Depuis le 1er janvier 2012, toutes les compagnies aériennes qui atterrissent ou décollent depuis l'Union européenne – pour des vols intra ou extracommunautaires - auraient dû acheter des quotas d'émission de CO2, pour compenser leurs émissions, sous peine de devoir acquitter une sanction de 100 euros par tonne de CO2 émise en dépassement des quotas alloués.
La mise en oeuvre de cette législation, adoptée en 2008, est à l'origine d'une crise diplomatique majeure. Des pays tels que les États-Unis, l'Inde, la Chine, la Russie ou le Brésil, ont pris, ou menacé de prendre, des mesures de rétorsions contre des compagnies aériennes communautaires - par exemple en limitant le survol de certaines zones - voir ont interdit par la loi à leurs compagnies de respecter la législation européenne.
Cette situation inédite, de très grande tension, a conduit l'Union européenne à suspendre une législation dont l'application à l'aviation civile m'apparaît à la fois inopportune et inefficace pour atteindre un objectif que nul ne conteste : lutter contre le réchauffement climatique. Dans le domaine des vols intercontinentaux, il n'existe pas en effet d'alternative à l'avion, qui pourrait être encouragée par le système de marché de quotas.
Il est incontestable que l'extension à l'aviation civile du système communautaire d'échanges d'émission (ETS) s'avère particulièrement problématique pour des raisons juridiques de principe - l'application à des pays tiers d'une législation communautaire - mais également de cohérence avec la Convention de Chicago qui a fondé l'OACI (Organisation de l'aviation civile internationale).
Il convient également de relever que si le système des « quotas carbone » est issu des accords de Kyoto, ces derniers prévoyaient expressément l'exclusion des transports internationaux du système mis en place. Les émissions de gaz à effet de serre des transports maritimes et aériens devaient être limitées par des mécanismes relevant des organisations internationales compétentes, OMI et OACI.
Il est donc difficile pour l'Union européenne de s'appuyer sur le protocole de Kyoto pour essayer de justifier la mise en place unilatérale d'un système visant à limiter les émissions de CO2, s'affranchissant des cadres de l'OACI et l'OMI.
Pour éteindre l'incendie diplomatique ainsi allumé l'Union européenne a suspendu pour un an l'application à l'aviation civile du système des quotas carbone, mais uniquement pour les vols internationaux en s'appuyant sur la perspective d'aboutissement des travaux en cours à l'OACI, sur la limitation des émissions de CO2, devant aboutir lors de l'Assemblée générale de septembre 2013.
Le système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE), établi par la directive du 13 octobre 2003, repose sur un mécanisme de droits d'émissions de CO2 mis en oeuvre au sein de l'Union européenne dans le cadre de la ratification par l'Union européenne du protocole de Kyoto. Ces sujets, et les négociations internationales qui y sont liées, ont fait l'objet de plusieurs rapports d'information de nos collègues Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert.
À partir de 2012, le SCEQE s'applique aux émissions de CO2 de l'aviation civile en application de la directive 2008101CE du 19 novembre 2008.
La proposition initiale de la Commission qui consistait à couvrir les vols intra-européens dans un premier temps, a été étendue aux vols internationaux, sous la pression du Parlement Européen, à compter du 1er janvier 2012.
Il était ainsi prévu que les compagnies aériennes, quelles que soient leur nationalité, doivent obtenir des quotas pour couvrir les émissions produites par leurs avions desservant des aéroports européens. Les quotas doivent être alloués pour l'année 2012, à hauteur de 97 % des émissions historiques du secteur de l'aviation, et pour l'année 2013, à hauteur de 95 %.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2012, toutes les compagnies aériennes qui atterrissent ou décollent dans, ou de, l'Union auraient dû acheter des quotas d'émission de CO2 pour compenser leurs émissions, sous peine d'une sanction de 100 euros par tonne de CO2 émise en dépassement des quotas alloués, ce en application de la directive 2008101CE. En cas d'infraction persistante, la Commission européenne peut en dernier ressort interdire de vol certaines compagnies au départ et à la sortie de l'Union.
La difficulté majeure générée par cette législation est lié au fait qu'elle a été mise en place par l'Union européenne de manière isolée, sans concertation avec ses partenaires, suscitant ainsi beaucoup d'incompréhensions, en particulier des États-Unis, où la Chambre des représentants a adopté, le 24 octobre 2011, un projet de loi interdisant aux compagnies aériennes américaines de participer au SCEQE.
Depuis l'origine les États tiers n'ont cessé de contester l'approche de l'Union européenne. Une déclaration a été signée par 26 pays réunis début octobre 2011 à New Delhi par laquelle ils expriment leur opposition à l'ETS européen.
Cette déclaration a ensuite été adoptée par le conseil de l'OACI en novembre 2011. De nombreux États envisagent aussi l'utilisation de l'article 84 de la convention de Chicago, concernant le règlement des différends.
La Chine et l'Inde ont interdit à leurs compagnies ressortissantes de se conformer à la directive européenne - en février et mars 2012. Le Président Obama a signé le 27 novembre une loi permettant au Secrétaire aux transports de protéger les compagnies américaines de l'application de l'ETS européen.
Aussi des négociations se sont-elles engagées dans le cadre de l'OACI pour trouver une solution ; avec une difficulté, le fait que l'Union européenne ne soit pas membre de l'OACI. L'OACI s'est engagée à présenter une approche globale pour le secteur de l'aviation pour sa 38e Assemblée à l'automne 2013.
Un groupe de travail d'experts se réunit depuis février 2012 pour élaborer cette proposition, et un groupe de haut niveau, représentant 17 États membres, a été constitué début novembre 2012 pour traiter des sujets politiques.
Cette situation m'a amenée à rencontrer les plus hautes autorités de l'OACI ainsi que la délégation américaine qui s'est montré relativement ouverte à une solution équivalente aux souhaits des Européens, mais élaborée dans le cadre de l'OACI et axée sur la promotion des carburants plus propres.
La contestation a également été portée devant les juridictions européennes : en effet, plusieurs compagnies et associations de compagnies aériennes américaines et canadiennes ont contesté la conformité par rapport au droit international de l'application du SCEQE aux compagnies aériennes de pays tiers. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a ainsi dû se prononcer sur la conformité de la directive à la Convention de Chicago du 7 septembre 1944, relative à l'aviation civile internationale, et à la position de l'Organisation internationale de l'aviation civile sur les rejets polluants. La Cour a conclu, le 21 décembre 2011, à l'absence de violation du droit international coutumier : « ni le principe de territorialité, ni celui de souveraineté des États tiers ne sont méconnus pas la directive dès lors que le système ETS n'est applicable que lorsque les aéronefs sont présents physiquement sur le territoire de l'Union et ainsi soumis à la pleine juridiction de l'Union. »
Concernant le respect de la Convention de Chicago de 1947 sur le transport aérien, qui exempte le kérosène utilisé par l'aviation de taxes, la Cour estime que celui-ci a été respecté car « il n'existe pas (…) de lien direct et indissociable entre la quantité de carburant détenue ou consommée par un avion et la charge pécuniaire incombant à l'exploitant d'un tel avion dans le cadre du fonctionnement du système d'échange de quotas ». Cette analyse peut être discutée dans la mesure où il existe un lien étroit entre la consommation d'un moteur et les émissions de CO2.
En conclusion, nul ne peut sérieusement contester l'objectif de réduction des gaz à effet de serre. La contribution de l'aviation aux émissions de CO2 est actuellement de moins de 3 %, mais elle progresse en raison de la croissance du transport aérien.
Avant plusieurs décennies, l'aviation n'aura pas d'alternatives aux hydrocarbures liquides. En matière aéronautique, les sources d'énergies de forte densité (forte puissance, faible masse du système propulsif et du carburant) sont à privilégier pour garantir la plus grande efficacité énergétique. Les alternatives aux hydrocarbures envisagées dans les transports terrestres, comme les batteries ou la pile à combustible, présentent toutes des densités très inférieures.
Dans l'état actuel des technologies, leur application au transport aérien se ferait au détriment de l'efficacité énergétique : il n'est donc pas envisagé d'alternative aux hydrocarbures avant 2050.
Néanmoins il existe des pistes intéressantes d'amélioration des carburants aéronautiques. Le remplacement progressif des carburants fossiles par des carburants renouvelables et durables, à faible empreinte carbone, est donc une priorité pour l'aviation.
La Commission européenne a défini une feuille de route ayant pour objectif la production de 2 millions de tonnes de biocarburant aéronautique à l'horizon 2020. Cela représenterait 3 % à 4 % de la consommation européenne de carburant aéronautique. Transposé à la France, cet objectif reviendrait à produire environ 200 000 tonnes de biocarburant aéronautique soit moins de 10 % de la production de biocarburants destinés aux transports terrestres.
Nous n'avons, me semble-t-il, que trois voies possibles pour réduire les émissions de CO2 de l'aviation.
La limitation du transport aérien : en encourageant le développement des compagnies low cost l'Union européenne ne va pas dans cette voie, et tarde à instruire les plaintes pour concurrence déloyale de certaines compagnies irlandaises.
Le renouvellement plus rapide d'avions, moins consommateurs en carburant et moins bruyants. C'est sans doute la meilleure voie mais cela implique que les compagnies aériennes retrouvent une santé financière, compromise par la politique évoquée au point précédent.
Encourager l'utilisation de combustibles moins polluants, les États-Unis se sont engagés dans cette voie qui est sans doute la plus rapide à mettre en oeuvre.