Intervention de Gilles Pinson

Réunion du 12 juin 2013 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Gilles Pinson :

Nous verrons ! (Sourires)

La première partie de mon exposé tentera de répondre à cette question : de quoi la métropole est-elle le nom ?

Quatre éléments permettent de définir ce que l'on entend aujourd'hui, dans les sciences sociales, par « métropolisation ».

En premier lieu, on entend par là un ensemble de formes et de processus de transformation spatiale. Bien évidemment, les métropoles d'aujourd'hui ne sont pas les métropoles d'hier. Elles ont en commun un rayonnement et un poids démographique. Mais alors que les métropoles d'antan étaient denses, continues, monocentriques, pleines et distinctes de leur contour rural, les métropoles actuelles renvoient à des espaces dilatés, discontinus, polycentriques, pleins de vides et diffus.

La métropolisation est un processus à la fois d'homogénéisation et de différenciation : d'une part, une urbanisation générale du territoire, avec un effacement de la distinction séculaire entre l'urbain et le rural ; d'autre part, des logiques fortes de différenciation – d'étirement, notamment – des hiérarchies urbaines.

Les métropoles sont enfin caractérisées par la multiplication des mobilités et, surtout, par leur éclatement.

En second lieu, la métropolisation correspond à des dynamiques économiques. Elle a largement partie liée à la mondialisation. Le redéploiement de l'appareil productif, notamment industriel, à l'échelle mondiale, a induit parallèlement la concentration des fonctions de commandement dans une poignée de très grandes villes, notamment les villes monde – voire de villes plus secondaires dans la hiérarchie urbaine.

La métropolisation est aussi le produit d'une transformation de la logistique des firmes. Vous avez sans doute entendu parler du « just in time », des flux tendus, qui conduisent les entreprises à regrouper leurs pôles logistiques dans les plus grandes villes vers lesquelles se concentrent des réseaux d'approvisionnement. Le développement de ces pôles logistiques amène de l'emploi, de la consommation et, par un effet boule de neige, le renforcement de certains pôles urbains et l'affaiblissement d'autres pôles.

La métropolisation est également liée à des transformations de l'organisation des firmes, notamment à des phénomènes d'externalisation et de désintégration. Les entreprises se débarrassent d'un certain nombre de services qu'elles ont besoin, de ce fait, de retrouver dans leur environnement territorial. Cela induit la concentration des activités dans les territoires qui leur offrent cette diversité de services.

La métropolisation est aussi un mystère : les capacités à communiquer à distance ne cessent de croître, et pourtant, les hommes ont tendance à se concentrer sur un certain nombre de points du territoire. Cela s'explique en partie par le paradigme relationnel de la « nouvelle économie » : aujourd'hui, les performances, la productivité sont liées à la possibilité d'entrer en contact direct, d'accéder rapidement à l'information pour être à la pointe de l'innovation, à la pointe de l'information sur les marchés – ce qui renforce, là encore, un certain nombre de pôles urbains en nombre limité.

En troisième lieu, la métropolisation renvoie à des configurations sociales. Les métropoles sont à la fois des espaces d'opportunité, en termes d'emploi, et des espaces d'exacerbation des inégalités. Mieux vaut être pauvre à Paris qu'à Auxerre ou à Brive, puisque les possibilités de trouver un emploi sont plus nombreuses dans la capitale. En même temps, on y est confronté à des logiques d'emballement des marchés immobiliers qui rendent l'accès au logement plus compliqué. Tout cela concourt à l'accroissement des distances socio-spatiales et des logiques d'entre soi qui se développent entre les groupes sociaux. Pour ne pas trop ternir le tableau, remarquons que les métropoles sont des lieux où la tolérance vis-à-vis de la diversité et des inégalités est plus grande.

Mais, et c'est notre quatrième point, la métropolisation n'est pas, à l'instar de la mondialisation, une opération du Saint-Esprit, pas plus que le débouché naturel de processus inéluctables. C'est aussi le produit de choix. Ainsi peut-on assimiler la métropolisation actuelle à un certain nombre de choix opérés à l'échelle nationale, européenne et internationale en termes de libéralisation.

Nous serions passés, d'une certaine manière, de la métropolisation colbertiste, au cours des Trente glorieuses – l'État keynésien développe un discours et des politiques en direction des métropoles, pendant que l'État providence favorise le développement des réseaux urbains – à une métropolisation d'une toute autre nature. Aujourd'hui, les politiques de métropolisation sont conçues par les décideurs comme des moyens de réduire les déficits, ou comme des substituts à la planification et aux politiques industrielles. Comme on ne sait plus orchestrer le développement économique par des politiques publiques, on concentre les activités en pensant que cela permettra de renforcer la compétitivité et l'emploi ; d'où la multiplication de dispositifs récents, qui se sont traduits par la concentration des investissements de l'État et des collectivités dans une poignée de pôles comme le plan Campus, les pôles de compétitivité ou le Grand Emprunt.

Le tableau qui vous est présenté retrace l'évolution de la dispersion du revenu moyen des foyers fiscaux par commune entre 1984 et 2004 pour les quinze plus grandes métropoles françaises (indice de Gini). Vous pouvez constater que les métropoles où les inégalités sont les plus grandes et où elles ont augmenté sans doute le plus rapidement sont Paris, Lyon, Marseille, mais aussi, ce qui est plus étonnant, Rouen ou Grenoble. D'autres réussissent économiquement tout en maintenant des taux d'inégalités relativement raisonnables comme Nantes, Strasbourg ou Rennes.

La deuxième partie de mon exposé portera sur la manière dont sont conçues les possibilités de gouverner les métropoles. Schématiquement, il y en a trois.

Tout d'abord, la solution « gouvernement » ou « Gargantua ».

Pour gouverner des ensembles de plus en plus étalés, l'idée est de constituer des gouvernements métropolitains, en lieu et place des unités de base, notamment des communes. Ils sont dotés d'assemblées élues au suffrage universel direct et d'exécutifs auxquels sont transférés un certain de compétences stratégiques, et bénéficient de ressources propres. Cette solution a finalement été très peu expérimentée : dans quelques villes assez isolées comme Portland dans l'Oregon ; à Toronto ; dans des situations où la ville et la région se confondent comme à Madrid ou dans les villes hanséatiques allemandes ; en Angleterre, avec les Metropolitan Counties, qui ont été dissous par Margaret Thatcher.

Ensuite, la solution « marché » ou « public choice » – la solution « Île-de-France ». L'idée est que la fragmentation institutionnelle est une bonne chose, parce qu'elle produit à l'échelle des métropoles un marché concurrentiel de services territoriaux qui permet aux entreprises et aux ménages de choisir. Et si les ménages et les entreprises « votent avec leurs pieds » et s'en vont, c'est un signal, pour les communes qui ont démérité, qu'elles doivent améliorer leur offre de services.

On considère, dans cette approche, que les « Gargantuas », c'est-à-dire les gouvernements métropolitains, engendrent la gabegie, les « déséconomies » d'échelle et un éloignement entre les citoyens et les institutions. Cela a débouché, notamment, sur le sécessionnisme municipal, notamment en Californie, sur la « dé fusion » de la métropole de Montréal qui avait été au préalable un gouvernement métropolitain, et en Angleterre, en 1986, sur l'abolition des Metropolitan Counties par Margaret Thatcher.

Enfin, la solution française, la solution « gouvernance », entre « marché » et « tout gouvernement ». On reconnaît, dans cette approche, la nécessité de changer d'échelle, de coordonner les politiques publiques, tout en se méfiant des formes trop institutionnalisées, qui peuvent générer des blocages et des rigidités politiques et qui, surtout, institutionnalisent des frontières empêchant la coopération de se développer au-delà des structures intercommunales. Ce système favorise des formes souples de coopération et de coordination. Il présente l'avantage d'une gestion souple des problèmes publics, mais l'inconvénient d'une opacité démocratique absolument totale.

Je me suis demandé où l'on pouvait situer la réforme actuelle des métropoles.

D'une certaine manière, cette réforme prolonge la tradition « gouvernance » de la coopération intercommunale à la française avec ses avantages et ses inconvénients : elle préserve les intérêts municipaux comme la solution intercommunale ; elle définit des périmètres au gré des affinités et des opportunités politiques ; elle préserve le déficit démocratique, qui est souvent jugé fonctionnel par les élus ; elle garantit une certaine souplesse en termes de compétences, de coordination et de négociation.

En même temps, elle tire vers la solution « Gargantua » : le risque est qu'en créant ces métropoles, on rigidifie ces échelles de coopération – comme à Lyon – et qu'on oublie ce qui se passe au-delà ; mais surtout, la réforme codifie sans doute excessivement un certain nombre de mécanismes de coordination qui n'avaient pas besoin d'être présents dans la loi – par exemple, les conférences métropolitaines ou les conférences territoriales des maires.

J'en viens à la troisième partie de mon exposé, intitulée « métropolisation et gouvernance métropolitaine à Lyon » et illustrée par plusieurs cartes et schémas.

Tout d'abord, Lyon a un statut indiscutable de « second city » à l'échelle nationale – j'ai pris comme indicateur le nombre des emplois métropolitains supérieurs – derrière Paris, et joue un second rôle à l'échelle européenne. Pour autant, dans la métropole multipolaire formée de Lyon et Saint-Étienne, la primauté lyonnaise n'est pas discutée. Vous pouvez observer, sur l'une de ces cartes, que les aires urbaines de Lyon et Saint-Étienne se touchent quasiment.

Ensuite, la gouvernance du Grand Lyon pourrait être qualifiée de « colbertisme à l'échelle urbaine ». La communauté urbaine fonctionne un peu à l'image de l'État français : État fort, prépondérance du couple exécutiftechnostructure » et marginalisation assez nette des commissions et des « petits » élus.

Le Grand Lyon joue un rôle pilote dans un certain nombre de politiques : planification, logement, rénovation urbaine, internationalisation, recherche et enseignement supérieur, prospective, redistribution fiscale. À ce propos, il a su utiliser le passage à la taxe professionnelle unique comme un outil de redistribution entre communes riches et communes pauvres, ce dont la région Île-de-France pourrait s'inspirer.

Le système a malgré tout ses limites : une focalisation sur les grands équipements de prestige au détriment des services aux populations – que l'on peut sans doute attribuer à la montée en puissance de la structure intercommunale ; une logique implacable d'institutionnalisation. Le Grand Lyon prend un nombre sans cesse plus important de compétences, au risque de marginaliser la société civile et ses expressions. Je pense plus particulièrement aux politiques de développement économique qui, jusqu'à récemment, faisaient l'objet d'une coopération forte entre la Chambre de commerce de Lyon et le Grand Lyon et qui, aujourd'hui, sont de plus en plus monopolisées par un acteur fort et prédominant, qui est l'administration du Grand Lyon.

Enfin, il est intéressant de noter qu'au-delà du Grand Lyon, se sont mises en place plusieurs coopérations à l'échelle métropolitaine associant, notamment, Saint-Étienne : l'association Région Urbaine de Lyon qui, depuis 1989, mène des études, essaie de porter des projets en matière de transports, de tourisme et de promotion à l'étranger ; le G4, association de quatre agglomérations : Grand Lyon, Saint-Étienne métropole, la Communauté d'agglomération des portes d'Isère et la Communauté d'agglomération de Vienne, qui ont formé le pôle métropolitain en 2012. On se demande d'ailleurs ce que le pôle métropolitain deviendra, avec la réforme des métropoles.

J'en viens à ma conclusion.

Sans doute êtes-vous au courant que la métropole de Lyon va être créée par la fusion du Grand Lyon et du département du Rhône sur le périmètre de ce dernier. À Lyon, on y voit un véritable coup d'État métropolitain – puisque les élus l'ont appris par la presse – validé par la loi. C'est une réforme qui ne règle pas le déficit démocratique métropolitain : pas d'élection directe des conseils métropolitains, même si on essaie de faire passer le fléchage comme tel ; reconduction du présidentialisme métropolitain ; pas de séparation de l'exécutif. D'une certaine manière, on reconduit tous les défauts de la coopération intercommunale à la française.

On peut par ailleurs se demander ce que deviendront les coopérations avec Saint-Étienne. La ligne de TER Lyon-Saint-Étienne est la plus empruntée de France après les lignes franciliennes. Ne risque-t-on pas une cristallisation des frontières de la métropole sur une partie du périmètre du département du Rhône, et un abandon des coopérations métropolitaines au-delà de ce périmètre ?

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