Intervention de Philippe Langevin

Réunion du 12 juin 2013 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Philippe Langevin :

Vos questions sont très riches et nous aurions besoin de davantage de temps pour en débattre. Je me contenterai de quelques réflexions générales.

Je rappellerai en premier lieu que nous sommes dans une démarche de construction, que nous n'avons pas de certitudes définitives, pas de territoires tout faits à vous proposer de prendre ou de ne pas prendre. Il est vrai que la question posée a été : quel est le bon territoire, le plus efficace, le meilleur pour développer l'économie ? Or il n'y en a pas. Comme disait Coluche, la bonne taille, c'est quand les pieds touchent le sol ! (Sourires)

Le territoire auquel nous avons intérêt à réfléchir est sans doute celui qui correspond à notre vie quotidienne : déplacement domicile-travail, domicile-entreprise, accès aux réseaux culturels et commerciaux. C'est sans doute un territoire équivalent à l'aire urbaine, au sens de l'INSEE, dont 700 ont été développées en France. Ces territoires ont une réalité. Mais cette réalité est sans doute provisoire. Peut-être que dans dix ans, ils ne seront peut-être plus les « bons » territoires.

Il faudrait introduire, dans nos réflexions, l'idée de relativité. Ils changent avec l'économie, avec la vie, avec l'évolution des choses. Il n'y a pas de territoires ancrés. Mais nous sommes tellement ancrés dans nos communes, avec leurs monuments aux morts et leur défilé du 11 novembre, que nous avons tendance à donner à cet espace historique et culturel une réalité économique qu'il n'a plus depuis très longtemps.

Certains ont parlé des relations de la métropole avec le monde rural. On ne peut pas estimer que la métropolisation remet en cause l'attractivité de ce dernier. Le monde rural a sa logique et sa cohérence. D'ailleurs, dans les espaces métropolitains, il y a des territoires ruraux – à l'intérieur de la métropole Aix-Marseille-Provence, je peux vous citer le Puy d'Aubagne et le pays d'Aix. Certaines régions agricoles et rurales se portent très bien. Il n'y a donc pas d'opposition entre les deux et il faut plutôt construire des complémentarités.

Si l'on va un peu plus loin, on s'aperçoit que les départements alpins ont aujourd'hui des caractéristiques économiques bien plus favorables que les départements littoraux. Le produit par habitant y est beaucoup plus important qu'à Marseille, Toulon ou Nice. Les taux de chômage y sont plus faibles et les créations d'emploi plus nombreuses. Cela permet un rééquilibrage. Il faut donc abandonner l'idée que le monde rural est un monde « en solde », en déperdition, alors que le monde urbain est un monde porteur, en innovation. La réalité de notre région montre bien qu'il y a une alternative à la métropolisation.

Certains ont évoqué la question des relations transfrontalières, qui est tout à fait essentielle. De fait, on ne change pas de civilisation lorsque l'on passe de Menton à Vintimille. Il est très important d'introduire cette dimension, qui constitue sans doute un élément de construction de l'Europe plus important que le prix des légumes. Il est sans doute très compliqué de mettre en place des politiques communes, mais on pourrait imaginer des territoires transfrontaliers. Des expériences ont été menées entre Menton et Vintimille, entre Perpignan et Barcelone. On l'a déjà rappelé, nous sommes face à une multiplicité de territoires.

Il serait erroné de penser qu'il y a un seul territoire, dans lequel on va se retrouver, qui serait cohérent, organisé, structuré, dynamique, productif et compétitif. Il faut arriver à jouer avec la multiplicité des territoires et reconnaître que, finalement, à chaque problème, à chaque question, correspond un territoire.

Néanmoins, la question clé est celle des limites – même provisoires. Regardez la métropole de Nice, qui ne ressemble à rien, car elle ne comprend ni Cannes, ni Sophia-Antipolis, ni Monaco, ni Menton. Dans ces territoires, il y a une dimension politique à prendre en compte. Comme on est en démocratie, ne se réunissent que les municipalités qui ont envie de travailler ensemble. Le problème est qu'elles ne sont pas forcément sur un territoire économiquement cohérent.

Prenez Aix et Marseille. Enfin, c'est le même endroit ! Pour ma part, je suis professeur à Aix et professeur à Marseille. Nous ne sommes plus ni marseillais, ni salonais, ni aixois, mais métropolitains. C'est sur ce territoire que notre pays s'organise et que notre vie se structure. Or depuis le roi René, Marseille et Aix ne se sont jamais parlé. Et ce n'est pas un problème de parti, mais un problème d'histoire. Reste que cette mésentente totale entre ces deux villes nous fait perdre de la valeur ajoutée, de la productivité et de l'efficacité. C'est un point qui a déjà été soulevé.

Il faut également éviter de penser qu'il y aurait d'un côté des territoires métropolitains productifs, et de l'autre des territoires non métropolitains résidentiels ; d'un côté une métropole active, organisée, structurée, exportatrice, et de l'autre monde rural fait pour accueillir des retraités fatigués ou des cadres prêts à faire 200 km par jour pour aller travailler. En effet, tout territoire a à la fois une fonction productive et une fonction résidentielle. Un territoire ne peut pas vivre uniquement avec de l'argent qui a été gagné ailleurs. Il doit parvenir à s'organiser et à se structurer. Il faut rappeler qu'à côté d'un projet métropolitain, il y a aussi un projet rural, qui est lui aussi tout à fait essentiel.

Certains ont parlé des pays – qui, aujourd'hui, ne sont pas en bonne posture politique. J'observe que ces nouveaux territoires ont été dotés de conseils de développement, précisément pour faire droit à la légitime revendication de citoyenneté. Or c'est la misère noire ! Notre société n'arrive plus à développer de véritables comportements citoyens. Cela dit, ce n'est pas spécifique à notre débat d'aujourd'hui. C'est le problème d'une société très individualiste. Chacun devient maître de son projet, de son destin, de sa vie, de son avenir, et les grands engagements collectifs, qu'ils soient politiques, syndicaux, sociaux, ont beaucoup de mal à s'exprimer. Mais il est vrai aussi que le système est très compliqué et qu'on n'y comprend plus rien. On ne sait même plus à qui s'adresser et qui engueuler !

Nous sommes bien d'accord qu'une simplification s'impose. Reste que nous sommes également confrontés à un problème d'éducation et de formation, ne serait-ce que pour expliquer aux gens ce que c'est que le pouvoir local, comment il s'organise et ce que sont des élections. Les gens ne votent pas s'ils ne comprennent pas comment cela se passe. Je pense que cette éducation, cette formation passe par l'enseignement primaire, secondaire, et par les universités. Moi-même, j'accompagne chaque année mes étudiants aux délibérations du conseil général, du conseil régional et du conseil municipal. Mais qui le fait, qui le sait ? Dans ce contexte, votre préoccupation citoyenne est tout à fait essentielle.

Derrière la question de la citoyenneté se profile la problématique de l'intérêt général. Dans les territoires, il faut savoir discerner, définir et dessiner un intérêt général, qui dépend du moment où on l'exprime, qui prend en compte l'ouverture internationale, les volontés locales et les acteurs du territoire. Car le territoire se construit davantage par ses acteurs que par ses élus, notamment en matière économique.

Que voulez-vous que fasse un maire ? On en a parlé à plusieurs reprises. Il y a bien un problème de dialogue, un problème de relations et un problème de capacité à construire des projets. Il faut sortir d'une méthodologie de la subvention pour s'organiser vers une réflexion en termes de projets : comment organiser un projet collectif ? Comment lui donner du sens ? Comment passer d'une économie du bien à une économie du lien ?

Cela me ramène à ce que vous avez souligné à propos des réseaux. Ce sont les réseaux qui font le développement, c'est la relation qui fait la croissance, c'est la connaissance qui fait la compétence, c'est la capacité à discuter qui fait le développement. Ce n'est pas l'enfermement dans des histoires de villes ou des histoires politiciennes qui ne sont pas compatibles avec l'intérêt général.

Le développement durable doit prendre en compte les défis énormes qui vont impacter directement les collectivités territoriales : le défi climatique, le défi environnemental, le défi culturel, le défi de la mondialisation. Nous n'aurons pas de réponses toutes faites, de cartographies ou de territoires « clés en main » à vous proposer. Vous aurez des chemins, plutôt que des autoroutes, à poursuivre et à organiser. C'est bien pourquoi le débat est absolument essentiel. Il faut organiser des débats publics, des conférences, aller dans les universités, dans la rue, pour fournir des explications aux citoyens. Or souvent, surtout sur mon territoire, de nombreux élus locaux, plutôt que d'expliquer aux gens le sens de la métropole, expliquent le sens de la « non métropole ».

Cela dit, on n'est pas devant quelque chose de carré, de définitif, d'irréversible. On est dans un morcellement. Montpellier n'est pas la banlieue de Toulouse, ni de Marseille. Montpellier, c'est Montpellier – ce qui n'est pas rien. Il ne faut pas penser qu'une ville dépend automatiquement de la ville qui est derrière elle. De même que Marseille n'est pas la banlieue de Paris, ni de Lyon.

Il faut aussi faire attention aux appellations utilisées. On parle du « Grand Marseille ». Les autres communes seraient-elles petites ? Cela n'a pas de sens. Il n'y a pas de Grand Marseille, ni de Grand Paris, ni de Grand Lyon. Il y a des communautés qui essaient de se construire, avec de grandes difficultés liées à l'existence de logiques économiques. Notre ambition est de faire que la gouvernance soit la plus proche possible de ces logiques économiques, qui sont à durée déterminée. Et dans dix ans, on refera les territoires. Parce qu'aucun territoire n'est inscrit dans l'histoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion