Lorsque nous avons débuté nos travaux, nous avons d'abord dû lutter contre l'idée que nous formions une mission centrée uniquement sur la Hadopi. Au final, notre rapport n'est bien entendu pas exhaustif, mais il embrasse une large palette de sujets. Nous souhaitions soumettre plusieurs propositions dont pourrait se saisir le pouvoir législatif, mais nous voulions également suggérer des mesures pragmatiques aux acteurs politiques et professionnels, afin que nous puissions avancer ensemble d'un pas.
La chronologie des médias, le maintien de la riposte graduée, l'évolution du CSA et l'élaboration de nouvelles sources de financement prenant le relais de celles qui vont disparaître constituent les propositions les plus importantes du rapport. Face aux grands acteurs, tout reste à faire, mais la France ne peut agir seule. Nous devons assurer la neutralité d'internet, tout en amenant les principales entreprises à discuter. L'un des argumentaires les plus développés dans le rapport n'est pas passé inaperçu chez Google, Amazon, Facebook et Apple que l'on regroupe sous le vocable GAFA – et notamment chez Google : il s'agit de notre refus de trop réglementer internet, tout en souhaitant amener ces sociétés à reconnaître la responsabilité de leurs bras armés commerciaux. Je pense aux grandes plateformes : combien de temps Google niera-t-il encore le fait que You Tube s'apparente, dans notre législation et même dans celle de l'UE, à un distributeur ? Or un distributeur a des obligations. Tout en réaffirmant son attachement à la neutralité du net, le patron de Google a récemment décidé de lancer des chaînes payantes, ce qui constitue une évolution à laquelle nous devons être attentifs. Ces entreprises – notamment Google et Amazon – développent leur activité de distributeur dans les pays européens, si bien qu'elles seront de plus en plus amenées à dialoguer avec les autorités nationales et européennes.
Nous devons privilégier le dialogue entre les acteurs. Ainsi, les services de la cyberdouane doivent travailler avec les entreprises privées pour éviter qu'elles nous surveillent. La cyberdouane doit également coopérer avec les sociétés proposant des modes de paiement numériques – comme Visa ou PayPal –, qu'utilisent la cybercriminalité et les sites pirates proches de la mafia ; cette collaboration a déjà commencé aux États-Unis et ces entités sont également disposées à agir avec les Européens. De même, les régies publicitaires sont conscientes de devoir, tôt ou tard, participer à cette tâche commune, qui s'opère certes sur une base volontaire, mais qui engage néanmoins leur responsabilité ; l'achat d'espaces publicitaires sur les sites internet se fait électroniquement et sans contrôle, si bien que même des sociétés d'économie mixte se retrouvent à faire de la promotion sur les sites pirates les plus liés à la criminalité. Pour empêcher ce phénomène, il convient de mener un travail étroit avec les publicitaires : les organisations professionnelles comme l'union des annonceurs (UDA) et les grandes régies nous ont assuré y être disposées.
Le rapport n'a pas dressé un bilan idyllique de la Hadopi, mais nous avons été convaincus, dès le début de nos travaux, de l'intérêt de l'action des services de cette AAI en matière de riposte graduée. Nous avons donc rapidement décidé que le principe de ce système devait être préservé ; en revanche, je ne pense pas que l'efficacité de la riposte graduée découle de la menace de l'interruption de la connexion à internet. Le maintien de cette sanction aurait engendré un débat de société violent et la communauté des internautes aurait radicalisé son opposition à ce type de démarche pourtant positive. Nous proposons un allègement des amendes, car c'est la pédagogie qui a montré son efficacité puisqu'il n'y a pas eu de récidive après le premier courrier électronique d'avertissement dans 90 % des cas. Tant que l'offre légale ne sera pas plus performante, pas plus abordable en termes de prix et pas plus développée, il y aura lieu de maintenir la riposte graduée.
Les autres actions de la Hadopi présentent un bilan très léger – notamment parce qu'elles avaient été moins pensées que la riposte graduée – et je ne vois pas l'intérêt de les conserver ; le label PUR, par exemple, s'est avéré inutile et a mobilisé trop de moyens pour un instrument inadapté à la réalité.
En ne gardant que la riposte graduée, il nous est apparu superflu de conserver une AAI et naturel de transférer cette mission au CSA. Nous avons examiné l'opportunité de confier cette compétence à d'autres organismes que le CSA, mais, au sein des AAI, celui-ci exerce les fonctions qui se rapprochent le plus des objectifs poursuivis par la riposte graduée ; une cohérence étroite existe en effet entre le développement de l'offre légale et la protection du droit d'auteur.
Certains présidents du CSA se sont montrés à la hauteur de leur tâche, mais ce ne fut pas le cas de tous. Or le rôle de cette AAI présente une importance décisive, car ses responsabilités réglementaires se porteront de plus en plus sur internet puisque l'ensemble des contenus dont elle assure la régulation y sont véhiculés. Il faut donc élargir le périmètre d'action du CSA et assurer une plus grande indépendance à ses membres – à ce titre, je salue les dispositions contenues dans le projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public que vous allez bientôt examiner. Si le CSA se rapprochait du fonctionnement de la Federal communications commission (FCC) américaine – qui développe une recherche scientifique et technique d'un excellent niveau et qui organise un dialogue naturel et bénéfique pour tous les grands acteurs – et de l'Office of communications (OFCOM) britannique, nous aurions doté notre pays d'un outil adapté aux nouvelles conditions de la diffusion des contenus audiovisuels et culturels.