Intervention de Jean-Baptiste Gourdin

Réunion du 12 juin 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Baptiste Gourdin, coordinateur de la mission « Acte II de l'exception culturelle » :

Nous rejoignons le constat – exprimé par certains d'entre vous – de l'actuelle insuffisance de l'offre légale et des frustrations que cette situation engendre chez les internautes. Il convient néanmoins de le nuancer selon les secteurs : des progrès substantiels ont été réalisés dans la musique – domaine dans lequel l'offre est large, s'avère riche en fonctionnalités et dispose d'un vaste espace de gratuité sur des plateformes comme You Tube ou Deezer –, si bien que le piratage ne peut plus se justifier par les lacunes des services ; en revanche, les catalogues de vidéos restent insuffisants, anciens et chers, et ceux des livres souffrent des mêmes défauts, à un degré exacerbé. Nous avons essayé de comprendre les insatisfactions des usagers – nous avons notamment consulté le site « J'voulais pas pirater » –, qui ont inspiré nos propositions sur l'obligation d'exploitation, sur la chronologie des médias et sur l'abandon du label PUR, qui, au-delà de son inutilité, pose de graves problèmes juridiques, puisque des sites furent labellisés alors que leur conformité au droit d'auteur posait question – je pense notamment à la plateforme de photographie Fotolia.

En matière de financement et de rémunération, nous sommes partis du constat du transfert de valeur, expression que l'on nous a reprochée, mais qui résume le déplacement de la valeur des contenus vers des acteurs de l'écosystème numérique qui tirent un profit substantiel de la circulation des oeuvres sans contribuer suffisamment à la rémunération des créateurs et au financement de la création.

Nous avons identifié trois cercles d'acteurs. Tout d'abord, les fournisseurs d'accès à internet (FAI) dont l'activité soulève la question de la TSTD ; il faut préserver le principe de la contribution des FAI au financement de la création cinématographique, mais ses modalités posent aujourd'hui problème car elles visent à isoler la partie télévisuelle de l'activité des FAI, alors que les oeuvres circuleront également demain par le biais de l'« internet nu », celui des offres ADSL. Il faut donc appréhender l'ensemble des modes de circulation pour ne pas créer d'iniquité fiscale, mais l'objectif n'est pas d'augmenter le rendement de la TSTD ; nos propositions ne sont donc pas de nature à fragiliser les FAI qui doivent assumer de lourds investissements pour le très haut débit, celui-ci étant d'ailleurs utile pour la diffusion des offres culturelles.

La deuxième catégorie d'acteurs regroupe les fabricants. La contribution sur les appareils connectés que nous proposons a vocation à s'articuler au système actuel de la rémunération pour copie privée dans une logique de vases communicants : il n'y a pas de contradiction entre les deux dispositifs, mais il faut assurer une transition ; en effet, si la copie privée reste répandue, elle est amenée à décliner dans les années qui viennent, si bien qu'il nous faut d'ores et déjà mettre en place un système capable de prendre le relais. Pour le consommateur, l'évolution sera neutre, puisque la taxe ne fera que compenser la diminution de la rémunération pour copie privée. Nous suggérons, par ailleurs, la création d'un compte de soutien à la transition numérique des industries culturelles qui garantisse que le produit de la taxe finance la création ; ce CAS serait géré par le ministère de la culture et de la communication qui répartirait chaque année cette ressource en fonction des besoins des industries culturelles et de l'impact de la transition numérique sur leurs activités ; il financerait ainsi des actions liées au numérique, comme le développement de métadonnées, de services innovants ou de nouveaux formats créatifs.

Certains d'entre vous ont regretté le manque d'ambition du rapport sur la dernière catégorie d'acteurs, celle constituée des OTT et des moteurs de recherche. Nous comprenons ce reproche, mais nous avons voulu construire des mécanismes réalistes qui puissent être compatibles avec le droit de l'UE. Or seulement trois types de dispositifs sont possibles : la fiscalité – mais nous ne disposons pas actuellement des outils permettant d'appréhender fiscalement ces acteurs, comme l'a montré le rapport de MM. Nicolas Colin et Pierre Collin –, le droit de la propriété intellectuelle – instrument qui nous est apparu dangereux, car si l'on soumet la faculté de créer un lien vers un contenu au droit de la propriété intellectuelle, on crée le risque de limiter la liberté de référencement et donc d'expression, qui se trouve au coeur de l'économie numérique – et la création d'un droit sui generis de l'enrichissement sans cause, voulue notamment par les producteurs phonographiques, qui nous a semblé inadaptée aux enjeux, fragile juridiquement et difficile à mettre en oeuvre. Nous avons donc écarté ces trois options, ce qui laisse entier le problème de la contribution des OTT et des moteurs de recherche.

Le rapport fait le choix de confier la rémunération des créateurs aux organisations professionnelles et aux sociétés de gestion collective ; cette option ne nous semble pas irréaliste puisqu'elle fonctionne déjà dans certains secteurs comme celui de la vidéo à la demande où les auteurs sont rétribués par la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui collecte directement les rémunérations auprès des plateformes de vidéos. Ce système s'avère vertueux et simple à gérer pour les plateformes comme pour les artistes qui obtiennent la garantie d'être rémunérés correctement sur la base d'assiettes transparentes. La gestion collective, loin d'être un archaïsme, est adaptée à l'exploitation numérique des oeuvres.

Les producteurs de spectacles vivants sont de plus en plus amenés à financer la création du spectacle vivant – puisque les producteurs phonographiques n'en ont plus les moyens –, mais ils ne peuvent pas être intéressés aux recettes générées par l'exploitation de leurs oeuvres lorsqu'elles sont captées. C'est à cette carence que vise à remédier la proposition de création d'un droit sui generis.

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