effet, accompagnés dans une meilleure connaissance de leurs territoires et des parcours migratoires, les habitants se sentent plus en confiance ! On construit ainsi les bases d'une future mobilisation citoyenne !

Je lancerai d'ailleurs la semaine prochaine un groupe de travail, animé par l'historien Pascal Blanchard, chargé de présenter des propositions concrètes à l'automne. Ce groupe sera chargé de structurer les bases d'un programme d'intervention national copiloté par l'ACSé et l'ANRU, afin de favoriser la prise en compte de la « mémoire » dans les futurs contrats de ville et opérations de rénovation urbaine. Aucune opération de rénovation urbaine ne devra être réalisée sans mobilisation autour de la mémoire. En proposant cela, je souhaite donner corps à la proposition de M. Thierry Tuot dans son rapport sur l'intégration.

La reconnaissance, c'est aussi la concrétisation de la possibilité d'être enterré en France, selon les rites choisis par les familles. Mourir en France aujourd'hui, pour un musulman, revient encore trop souvent à être enterré le plus rapidement possible hors des frontières, afin de pouvoir l'être selon les rites religieux. Il me semble essentiel, au contraire, d'encourager l'aménagement des « carrés musulmans » dans les cimetières.

Après la question de la mémoire et de la reconnaissance, je souhaite aborder celle de l'accès aux droits.

Vous avez eu l'occasion d'auditionner Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, qui vous ont finement détaillé les mesures spécifiques qu'elles mettent en oeuvre.

Pour ma part, je suis favorable à la publication, dès que possible, des décrets d'application de la loi instituant le droit au logement opposable « DALO » de 2007, qui devait permettre aux immigrés âgés de rentrer dans leur pays d'origine tout en continuant de percevoir leurs allocations, et en touchant une allocation supplémentaire calculée selon leurs revenus. Ainsi, selon les articles 58 et 59 de cette loi, les personnes peuvent rester dans leur pays pour de longs séjours et continuer à bénéficier du régime de sécurité sociale et des droits sociaux.

Dans le cadre des engagements concrets de la convention passée entre le ministère de la ville et le ministère des affaires sociales que j'ai signée avec Mme Marisol Touraine et Mme Michèle Delaunay le 19 avril dernier, je souhaite mentionner l'excellente initiative qu'est la Mobilisation nationale contre l'isolement des personnes âgées (Monalisa), engagée par un collectif d'associations – centres sociaux, régies de quartier.

Je souhaite également souligner l'action menée par les acteurs de proximité, en prenant exemple sur l'action menée par le collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », qui travaille majoritairement à Toulouse contre ce qu'il appelle le « harcèlement administratif » en pointant du doigt certaines pratiques des services sociaux. En 2009, ce sont trois associations toulousaines soutenues par l'ACSé, La Case de santé, le Centre d'initiatives et de ressources régionales autour du vieillissement des populations immigrées (CIRRVI) et le Tactikollectif, qui ont fait émerger ce mouvement, étendu depuis à d'autres villes.

La convention interministérielle conclue entre le ministère de la ville et celui des affaires sociales comme les décisions du conseil interministériel des villes du 19 février dernier confirment l'engagement de l'ensemble du Gouvernement dans la lutte contre les discriminations, dont j'ai chargé l'ACSé de la mise en application.

Les derniers obstacles à l'accès aux droits sont ceux qui relèvent d'une insuffisante information d'une partie des usagers immigrés pour faire valoir leurs droits. Je demanderai à l'ACSé d'engager des actions spécifiques en faveur des immigrés retraités sur cette question, dès que les conclusions de votre mission d'information seront rendues publiques.

Je continuerai à soutenir l'ensemble des associations qui oeuvrent en matière d'accès au droit – le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l'Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), la Ligue des droits de l'homme (LDH), le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), ou encore le Comité médical pour les exilés (COMEDE) – soutenues de nouveau par l'ACSé, après avoir subi une forte baisse de leurs crédits ces dernières années.

En outre, ma volonté est de sanctuariser en 2014 et 2015 les crédits destinés aux associations de proximité, acteurs indispensables du lien social dans les quartiers populaires. La reconnaissance de leur rôle serait ainsi appréciée à sa juste valeur par le monde associatif dans le contexte actuel. Je souhaite l'appui du Parlement en la matière.

Avant de conclure, je dirai quelques mots sur les foyers de travailleurs migrants (FTM), qui ont fait l'objet de discussions au sein de la Mission.

Les foyers de travailleurs migrants font l'objet, depuis 1997, d'un plan national de traitement visant à les transformer en résidences sociales respectant les normes actuelles de logement. Tous les FTM ont vocation à devenir, à terme, des résidences sociales et à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes, notamment grâce à l'aménagement de sanitaires adaptés et de rampes d'accès, mais aussi à permettre l'intervention de tous les services de droit commun, tels les services infirmiers à domicile.

Les travaux du plan de traitement relèvent soit de la réhabilitation lourde, soit de la démolition-reconstruction. La délimitation des aides de l'État et de l'ANRU est la même que pour les logements sociaux classiques : l'ANRU subventionne les travaux dans les quartiers faisant l'objet d'une convention ANRU ; l'État le fait partout ailleurs. Cependant, quand l'ANRU ne dispose pas des crédits suffisants, notamment pour les projets de rénovation urbaine (PRU) contractualisés tardivement, les aides à la pierre de droit commun peuvent être mobilisées.

Je suis évidemment favorable à l'accélération du plan de traitement des foyers, afin d'améliorer les conditions de vie des immigrés âgés.

Enfin, tous les futurs projets de rénovation urbaine, lorsqu'ils comporteront des foyers, prendront en compte de manière prioritaire la réhabilitation de ces derniers, dans le cadre d'une approche globale liant urbain et social, articulation qui sera à la base des futurs contrats de ville, objet de la réforme de la politique de la ville en cours.

Je vous remercie.

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