Intervention de Frédéric Gilli

Réunion du 12 juin 2013 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Frédéric Gilli :

Et les habitants ne s'y trompent pas. En fin de compte, les habitants se demandent s'ils ont collectivement les moyens de peser sur leur avenir. À moins que tout ne soit déjà écrit et qu'on n'ait plus qu'à mettre la clé sous la porte ? Je n'ai pas besoin de vous rappeler la baisse des taux de participation aux élections successives…

Je pense malgré tout qu'il est possible de mieux gouverner la région parisienne. Celle-ci a évolué, le territoire est en mutation, ce qui pose une question institutionnelle. Après avoir évoqué ces deux points, j'aborderai la question des enjeux et des pistes.

Le territoire de la région parisienne est en mutation. Reste à savoir de quel territoire on parle.

Si l'on se rapporte à la courbe qui retrace l'évolution de la population sur les 200 dernières années, on s'aperçoit que le territoire qui comptait 1,5 million d'habitants en 1800 en compte 12 millions aujourd'hui et en comptera 13 d'ici à 2040, avec une courbe d'accélération et de croissance de la population qui devrait se maintenir. On s'aperçoit également que dans les cinquante dernières années, le territoire est passé d'à peu près 5 ou 6 millions d'habitants, Paris intra-muros représentant la moitié du poids démographique régional, à un territoire de 12 millions d'habitants, dans lequel Paris ne représente plus qu'un cinquième à un quart du poids démographique régional.

Si l'on m'interroge, à l'international, sur ce qu'est la région parisienne, je réponds qu'on y trouve : le premier aéroport d'Europe continentale ; deux des plus grandes destinations touristiques de la planète avec le château de Versailles et Eurodisney ; le plus grand centre d'affaires concentré d'Europe continentale avec La Défense ; la plus grande concentration de chercheurs de la planète, avec le plateau de Saclay et sa périphérie ; 5 millions d'emplois et 8 millions d'habitants… plus Paris. Aujourd'hui, sans Paris, la région parisienne est déjà plus puissante, en termes de PIB, d'équipements et de création de valeur que Chicago ou des villes équivalentes. C'est vous dire l'inversion, dans certains domaines, du rapport de forces intervenant dans le fonctionnement quotidien de la région parisienne.

Mais à quelle échelle travaille-t-on ?

Les taches qui apparaissent sur cette carte de France correspondent aux zones d'emploi dans lesquelles on observe une sur représentation des groupes nationaux ou internationaux dans l'emploi local. Même si ce n'est jamais explicité, on observe à l'échelle nationale ce que l'on observe autour de toutes les grandes métropoles comme New York, Chicago, Rio, Shanghai, Tokyo : une zone de 250 ou 300 km de rayon autour du coeur métropolitain (Murmures), qui est un peu la région économique, l'espace où se pense l'organisation économique. Ainsi, aujourd'hui, en Thiérache, en Basse-Normandie, certaines personnes travaillent au quotidien avec des centres de marketing, des services juridiques ou des services de recherche qui sont dans la région parisienne.

La région économique de Paris représente huit régions : c'est le Bassin parisien avec, derrière lui, au-delà même de l'Île-de-France, un espace dans lequel tout fonctionne de manière quasi quotidienne. C'est un territoire de 13 ou 14 millions d'habitants, qui englobe une grosse partie de l'Oise, qui touche une partie de la Champagne-Ardenne, de la région Centre et de la Haute-Normandie. Et avec l'effet TGV, des villes comme Reims, Vendôme, sont de plus en plus pleinement intégrées dans les mouvements pendulaires – on sait que les TGV arrivent à l'heure, ce qui n'est pas le cas pour les RER…

La densification de la banlieue parisienne s'est matérialisée par le fait qu'il n'y a plus de nappe unique. La région parisienne s'organise de manière quotidienne autour de grands pôles économiques, qui n'existent pas de manière institutionnelle parce que le processus intercommunal est encore très fragmenté en Île-de-France : autour de la Défense, de Roissy, de Viry-Châtillon, de Saclay, etc.

Ces territoires économiques très puissants polarisent les habitants. Quand on regarde comment fonctionnent les migrations alternantes, on observe un phénomène assez intéressant : les distances moyennes parcourues par les Franciliens augmentent – ils sont de plus en plus nombreux à faire les traversées métropolitaines – alors qu'en même temps les distances médianes – celles parcourues par la majorité de la population, celle qui bouge le moins – diminuent. En effet, l'augmentation de la densité en emplois dans la banlieue amène de la relocalisation et de la repolarisation.

Ces évolutions posent une question institutionnelle.

En 2000, plutôt qu'une région, il y avait, de fait, quatre régions, l'Oise étant immédiatement concernée par les mouvements pendulaires, avec huit départements plus dix départements limitrophes. À cette époque, subsistait un clivage très puissant entre Paris et sa banlieue. Le Gross Paris, hérité de la Kommandantur, était encore très présent dans le discours public et toute position un peu intégratrice provoquait des levées de bouclier. De ce fait, les intercommunalités concernaient à peine 10 % des 1 200 communes.

Paris est-il comparable à la France ? Non, car c'est une grande ville mondiale. Il se joue, sur ces territoires de 10, 12, 13 millions d'habitants, des processus et des mécanismes qui n'existent pas dans les autres territoires. En effet, les départements des Hauts-de-Seine ou de la Seine-Saint-Denis, par exemple, concentrent des masses humaines aussi importantes que les villes métropoles les plus importantes de France. Plaine Commune, une petite intercommunalité de la région parisienne, qui regroupe seulement huit communes, compte plus de 400 000 habitants. Ces processus font que ce qui se passe à l'intérieur de la région parisienne est incomparable, en termes de logique, avec ce qui se passe à l'intérieur du territoire. Et pourtant, ce qui se passe dans la région parisienne est incomparable de ce qui se passe à Londres ou à New York parce que l'on est dans un système institutionnel, culturel, politique, français.

La région parisienne est-elle comparable à ses voisines ? Je vous invite à regarder ce schéma, qui reproduit, pour chaque région française, le taux des communes appartenant à des intercommunalités. En 1999, ce taux n'était que de 10 % et il est aujourd'hui d'à peine 60 % alors que la couverture est quasiment terminée dans toutes les autres régions. En outre, comme vous pouvez le voir avec ces deux camemberts : en région, 5 % seulement des intercommunalités sont composés de deux communes, la majorité dépassant les 10 communes ; en Île-de-France, 20 % seulement des intercommunalités dépassent les 10 communes, la majorité étant composée de moins de 5 communes.

On observe donc une fragmentation en région parisienne. Cela dit, on observe également une montée en puissance des intercommunalités et des recompositions sont en cours. La Conférence métropolitaine organise, depuis 2006, un dialogue entre Paris et sa banlieue, inexistant auparavant. Bon an mal an, la région a réussi à remettre son SDRIF – Schéma directeur de la région Île-de-France – en discussion. Et l'État, en intervenant via les contrats de développement territoriaux et le Grand Paris Express, a amené quelques solutions.

Je terminerai sur les enjeux et les pistes.

Il faut d'abord être conscient que tout ne se réglera pas, dans la région, de manière institutionnelle. La résolution des problèmes de logement, par exemple, ne passera pas nécessairement par la création d'une autorité du logement ou par un PLH – Programme local de l'habitat – intégré. Ces problèmes demandent une intervention plus précise et plus poussée, peut-être une loi sur le logement, qui aurait un volet francilien.

Il faut ensuite déterminer l'échelle à laquelle on fonctionne : une région intégrée, une communauté urbaine ou un conseil métropolitain ? Pour cela, nous devons répondre à trois questions – une question opérationnelle, une question de solidarité et une question démocratique.

Premièrement, une question opérationnelle. Elle consiste à se demander qui fait la ville dans la région : les maires, des communautés urbaines renforcées, une communauté urbaine plus large encore, éventuellement à l'échelle de la région ?

Ma conviction est que les maires n'ont pas aujourd'hui suffisamment de pouvoirs, face à tout ce qui se passe autour d'eux dans la région parisienne pour s'occuper, notamment, d'urbanisme. Faut-il confier l'urbanisme opérationnel à un directeur des services de l'urbanisme ?

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