Vous voyez, Monsieur le Président de la République, l'intérêt que les députés de la Commission attachent à votre action dans la région.
Son Excellence M. Blaise Compaoré. Je vous remercie de votre intérêt pour la crise au Mali et pour la région. Au sujet des élections au Mali, le problème que nous rencontrons avant tout est l'absence à Bamako d'une autorité légitime capable de penser et de décider pour l'après-transition. Dans le passé, en 1992, on a pu voir que la signature d'accords rencontrait des difficultés d'application. C'est pourquoi nous voulons absolument accroître la confiance au sein de la société malienne en vue de parler de l'avenir. Le gouvernement de transition, quant à lui, doit pouvoir parler avec l'ensemble des acteurs politiques des sujets d'avenir, y compris avec des groupes qui lui sont rivaux, voire hostiles. Un autre problème est qu'un certain nombre de pays, à commencer par les Etats-Unis, disent ne pas soutenir les démarches d'un gouvernement malien issu d'un putsch. Le Président du Mali a, lui, assuré lors de son voyage au Japon que les préparatifs pour les élections ainsi que les listes sont prêts. Après, c'est une question de financement, d'accompagnement et d'observation. Si nous n'avons pas d'élections, nous allons naviguer à vue avec un gouvernement de transition malien incapable de fixer l'avenir.
Au Burkina Faso, nous avons quarante mille réfugiés originaires du Mali. Ils attendent le retour de la stabilité et le déploiement des douze mille hommes prévus de la MINUSMA. Ils veulent voir la fin des hostilités.
Pour résoudre à l'avenir les enjeux du Nord-Mali, il faudra aborder la question de sa marginalisation et de son sous-développement. Tout le défi pour cette région sera le degré de décentralisation et la réalisation d'un développement inclusif.
Le Burkina Faso, situé juste à côté du Mali et partageant avec ce pays 1200 kilomètres de frontières, compte 800 soldats engagés aujourd'hui à Tombouctou. Il compte par ailleurs 1000 hommes engagés au Soudan.
Sur la question des otages français, je n'ai pas eu d'indications permettant de savoir s'ils sont vivants ou morts. Ceci dit, le Sahel est un endroit où il y a peu de secrets ; on le saurait, s'ils étaient décédés… Cette région est très vaste : nous avons l'habitude de dire que l'Azawad s'étend jusqu'à la Méditerranée car il contient des Touaregs ainsi que des Arabes. En tout état de cause, nous sommes engagés dans les recherches.
L'Algérie, la Libye, la Tunisie ou encore l'Egypte sont des espaces naturels pour ces populations. Lorsque j'ai reçu des représentants d'Ansar Dine, deux d'entre eux m'ont dit qu'ils étaient à moitié burkinabés lorsqu'ils se sont présentés.
Ce qui s'est passé au Mali a montré que les armées africaines avaient encore beaucoup de retard. Toutefois, ce n'est pas l'armée qui compte le plus en matière de sécurité, mais l'état du tissu social. Nous devons d'abord consolider les nations. Je rappelle que certains Touaregs qui se battent contre l'armée en faisaient partie auparavant. C'est le délitement de la société malienne, surtout dans le Nord, qui a permis des infiltrations, avec un laxisme qui a empêché de prendre les mesures nécessaires il y a une dizaine d'années, lorsqu'il n'y avait encore que peu d'éléments islamistes algériens dans la zone.
Nous travaillons à la création de capacités d'intervention rapide au plan régional – 1 500 ou 2 000 hommes projetables rapidement pour aider les Etats en difficulté –, mais ce sont avant tout des sociétés ouvertes et démocratiques que nous devons bâtir. Les crises en Afrique résultent soit d'élections ratées, soit de transitions manquées, soit d'une marginalisation de certaines ethnies ou de certaines zones. Tant qu'il y aura de telles fragilités, il n'y aura pas d'armée qui vaille, sauf des armées ethniques qui ne jouent pas en faveur de la stabilité et de la paix. Le rôle de la France est bien sûr de nous aider dans ce cadre. Même avec une force d'interposition, nous manquerons toujours de capacités de renseignement. Or, elles sont importantes pour la sécurité de la région.
Nous avons une histoire assez partagée avec la Côte d'Ivoire. De 1932 et 1947, le Burkina n'existait pas : une grande partie du territoire, allant de la capitale, et même au-delà, jusqu'à la Côte d'Ivoire, s'appelait alors la « Haute Côte d'Ivoire » et appartenait à la colonie du même nom. Ce territoire comptait 2,4 millions de personnes, dont une partie a été déplacée pour construire des plantations, des chemins de fer et des ports. Le Burkina et la Côte d'Ivoire sont naturellement appelés à vivre ensemble. Dès 2009, nous avons signé un accord d'amitié et de coopération. Un conseil des ministres conjoint devrait se réunir à la fin du mois de juillet pour la troisième fois. Nous travaillons ensemble au renforcement de la coopération et des liens humains.
Le Burkina est le pays africain avec lequel la France a tissé la coopération décentralisée la plus avancée. Il y a plus d'une centaine de jumelages et de coopérations, ce qui nous apporte beaucoup. La France a une longue expérience de la gestion locale, et la coopération décentralisée est une stimulation pour la coopération d'Etat à Etat, en parallèle.
Nous essayons d'avoir une croissance de qualité, inclusive, faisant participer autant que possible la population à la production économique. Un pays ne peut pas être organisé comme la Croix-Rouge. Nous devons faire participer la population au maximum et nous mettons l'accent sur l'agriculture, car 80 % de la population appartiennent au monde rural. Notre croissance est d'ailleurs exemplaire dans les différentes filières agricoles : cette année encore, le Burkina est le premier producteur de coton en Afrique, nous avons un excédent d'au moins cinq millions de tonnes pour les céréales, nous produisons beaucoup de fruits et de légumes, et nous faisons beaucoup d'élevage.
Pour renforcer la capacité des Burkinabés à participer à la croissance, nous mettons l'accent sur la sécurité humaine. C'est la seule manière de partager vraiment les richesses du pays. Alors que le taux de scolarisation était de moins de 10 % il y a vingt ans, il dépasse 80 % aujourd'hui, et nous atteindrons un taux de 100 % en 2015. J'ajoute que le taux est presque identique pour les filles et les garçons jusqu'au collège. Nous avons aussi fait des efforts en matière de santé.
Pour ce qui est de la francophonie, nous sommes bien sûr présents et nous pensons que la France doit accompagner l'Afrique : c'est l'espace du futur pour la francophonie. Nous sommes un réservoir de potentialités, d'énergie et de disponibilité dont il faut tenir compte. (Applaudissements).