Intervention de Gilles Pinson

Réunion du 12 juin 2013 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Gilles Pinson :

Je rebondirai tout de suite sur ce que M. Gilli a dit concernant la force de la loi. Il est vrai que la loi peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Il serait dommage qu'en France, on cède encore une fois à cette pulsion institutionnelle, à cette tentation du « jardin à la française » en voulant à tout prix clarifier les compétences et figer les territoires.

Nous sommes confrontés à un changement de paradigme : nous sommes rentrés dans une société mobile, voire « hypermobile ». On peut certes attendre du fameux pic oil la raréfaction des ressources en énergie fossile pour que cette tendance s'inverse, mais je n'y crois pas trop. Je crains en effet que l'on ne trouve encore le moyen d'exploiter d'autres énergies fossiles.

Cette évolution entraîne des problèmes de gestion et de représentation politique.

En matière de gestion, nous sommes confrontés à des problèmes d'action publique, à des échelles et des périmètres qui varient en permanence. Voilà pourquoi parler aujourd'hui de bassin de vie ou de bassin d'emploi n'a plus de sens. Les géographes commencent même à se dire que c'est une vue de l'esprit de parler des bassins hydrographiques – qui fondent cette métaphore du bassin – dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les réseaux souterrains qui font qu'en fait les bassins des fleuves sont en réalité connectés entre eux. L'idée du bassin de vie suppose que l'on pourrait enclore un espace où les déplacements domicile-travail-loisirs seraient saisissables et gérables. Mais ce n'est pas possible. On est donc obligé de « bricoler ».

On peut bricoler avec des lois, qui associent la contrainte et l'intéressement ; de ce point de vue, la loi Chevènement – qui a par ailleurs réglé bien des problèmes – en fut un exemple. On peut bricoler avec des formes de gouvernance des métropoles que je qualifierais d'intergouvernementalistes. La comparaison entre l'Union européenne et les intercommunalités me semble d'ailleurs très adaptée : ces ensembles se gouvernent, souvent à huis clos, dans des cénacles très obscurs, auxquels les citoyens n'ont pas accès.

Certains d'entre vous ont déploré le flou des compétences. Faut-il clarifier celles-ci ? La clause générale de compétence est-elle un obstacle ? Je ne suis pas sûr qu'un système d'action publique, dans lequel il y a des chevauchements de compétence qui obligent les différentes institutions à se parler, à coopérer, à faire travailler leurs techniciens ensemble, soit un problème. Même si cela coûte peut-être plus cher, cela peut permettre, à terme, d'améliorer les décisions.

Donc, on bricole sur des territoires mouvants, qu'il faut bien se garder de figer. Bien sûr, il est légitime de s'interroger sur l'intérêt d'une simplification, surtout en période de disette budgétaire. Mais il ne faut pas avoir une vision simplificatrice de la simplification. Peut-être ne faut-il pas penser la simplification en termes de bornage très strict des compétences de chaque niveau. Peut-être faut-il la penser en termes différenciés.

Je pense que lorsqu'il a poussé à la création de la métropole de Lyon, Gérard Collomb avait en tête le modèle hanséatique adopté par certaines villes allemandes comme Berlin, Brême ou Hambourg : une ville avec un périmètre très large, compétente sur l'essentiel des compétences, certaines régions étant « boutées » en dehors de ce périmètre. Cela prend tout son sens à Lyon, dans le cadre d'un conflit très fort entre la région et la ville-centre, mais c'est peut-être un modèle viable. Peut-être pourrait-il cohabiter avec un autre modèle où le département – qui peut avoir un rôle à jouer, notamment dans les territoires ruraux – serait conservé.

Je n'ai pas de solution à vous proposer mais, globalement, je pense que l'on a intérêt à privilégier ce qui fonctionne. Certains se sont interrogés sur le bon périmètre, sur le bon seuil. Mais, à la limite, cela n'a pas d'importance : il faut voir ce qui fonctionne et quand cela ne fonctionne pas, peut-être faut-il avoir recours à la loi. C'est peut-être ce qu'il faudra faire à Marseille.

Évidemment, tout cela pose des problèmes de représentation politique. Le citoyen ne s'y retrouve plus. Jean Viard a parlé de la « démocratie du sommeil » : en effet, aujourd'hui, notre système représentatif est fondé sur l'idée que l'on vote là où l'on dort et non là où on travaille. Nous sommes toujours englués dans cette vision fixiste, territorialiste, de la représentation politique.

Les agglomérations fonctionnent à huis clos et voient émerger des oligarchies – c'est très clair à Lyon – constituées de grands élus et de grands techniciens qui gouvernent dans le plus grand secret avec l'alliance d'un certain nombre de grands intérêts, notamment immobiliers. J'observe tout de même que de tels phénomènes existaient déjà à l'échelle communale. Gardons-nous donc d'une nostalgie un peu déplacée sur la démocratie communale.

Le citoyen n'est pas le seul en cause. Dans les intercommunalités, de nombreux élus n'y comprennent rien. Plus généralement, ce n'est pas un problème de citoyens, c'est un problème d'évasion institutionnelle, de dérive oligarchique, de formes de gouvernements qui ne sont plus associés à des territoires bien circonscrits.

Cela signifie qu'il faut sans doute inventer de nouvelles formes de contrôle démocratique qui ne passent pas forcément par la fixité d'un territoire, par un régime d'assemblées ou par l'identification à un « leader féodal ». Peut-être faut-il aussi commencer à balayer devant nos portes, à observer le fonctionnement de nos institutions et mettre en place des solutions relativement simples, qui permettraient de mieux contrôler ces phénomènes de gouvernance métropolitaine intergouvernementale. Pourquoi n'a-t-on pas pensé à accompagner les conseils métropolitains d'un conseil, qui serait, à l'échelle métropolitaine, l'équivalent du Bundesrat ? Y seraient représentées les unités de base : les communes, les intérêts organisés, les citoyens, les associations, etc. Cette proposition a été faite, notamment, par un groupe de réflexion et d'action métropolitaine lyonnais.

Finalement, nous devons accepter le bricolage, l'intergouvernemental, le flou, le non figé. Nous devons faire notre deuil d'une démocratie municipale et « cloche-merlesque » bien assise dans ses bornes municipales. Pour autant, il faut rendre cette démocratie métropolitaine gouvernable.

Je répondrai maintenant rapidement aux autres questions.

D'abord, j'ai entendu dire que nous étions en retard par rapport aux autres pays européens. Certes, nous rencontrons des problèmes plus importants parce que nous avions un degré de fragmentation municipale plus élevé. Mais si vous regardez, par exemple, l'Italie ou l'Angleterre, ce retard ne saute pas forcément aux yeux.

Ensuite, s'agissant des territoires ruraux, on n'a pas parlé de la catastrophe qu'a été pour eux la réforme de l'administration territoriale de l'État menée sous la présidence précédente. Cette réforme les a en effet privés du soutien des services déconcentrés de l'État, et notamment de ceux de l'Équipement. Maintenant, faut-il les intégrer dans les métropoles ? Oui, quand c'est possible et que cela a du sens. Je pense, par exemple, qu'il serait utile que la future métropole de Lyon développe des compétences en matière de développement rural et qu'elle ne s'occupe pas stricto sensu de problèmes urbains.

On a peu parlé des régions. Il est vrai qu'elles sont un peu les grandes absentes de la réforme et de nos débats. Je vous renvoie à cette idée de modèle hanséatique. Peut-être faudrait-il, par exemple, priver Rhône-Alpes de la gestion de la métropole de Lyon, mais renforcer ses compétences en matière de politique industrielle. On dit depuis les années soixante que la région sera le grand ordonnateur des politiques de développement économiques, sauf qu'on ne lui en a pas donné les compétences, et qu'elle est entravée en permanence par le jeu des grands corps – notamment le ministère de l'industrie. Il y a donc quelque chose à faire de ce point de vue.

Je terminerai sur la péréquation. Pour ma part, en travaillant sur les logiques de redistribution fiscale à l'échelle des intercommunalités, j'ai constaté que la péréquation entre territoires pauvres et riches vient surtout – et peut-être pas suffisamment – de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. La péréquation se fait parfois, mais à quantité infinitésimale, à l'échelle des agglomérations lorsque celles-ci mettent en place des systèmes de redistribution via les dotations de solidarité communautaire. Mais en termes de redistribution fiscale, c'est l'État qui a un rôle important. La redistribution par les agglomérations passe essentiellement par les services, par les équipements, et par l'accès à l'expertise qu'elles offrent aux petites communes.

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