Intervention de Philippe Langevin

Réunion du 12 juin 2013 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Philippe Langevin :

Je parle au nom du Midi. Après vous avoir dit quelques mots sur la métropolisation, je vous expliquerai en quoi notre situation est catastrophique. (Sourires)

Dans la société où nous vivons, l'étalement urbain, les déplacements quotidiens, les séparations entre lieux de vie, de travail, d'emploi font qu'il n'y a plus de ville, plus de campagne, mais des territoires nouveaux, avec une péri-urbanisation mal contrôlée. Hors de la distinction traditionnelle entre l'urbain et le rural, ces territoires ne sont ni urbains, ni ruraux : ce sont des territoires du n'importe quoi ! (Sourires) Ils sont difficiles à saisir parce qu'ils n'ont ni limites précises, ni vocation particulière. Pourtant, ils sont créateurs d'emplois, d'activités et de jeunesse.

Ce mouvement concerne la totalité des territoires, et pas uniquement les territoires métropolitains. Il concerne les petits territoires, les petites communes qui débordent de leurs limites historiques traditionnelles. S'installent à la périphérie des lotissements de plus en plus nombreux, de moins en moins jolis, des zones d'activités de moins en moins maîtrisées.

La situation est quelque peu contradictoire. D'un côté, on observe une tendance générale à l'étalement des fonctions. Nous passons d'ailleurs la moitié de notre temps dans les transports – généralement individuels parce qu'en matière de transports collectifs, il y a plus de croyants que de pratiquants ! (Sourires) D'un autre côté, on observe un processus également global de concentration des fonctions supérieures – la direction, l'organisation, les services dits supérieurs, les services métropolitains. Une économie supérieure viendrait ainsi compenser l'économie inférieure du monde rural, du monde des paysans fatigués dont nous sommes les héritiers.

Nous sommes à la recherche d'un processus qui permettrait de mettre en place une gouvernance à peu près organisée, structurée, en tout cas possible, et de relier les territoires de la centralité à ceux de la péri urbanisation, dans des ensembles qui se joueraient sur la complémentarité, et non sur la concurrence. Tel est l'objet du débat.

Mais nous nous heurtons à un problème de taille : tout territoire n'a pas une vocation métropolitaine, même si toute communauté d'agglomération qui se respecte se qualifie de « métropole ». La métropole est devenue objet de désir, davantage qu'une réalité économique et sociale.

À partir de quand un territoire peut-il être qualifié de métropolitain ? Sur ce point il n'existe aucune réponse scientifique organisée. Pour l'INSEE, certaines fonctions essentielles permettent au territoire concerné de se considérer comme tel, que ce soit dans le domaine artistique, financier, en informatique et dans la recherche. La connaissance est aujourd'hui le principal facteur de développement, l'économie de la connaissance ayant une vertu particulière que n'ont pas d'autres économies : contrairement à la tarte aux pommes, elle augmente quand on la partage ! (Rires) Or l'idée même de la métropolisation consiste à partager les compétences pour gagner en efficacité. Elle n'est pas d'opposer des roitelets locaux pour être plus concurrentiels. (Sourires)

Selon le projet de loi, la création d'une métropole doit répondre à un critère démographique – 300 000 ou 400 000 habitants. Pourquoi pas ? Mais l'important réside dans les fonctions métropolitaines. Dans quelle mesure un territoire bénéficie de fonctions métropolitaines qui lui permettent de jouer dans les transports, l'université, la santé, les grands équipements, etc. un rôle important, un rôle de polarisation sur les autres territoires ?

Le problème est que les territoires économiques évoluent beaucoup plus vite que les territoires politiques. D'où cette contradiction difficile à gérer : l'espace de légitimité des élus locaux n'a aujourd'hui plus aucune réalité économique. Les communes et même les intercommunalités n'existent pas en matière économique. L'économie se mondialise et les flux vont dans tous les sens.

L'espace de légitimité des communes, que l'on peut comprendre pour des raisons historiques, sociologiques, culturelles, ne correspond plus à un territoire pertinent pour réguler une activité économique. La décentralisation qui a reconnu et qui reconnaît de plus en plus de capacités aux collectivités pour mettre en oeuvre les politiques publiques, définir des mesures d'accompagnement, améliorer l'attractivité, résoudre les problèmes d'emploi, s'exerce sur des territoires qui n'ont pas de sens, qui ne veulent plus rien dire économiquement parlant. Il y a maintenant d'un côté les territoires économiques, de plus en plus élargis, et les territoires politiques restreints, dans la limite démocratique de la légitimité – les communes, les départements ou les régions.

On pourrait laisser aux hommes de l'art le soin de définir les territoires pertinents. Sauf que ces derniers sont à géométrie variable. Les territoires efficaces d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'il y a dix ans. Qu'un équipement, une entreprise, des habitations s'installent, et le territoire s'étale. Inversement, qu'une crise économique éclate, qu'une entreprise ferme, et le territoire se rétrécit. Il n'y a rien de plus mobile que le territoire. Et il n'y a rien de plus immobile que le pouvoir sur le territoire.

En fin de compte, ce qui fait aujourd'hui le territoire, ce n'est pas l'histoire, ni le patrimoine, ni même l'économie : ce sont les déplacements, les mobilités. Le lieu d'emploi, le lieu de vie, le lieu de consommation, le lieu de pouvoir, ne se superposent pas. On n'est jamais au même endroit. Cette difficulté est d'autant plus importante que nous avons de nouveaux défis à relever, qui impacteront directement les territoires : problèmes de transports, problèmes d'environnement, liés notamment aux changements climatiques, montée des inégalités, etc.

Le débat étant lancé, j'en viens, monsieur le président, à la deuxième partie de mon exposé : la création de la Métropole d'Aix-Marseille-Provence, qui est une nécessité absolue.

Dans ce territoire du verbe, mesdames et messieurs les députés, on ne se parle pas, on s'engueule ! Il est bien difficile de parvenir à y tenir un discours cohérent, commun, constructif entre tous les acteurs qui sont chargés de l'animer, que ce soient les élus, les sénateurs, les députés, les maires, les préfets, les chambres de commerce, etc.

Notre position géographique est tout à fait particulière : nous sommes ouverts sur la Méditerranée, nous sommes capitale européenne de la culture en 2013, Marseille est la dernière ville du Sud des pays du Nord et la première ville du Nord des pays du Sud. Objectivement, notre territoire est au centre du monde ! (Rires) Mais ce territoire, fortement dépendant de la mondialisation, est composé d'un certain nombre de villes – Marseille, Aix, Aubagne, La Ciotat – qui ont, chacune, mené de façon concurrente leur développement économique, leurs entreprises, leur propre intercommunalité. Comment voulez-vous que nous fassions le poids par rapport aux grandes villes internationales ?

Depuis vingt ans, pourtant, nous réfléchissons et nous écrivons sur les métropoles. Mais les nombreux ouvrages universitaires n'ont pas rencontré de succès malgré notre volonté d'organiser un système de métropole, sur un territoire où les déplacements sont de plus en plus nombreux. Personne ne nous lit !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion