Monsieur Lescure, votre rapport me laisse perplexe : d'un côté, vous avancez des propositions positives – exceptions au droit d'auteur, défense du domaine public, licences libres, contenu numérique en bibliothèque, numérisation du patrimoine culturel et répertoires ouverts de métadonnées d'oeuvres – dont nous espérons qu'elles figureront dans le projet de loi que présentera Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication ; d'un autre côté, votre rapport repose sur une conception répressive de la culture qui ne tranche en rien avec ce qui a été fait précédemment. Ainsi, votre recommandation 56 vise à alléger le dispositif de riposte graduée, en remplaçant la déconnexion de l'accès à internet par une amende légère qui conduira à distribuer beaucoup de contraventions sans que les infractions aient pu être solidement établies. Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi, s'est d'ailleurs réjouie de l'instauration d'un système qui ne la contraindrait pas à établir des dossiers rigoureux pour faire sanctionner les internautes.
Votre rapport fait surtout l'impasse sur l'aberration que constituent les condamnations prononcées par la Hadopi. N'oublions pas que ce n'est pas le téléchargement d'oeuvres culturelles qui est puni, mais l'absence de sécurisation de la connexion. Depuis trois ans, la Hadopi est censée certifier des solutions de sécurisation des connexions à internet, mais elle a récemment décidé de ne pas se charger de cette mission, qui fait pourtant partie de ses prérogatives légales, car cette sécurisation s'avère impossible pour les particuliers. Parmi les très nombreux problèmes techniques, la Hadopi se fonde sur l'usurpation des adresses IP des internautes, qui n'est ni contrôlée ni sanctionnée et qui est bien plus simple que celle d'une plaque d'immatriculation. Dans ces conditions, il est incroyable de vouloir reconduire les missions de la Hadopi sous quelque forme que ce soit.
Ce constat inclut ses activités de promotion de l'offre légale ; la blogeuse Klaire a récemment testé les 20 sites internet auxquels la Hadopi a décerné le label PUR : parmi eux, 16 posent des problèmes graves d'accès et leurs clients paient ainsi pour des films qui sont en réalité inaccessibles. Chers collègues, allez visiter le site « J'voulais pas pirater » et vous comprendrez que ceux qui prétendent que l'offre légale est satisfaisante en France mentent. Le partage est un principe de base de la culture. L'exemple du site Megaupload a montré que les internautes étaient prêts à s'abonner pour accéder à des films partagés gratuitement par ailleurs, et nous devrions nous réjouir des possibilités accrues de partage qu'offre le numérique au lieu de les condamner.
Nous regrettons que la proposition 54 écarte nos idées de contribution créative ; pourtant, l'élaboration d'un système juste pour rémunérer les créateurs ne pourra pas être éludée. Votre rapport soutient qu'une contribution créative de cinq euros ne suffirait même pas à compenser l'intégralité du chiffre d'affaires de la musique enregistrée et de la vidéo, et qu'il faudrait l'établir entre 20 et 40 euros. Or, il est absurde de demander à ce type de contribution – qui ne viendrait qu'en complément des autres sources de revenus – de couvrir l'intégralité du chiffre d'affaires de l'industrie culturelle.
Les députés du groupe écologiste seront très attentifs au projet de loi qui nous sera soumis : nous soutiendrons tous les progrès qu'il contiendra, mais nous combattrons toute attaque contre ceux qui partagent la culture. Rappelons que l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme consacre « le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». C'est ce principe qui guidera notre action.